Je sollicite un peu d’indulgence de votre part, madame la présidente : la question étant un peu neuve, et vaste, je prendrai un peu plus de temps qu’à l’accoutumée pour y apporter la réponse la plus complète possible et démontrer à Mme la secrétaire d’État que, en la matière, on ne peut pas dire que mes positions soient très stéréotypées. En réalité, ma proposition se rapproche surtout du droit qui s’applique à l’organisation des compétitions sportives.
Ces amendements identiques visent à modifier le dispositif adopté par la commission des lois, laquelle a traduit les préconisations du rapport parlementaire de nos collègues, le sénateur Jérôme Durain et le député Rudy Salles.
Afin d’expliquer l’avis de la commission des lois sur ces amendements – vous l’aurez deviné, il est défavorable –, j’aimerais rappeler la situation du droit existant, avant de décrire les dispositions adoptées par la commission.
Actuellement, les compétitions de jeux vidéo sont interdites, puisque le code de la sécurité intérieure prohibe les loteries de toutes espèces. Sont réputées loteries et, comme telles, interdites, « toutes opérations offertes au public […] pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait acquis par la voie du sort ». Or tout jeu vidéo comporte une part de hasard.
Dans la perspective du développement de ce secteur, l’article 42, dans la rédaction issue de l’Assemblée nationale, prévoyait de créer une dérogation à ce principe pour les organisateurs de compétitions de jeux vidéo agréés par le ministère de la jeunesse.
Il me paraît nécessaire d’exclure les compétitions de jeux vidéo du principe général de prohibition des loteries, comme le recommande le rapport Durain-Salles.
La commission des lois a donc proposé d’autoriser toutes les compétitions de jeux vidéo physiques organisées par un organisateur agréé par le ministère de l’intérieur, c'est-à-dire par le préfet, après enquête administrative. Le préfet ne fait pas que des enquêtes de police !
L’objet n’est nullement d’autoriser toutes les compétitions qui seront déclarées comme manifestations. Il s’agit d’agréer certains organisateurs. Le secteur dont nous parlons n’a ni gouvernance ni régulation. Nous ignorons si son ministère de tutelle est celui de la jeunesse, celui des sports, celui du numérique ou celui de la communication.
Pour d’évidentes raisons d’ordre public, nous ne pouvons pas créer de dérogation générale à un principe d’interdiction des loteries et jeux d’argent dès lors que seraient concernés des jeux d’argent sans le moindre contrôle d’une autorité spécifique. Cela créerait un risque sérieux de dérive, notamment pour le consommateur.
Ces amendements visent à remplacer l’agrément par un mécanisme relativement complexe. Toute personne pourrait organiser une compétition de jeu vidéo à but lucratif dès lors que « le montant total des droits d’inscription » n’excéderait pas « une fraction, dont le taux est fixé par décret en Conseil d’État, du coût total d’organisation de la manifestation ».
Outre sa complexité, un tel système revient donc à laisser se développer n’importe quelle manifestation à but lucratif en lien avec un jeu vidéo et à vérifier a posteriori seulement qu’il n’y a pas eu d’abus. Or, de l’aveu même des auteurs du rapport Durain-Salles, une telle régulation « pourrait par exemple permettre le déroulement légal hors de casinos ou de cercles autorisés de compétitions de poker scénarisées sous forme de jeu vidéo ». Les deux parlementaires concluent que le risque de trouble à l’ordre public « semble […] maîtrisé ». Je m’inscris en faux.
Un mécanisme aussi complexe n’est pas applicable à un secteur si jeune, sans autorégulation ni organisme de gouvernance. Surtout, je ne vois pas quelle autorité administrative serait chargée de la régulation du secteur. Pire, les amendements présentés offrent une voie détournée pour l’organisation de loteries, de jeux d’argent, en dérogation des interdictions posées par le code de la sécurité intérieure, et hors de toute régulation du ministère de l’intérieur.
Les auteurs de ces amendements reprochent à la commission des lois de rechercher un alignement sur le régime applicable aux casinos. Au contraire ! Nous nous rapprochons du régime d’autorisation des manifestations sportives compétitives. Je crois savoir que certains considèrent la pratique compétitive du jeu vidéo comme un e-sport. Or le régime de l’organisation des manifestations sportives est très encadré, notamment par les fédérations.
De plus, une autorisation administrative est obligatoire lorsque ces manifestations se déroulent sur la voie publique. Elle ne peut être délivrée que si l’association est affiliée à une fédération, a au moins six mois d’existence et respecte plusieurs législations particulières : impératif de sécurité, souscription d’une police d’assurance. Lorsque des sommes d’argent supérieures à 3 000 euros sont en jeu, l’organisateur d’une compétition sportive doit même demander a priori l’autorisation de la fédération.
Le texte de la commission permet le développement du secteur, mais vise à prévenir tous risques à l’ordre public. En l’absence de fédération des organisateurs de jeux vidéo, et même de ministère clairement compétent, il semble nécessaire de conserver un dispositif d’agrément. Je remarque par ailleurs que l’amendement n° 597 du Gouvernement relatif au statut de joueur professionnel fait bien référence à un agrément, celui du ministère chargé du numérique.
Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable sur ces amendements.