Intervention de Christophe-André Frassa

Réunion du 2 mai 2016 à 15h30
République numérique — Articles additionnels après l'article 42, amendements 343 429 597

Photo de Christophe-André FrassaChristophe-André Frassa, rapporteur :

Cet amendement vise à répondre à un problème soulevé dans le rapport parlementaire de MM. Durain et Salles : celui du statut des joueurs compétitifs de jeux vidéo.

Actuellement, ces personnes ont généralement un statut de travailleur indépendant. Or le risque de requalification des relations commerciales entre joueurs et sociétés en contrat de travail est réel. Le code du travail ne permet qu’imparfaitement de répondre à un tel problème. Les conditions de recours au contrat à durée déterminée ne sont pas remplies par les joueurs de jeux vidéo.

Cette situation limite le développement du secteur. C’est pourquoi cet amendement vise à permettre, à titre expérimental, un nouveau type de contrat à durée déterminée, inspiré du contrat prévu pour les sportifs de haut niveau résultant de la loi du 27 novembre 2015 visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale.

Néanmoins, il s’agit seulement d’une possibilité, et non d’une obligation, contrairement à ce qui est envisagé dans les autres amendements. Surtout, je propose cette mesure à titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2019. Un rapport dressant le bilan de cette expérimentation devrait être remis au Parlement avant le 31 décembre 2018. Il appartiendrait alors au Parlement de se prononcer sur la poursuite ou non de l’expérimentation, ou sur le bien-fondé d’un dispositif pérenne.

La commission sollicite le retrait des amendements n° 343, 429 et 597 au profit de celui que je viens de présenter. Ces trois amendements posent plusieurs problèmes.

Il y a d’abord un problème de méthode. Ces amendements visent à créer une dérogation permanente aux règles du code du travail, avec un dispositif ad hoc pour les joueurs professionnels de jeux vidéo. Avant de créer une nouvelle catégorie du droit du travail dérogeant aux règles relatives au contrat à durée déterminée, en particulier pour un secteur professionnel de niche, et surtout quand celle-ci n’est pas codifiée, il semble préférable de commencer par une expérimentation. Ainsi, l’article 24 de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a permis à titre expérimental, jusqu’au mois de décembre 2014, de conclure des contrats à durée déterminée, en dérogation des règles du code du travail dans certains secteurs précis déterminés par arrêté du ministre chargé du travail.

Il est d’autant plus cavalier de créer un régime ad hoc que des dérogations existantes auraient pu être étendues au secteur. Je pense notamment au contrat de travail intermittent, qui permet d’alterner des périodes travaillées et les périodes non travaillées, selon le cycle des saisons et du tourisme. Je parle bien du contrat de travail intermittent défini aux articles L. 3123-31 à L. 3123-37 du code du travail, et non du contrat des intermittents du spectacle, qui relève du CDD d’usage.

Certes, le dispositif proposé s’inspire de celui qui a été créé par la loi du 27 novembre 2015 visant à protéger les sportifs de haut niveau. Mais comparaison n’est pas raison. Une telle loi s’imposait pour les sportifs de haut niveau en raison d’un revirement de jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, surtout pour les sportifs professionnels. Ces derniers dépendent de saisons sportives normées, ce qui n’est pas encore le cas des saisons de compétition de jeux vidéo.

Le recours aux contrats à durée déterminée reste la meilleure protection pour les sportifs eux-mêmes. Ce n’est pas le cas pour les joueurs de jeux vidéo ; le dispositif ne les protège pas. Surtout, les exclusions au code du travail prévues dans ces amendements sont préoccupantes. Il est logique d’exclure d’application les articles du code du travail qui font du contrat à durée indéterminée la relation normale du travail. Il semble néanmoins étrange d’exclure d’application l’article L. 1242-1 du code du travail, aux termes duquel un CDD « ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ».

Certes, il n’existe pas aujourd'hui de compétition régulière correspondant à une activité permanente. Mais le dispositif ad hoc ainsi créé – mon amendement, je le rappelle, vise seulement, lui, à mettre en place une expérimentation – est susceptible de s’appliquer pendant de nombreuses années. Or, selon ce dispositif, il sera tout à fait possible de recourir uniquement à des CDD, alors même que l’activité de leur employeur serait permanente et normale, justifiant le recours au CDI.

De même, je m’étonne que vous excluiez la protection selon laquelle vous ne pouvez pas remplacer par un CDD votre joueur professionnel de jeu vidéo gréviste. Surtout, je m’étonne du caractère obligatoire du recours au CDD dans la solution proposée par M. Durain et le Gouvernement.

Mon dispositif prévoit de déroger au caractère impératif du CDI en permettant de recourir au CDD, même lorsque le code du travail ne le permet pas. Mais il ne prive pas de toute possibilité de recours au CDI. De surcroît, cette disposition ne me semble pas respecter l’article L. 1 du code du travail, qui rend obligatoire la consultation des organisations professionnelles.

Enfin, je ne pense pas qu’un tel CDD obligatoire rende notre pays réellement attractif pour les joueurs professionnels de jeux vidéo.

Pour toutes ces raisons, je vous demande le retrait de ces amendements au profit de celui de la commission. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

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