Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la traite des êtres humains est une négation absolue des valeurs républicaines de liberté, de dignité et d’égalité.
Elle nous semble pour beaucoup d’un autre siècle, révolue, reléguée aux pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité. La traite d’êtres humains est pourtant une réalité invisible, dissimulée, que nous ne voyons pas, que nous ne voulons pas voir, ou plutôt que nous ne savons pas voir, constat on ne peut plus effrayant, alors même que les nouvelles technologies démultiplient les potentialités.
La traite des êtres humains est multiforme : exploitation sexuelle, travail, mendicité ou vol forcé, servitude pour dettes, prélèvement illégal d’organes. Elle touche tout le monde, mais surtout les femmes et les enfants.
Je ne citerai pas de nouveau les chiffres donnés tout à l’heure par Mme la présidente de la délégation. Je partage les conclusions du rapport : la traite des êtres humains s’inscrit dans la continuité des violences faites aux femmes. On retrouve en effet certains des fléaux dénoncés par la délégation : prostitution, viols, viols de guerre, violences sexuelles, mariages forcés.
Les mineurs sont également des cibles privilégiées : ils représentent 25 % des victimes de la traite des êtres humains. Ainsi, 22 000 enfants meurent-ils chaque année dans des accidents liés au travail. Les enfants souffrent d’une vulnérabilité particulière. À ce titre, ils ont besoin d’un accompagnement adapté.
Mes chers collègues, tel est le triste bilan que nous tirons de la lecture du rapport d’information élaboré par les rapporteurs de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous », disait Montesquieu. C’est la raison pour laquelle nous devons lutter tous ensemble pour cette cause.
Devant ce terrible constat, la lutte contre la traite des êtres humains doit s’appuyer, selon moi, sur trois axes fondamentaux : l’identification des victimes et des réseaux, la formation des professionnels et du grand public et le financement des politiques de lutte contre la traite des êtres humains.
La difficulté d’identifier la traite des êtres humains tend à minimiser l’importance du phénomène aux yeux du grand public et à limiter le nombre de condamnations. Si la France dispose d’un régime juridique solide en la matière, les outils statistiques aboutis font défaut. Ainsi, en l’absence de données statistiques, il est difficile de cerner l’ampleur des phénomènes étudiés et d’agir en conséquence. Rendons visibles ces anonymes !
Cette situation a été parfaitement mise en lumière par notre collègue Maryvonne Blondin dans son rapport de mai 2013 : le faible nombre d’infractions de traite des êtres humains constatées par les forces de l’ordre s’explique le plus souvent par un recours à la seule qualification de proxénétisme, celle-ci étant mieux identifiée et plus facile à établir.
Je soutiens donc la proposition des rapporteurs de mettre en place un référent dédié à la traite des êtres humains au sein des parquets les plus concernés. Cette problématique sera ainsi mise en lumière. Les professionnels seront sensibilisés à cette réalité.
Malgré tout, les statistiques enregistrent depuis quelques années une progression du nombre de condamnations prononcées pour traite des êtres humains. C’est un signe encourageant.
Viser l’incrimination pour traite des êtres humains peut être payant : elle couvre un champ plus large et un plus grand nombre de situations que le seul proxénétisme, par exemple. Cela facilite la coopération internationale, par le biais par exemple du recours au mandat d’arrêt européen.
Au sein de l’Union européenne, nous devons travailler pour adopter une politique structurelle commune en matière de traite, en particulier en termes de condamnations et de prise en charge.
L’Italie s’est dotée d’un numéro vert permettant de dénoncer les situations d’exploitation d’êtres humains constatées par les citoyens. Il faut peut-être nous inspirer de cette expérience. Un numéro vert commun à tous les États membres pourrait être le symbole d’une politique commune européenne en la matière. La Journée mondiale contre la traite des êtres humains, le 30 juillet, serait l’occasion d’en faire la promotion.
Le recours insuffisant à la qualification de traite des êtres humains s’explique également par un déficit de formation des différents professionnels, à commencer par les membres des forces de l’ordre, ceux de la police aux frontières et les magistrats.
Selon le rapport d’activité de l’OICEM, l’Organisation internationale contre l’esclavage moderne, sur 300 signalements reçus en 2013, 33 % provenaient de travailleurs sociaux, 26 % de particuliers, 20 % de personnels juridiques, mais seulement 5 % de la police et 3 % des personnels de santé, 13 % étant des autosignalements.
L’identification des victimes est complexe. Ces dernières sont sous l’emprise de l’exploiteur et ne souhaitent donc pas être identifiées. Il est impératif d’améliorer la formation initiale et continue des professionnels pour déceler ces situations. C’est le deuxième axe d’action que j’estime prioritaire.
Malgré une prise en compte croissante des problématiques liées à la traite des êtres humains, je m’inquiète de l’absence de moyens adaptés au cas des mineurs qui en sont victimes.
Les associations et les conseils départementaux en témoignent : la prise en charge des mineurs isolés étrangers souffre d’un manque criant de connaissance et d’expertise.
Je salue l’expérimentation en cours à Paris, laquelle offre une protection adaptée aux mineurs, au travers d’une plateforme d’accueil et d’orientation spécifiquement dédiée.
Alors que le Sénat vient d’examiner le projet de loi pour une République numérique, pourquoi ne pas lancer sur le site internet de France Université numérique des MOOC – massive open online courses – consacrés à la problématique de la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des mineurs, qui seraient destinés non seulement aux professionnels, mais aussi au grand public ?
Le financement est malheureusement, si je puis m’exprimer ainsi, le nerf de la guerre. C’est le troisième pilier de la lutte contre la traite des êtres humains.
Il est essentiel que les moyens budgétaires et humains nécessaires à la mise en œuvre du plan d’action national contre la traite des êtres humains soient garantis, parce qu’un accompagnement soutenu et spécifique est primordial, notamment pour appréhender la complexité et la globalité des situations des victimes, parce qu’il est impératif de mobiliser un personnel qualifié et d’offrir des structures d’accueil adaptées, parce qu’il serait intéressant, enfin, de créer une plateforme interdépartementale, voire interrégionale, pour partager les bonnes pratiques en la matière. C’est par l’émulation que nous arriverons à généraliser les systèmes les plus performants d’accompagnement des victimes mineures.
Je ne peux conclure mon intervention sans évoquer le fait migratoire que connaît l’Europe depuis de nombreux mois.
L’arrivée massive de migrants sur notre continent aboutit, dans certains cas, à l’exploitation de ces personnes. Leur vulnérabilité et leur désespoir peuvent les faire tomber aux mains de réseaux de traite.
Le cas des mineurs est une nouvelle fois préoccupant, 22 % des migrants arrivant en Europe ayant moins de 18 ans. Au cours des deux dernières années, 10 000 d’entre eux auraient disparu en Europe. Il est à craindre qu’une partie de ces enfants soit exploitée, notamment sexuellement, par les réseaux.
« Abolir la traite des êtres humains n’est pas une utopie. Si chacun s’informe, écoute, dénonce, agit, ensemble nous y parviendrons. » Ces mots de Véronique Fayet, présidente du Secours catholique-Caritas France, ouvrent la préface de l’ouvrage collectif Les Nouveaux Visages de l’esclavage, qui apporte, par le biais de témoignages, un éclairage confondant et nécessaire. C’est par ces mêmes mots que je termine mon intervention, en espérant que l’espoir est permis.