Chacun a pu constater que l’état d’urgence n’était pas synonyme d’arbitraire, et que les décisions prises et les actes effectués sur son fondement étaient tous prévus et strictement encadrés par la loi, tout comme les raisons justifiant d’y avoir recours et de le prolonger.
De la même manière, les mesures de police administrative que nous prenons en application de l’état d’urgence présentent un caractère exceptionnel. Elles doivent être strictement proportionnées à la nature de la menace et à l’ordre public qui en découle. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs très clairement rappelé le 19 février dernier : les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence doivent concilier « la prévention des atteintes à l’ordre public » avec « le respect des droits et des libertés », parmi lesquels figurent le droit et la liberté « d’expression collective des idées et des opinions ».
J’ai eu à le dire durant les séances de questions d’actualité : l’état d’urgence n’est pas un état de convenance politique et ne doit pas être détourné de son objet initial, qui consiste à prévenir la commission de nouveaux attentats terroristes. Il en va de la solidité de notre démocratie. Pour la même raison, je veux rappeler le principe essentiel selon lequel l’état d’urgence n’a pas vocation à durer plus longtemps que nécessaire.
Aujourd’hui, nous en demandons à nouveau la prorogation, en raison de la persistance d’un péril terroriste et dans un contexte particulier marqué par l’organisation d’événements de dimension internationale qui contribuent au rayonnement de la France.
En ce qui concerne l’intensité de la menace, le 22 mars dernier, Bruxelles a été victime à son tour d’un attentat multisites d’une extrême violence qui a provoqué la mort d’une trentaine de victimes. Le 24 mars suivant, à Argenteuil, grâce à l’action de nos services, nous avons mis en échec un nouveau projet d’attentat, et même sans doute plusieurs.
Si les investigations menées à l’échelle européenne ont permis d’arrêter, au cours de ces dernières semaines, la plupart des membres identifiés appartenant au réseau terroriste ayant fomenté et exécuté les attentats de Paris et de Bruxelles, nous savons que la menace demeure à un niveau élevé. Nous savons aussi que les attentats de Bruxelles ont été commis dans cette ville faute, pour leurs auteurs, d’avoir pu bénéficier du temps nécessaire pour frapper à nouveau la France, car tel était bien leur projet.
Songez que, depuis le début de l’année, les services spécialisés de police ont procédé à 101 interpellations en lien direct avec le terrorisme djihadiste, lesquelles ont donné lieu à 45 mises en examen et à 33 mises sous écrou. Ces chiffres illustrent à eux seuls le niveau de la menace…
L’organisation l’été prochain de l’Euro 2016 et du Tour de France nous impose de faire preuve d’une vigilance redoublée. Ces événements populaires et d’ampleur internationale constituent en effet des cibles potentielles pour les terroristes.
Je veux maintenant vous présenter un bilan précis des mesures que nous avons mises en œuvre et des résultats qu’elles nous ont permis d’obtenir dans le cadre de la deuxième phase de l’état d’urgence.
Comme vous le savez, dans les premiers jours de l’état d’urgence, en novembre dernier, les forces de sécurité ont conduit plusieurs centaines de perquisitions administratives dans le but de déstabiliser les filières terroristes. Le risque d’une réplique immédiate des attentats qui venaient de frapper notre pays était en effet très élevé, comme l’a démontré la neutralisation, au cours d’une opération à Saint-Denis le 18 novembre dernier, d’Abdelhamid Abaaoud, alors qu’il projetait de commettre un nouvel attentat.
Globalement, il a été procédé à 3 427 perquisitions administratives durant la première période de l’état d’urgence, c’est-à-dire jusqu’au 26 février. Une fois ce considérable travail accompli par les forces de sécurité, le nombre des perquisitions a logiquement diminué pour s’établir à 145 entre le 27 février et le 9 mai.
Vous noterez toutefois que, en dépit de cette baisse du nombre des perquisitions, 162 armes supplémentaires ont encore été saisies au cours de cette deuxième phase, attestant que des personnes particulièrement dangereuses avaient été ciblées. Au total, depuis le déclenchement de l’état d’urgence, 750 armes ont été neutralisées, dont 75 armes de guerre.
En outre, ces perquisitions ont permis de conduire un important travail de renseignement, de levée de doutes et de mise à jour des fichiers. Ce travail s’est poursuivi durant la deuxième phase de l’état d’urgence.
Quant aux suites judiciaires des mesures que nous avons prises, sachez que 594 perquisitions administratives ont donné lieu à l’ouverture d’une procédure judiciaire, dont 223 du chef d’infraction à la législation sur les armes et 206 du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants. À l’issue de ces procédures, 28 informations judiciaires et 67 peines ont été prononcées, et 56 personnes ont été placées en détention, résultats là encore particulièrement significatifs.
Pour ce qui concerne les assignations à résidence, sur les 268 procédures en vigueur au 26 février dernier, 69 ont été renouvelées. Trois nouvelles assignations ont été décidées au cours de cette deuxième phase, ce qui porte à 72 les décisions d’assignations à résidence.
Par ailleurs, deux suspensions ont été prononcées par le juge administratif et une assignation a été abrogée sur l’initiative de l’administration, car, de façon concomitante à l’abrogation, la personne concernée a été expulsée du territoire national.
Je rappelle que, depuis le début de l’état d’urgence, 216 recours en référé ont été engagés devant le juge administratif contre les mesures d’assignation à résidence ; 16 suspensions ont été prononcées et 12 mesures ont été annulées lors de leur examen au fond. Par ailleurs, 9 perquisitions ont fait l’objet d’une annulation contentieuse.
Ces chiffres montrent précisément à la fois que le contrôle exercé par le juge administratif a été rigoureux – contrairement à ce que certains avaient redouté – et que l’administration a agi avec discernement, puisque la très grande majorité des mesures prises ont été validées.
À ce jour et depuis 2013, pas moins de douze attentats ont été déjoués, dont sept depuis janvier 2015. Je veux par conséquent saluer le travail réalisé par les services de renseignement et notamment par la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure. Je rappelle que cette direction est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 261 dossiers judiciaires concernant 1 157 individus pour leur implication dans des activités terroristes.
J’en viens à présent à la prorogation de l’état d’urgence et aux raisons pour lesquelles nous la croyons à nouveau absolument nécessaire.
Au cours de ces derniers mois, plusieurs attentats, qu’ils soient d’ampleur comparable ou inférieure à ceux du 13 novembre dernier, ont été commis à l’étranger contre nos intérêts et nos ressortissants. Les groupes djihadistes ont également visé des alliés directs de la France.
Grâce aux investigations, nous savons que les terroristes impliqués dans les attentats de Bruxelles du 22 mars dernier appartenaient à la même cellule que celle qui a planifié et exécuté les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis. En outre, le parquet fédéral belge a confirmé que les attentats de Bruxelles, qui ont tué 32 personnes et en ont blessé plus de 300, avaient initialement été envisagés et programmés pour être exécutés en France, avant que les terroristes, pris de cours par les investigations judiciaires menées en Belgique, ne soient contraints de précipiter leur action dans la capitale belge.
À l’heure actuelle, la menace terroriste demeure donc à un niveau très élevé. La France représente clairement une cible prioritaire en raison du combat résolu qu’elle mène contre les djihadistes au Sahel, en Irak et en Syrie, mais aussi, plus profondément, en raison des principes universels de liberté, de laïcité et d’émancipation qui sont les nôtres depuis plus de deux siècles et qui font horreur aux terroristes djihadistes.
Pour toutes ces raisons, et quelles que soient les précautions que nous prenons, il ne nous est pas permis de nous croire à l’abri, ni de considérer que le « péril imminent » qui a justifié, en novembre dernier, la proclamation de l’état d’urgence a disparu.
J’ajoute que, dans les mois qui viennent, les enjeux de sécurité seront d’autant plus complexes à gérer que nous nous apprêtons à accueillir un nombre très important de visiteurs étrangers à l’occasion de l’Euro 2016, du 10 juin au 10 juillet prochain. Comme je l’ai déjà dit, ce grand événement festif d’ampleur internationale constitue une cible potentielle pour les groupes terroristes.
Selon les déclarations faites à la presse belge par le parquet fédéral belge, la France, comme d’autres pays de l’Union européenne, continue d’être visée par des projets de nature terroriste.
Bien entendu, un effort considérable a déjà été engagé, dans le cadre du droit commun, pour renforcer notre dispositif de lutte antiterroriste, avec, notamment, le rétablissement de contrôles aux frontières et le déploiement, sur l’ensemble du territoire national, de 110 000 policiers, gendarmes et militaires de nos armées dans le cadre de l’opération Sentinelle. En outre, le vote de la loi Savary et l’examen en cours du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale nous permettront de prendre le relais.
Cependant, même si nous prenons par ailleurs les précautions qui s’imposent pour garantir la sécurité dans les stades et dans les « fans zones », et même si la mobilisation des forces de l’ordre sera à cette occasion maximale, nous avons besoin de pouvoir recourir à des mesures prévues par l’état d’urgence dans ce contexte spécifique, caractérisé par une absolue nécessité.
La demande de prorogation que le Gouvernement soumet à votre approbation n’est donc ni une mesure de confort ni une facilité. Elle est dictée par l’existence de menaces et par l’ensemble des événements que nous avons pu connaître dans un passé récent.
Avant de conclure, je veux apporter certaines précisions concernant les mesures que nous comptons mobiliser dans le cadre de cette troisième prorogation de l’état d’urgence.
Comme l’autorise la loi du 3 avril 1955, le Gouvernement envisage de ne pas activer, dans ce cadre, l’article 11, qui permet de mettre en œuvre des perquisitions administratives dans des lieux dont on pense qu’ils sont fréquentés par des individus constituant une menace pour l’ordre et la sécurité publics. En effet, cette mesure, que nous avons largement utilisée après les attentats du 13 novembre, ne présente plus aujourd’hui le même intérêt opérationnel, la plupart des lieux identifiés ayant déjà fait l’objet d’investigations poussées.
En outre, l’invalidation par le Conseil constitutionnel de la disposition permettant de réaliser copie des données informatiques recueillies au cours des perquisitions administratives fait perdre une partie de son utilité à cette mesure.
En revanche, les autres mesures continueront d’être mobilisées pour maintenir les individus assignés à résidence, pour interdire à ceux qui font l’objet d’une interdiction de sortie du territoire, mais qui n’ont pas été assignées à résidence de se trouver à proximité de certains lieux jugés sensibles, ou encore pour établir des périmètres de protection. Les mesures de maintien de l’ordre public en situation de crise grave seront bien sûr activées si elles s’avèrent nécessaires, et ce en conformité parfaite avec les principes de droit posés par la jurisprudence et la Constitution.
Cette nouvelle prorogation de l’état d’urgence, dont nous sollicitons l’approbation par le Parlement, a de nouveau pour objet de concilier la protection de l’ordre et de la sécurité publics dans le contexte d’une grave menace terroriste avec la protection des droits et des libertés garantis par notre Constitution.
C’est avec cette ambition que le Gouvernement vous soumet cette demande. La commission l’ayant soutenue, nous espérons qu’il en sera de même pour le Sénat dans son ensemble.