Monsieur le président, mes chers collègues, comme vient de nous le rappeler M. le ministre de l’intérieur, nous sommes saisis aujourd’hui par le Gouvernement d’une nouvelle demande de prorogation de l’état d’urgence.
Il s’agit pour nous de répondre à une question simple : le Gouvernement a-t-il besoin de maintenir l’état d’urgence pour pouvoir remplir sa mission de maintien de l’ordre public ?
Au-delà du bilan de l’état d’urgence depuis le mois de novembre dernier, bilan que vous trouverez dans le rapport législatif et qui, bien entendu, corrobore celui que vient de présenter M. le ministre de l’intérieur, nous devons apporter une réponse à cette interrogation au regard des conditions que pose la loi de 1955.
Dans ce court exposé, je voudrais souligner, car cela mérite de l’être, que, s’il n’y a pas eu de réforme de la Constitution pour introduire l’état d’urgence dans notre loi fondamentale, il y a désormais un droit constitutionnel de l’état d’urgence, constitué par les trois décisions du Conseil constitutionnel.
Existe-t-il un risque imminent d’atteinte grave à l’ordre public qui justifie le recours à l’état d’urgence, ou plus précisément à sa prorogation ?
M. le ministre nous a expliqué, tant aujourd’hui que lors de son audition devant la commission des lois, que la menace terroriste était permanente, diffuse et largement présente sur le territoire national et dans les pays voisins. En d’autres termes, le risque d’attentat est à un niveau élevé, comme le démontrent trois événements au moins : les attentats de Bruxelles, ceux qui ont été perpétrés en Afrique sahélienne, où nos soldats mènent la lutte contre Daech, et également les opérations menées à Argenteuil, près de Paris, où les services de l’État ont déjoué une tentative d’attaque terroriste sur le point d’être menée.
La menace terroriste existe donc bel et bien. Même si nous avons appris, un peu, à vivre avec, elle n’en demeure pas moins très actuelle, et elle nécessite un engagement total des forces de l’ordre, auxquelles nous tenons à rendre hommage : depuis le mois de novembre, gendarmes, policiers et soldats assurent la sécurité des Français de façon tout à fait admirable.
La situation est rendue plus complexe encore par l’organisation de deux événements sportifs très importants : l’Euro 2016 de football et le Tour de France. Le Conseil d’État, dans l’avis rendu sur le présent projet de loi, souligne que « la conjonction d’une menace terroriste persistante d’intensité élevée et de ces deux très grands événements sportifs » qui vont entraîner de grands mouvements de foule, caractérise le « péril imminent » tel qu’il est exigé par la loi de 1955 pour que soit mis en œuvre l’état d’urgence.
On peut donc répondre sans crainte par l’affirmative : les conditions sont aujourd’hui réunies pour proroger l’état d’urgence.
La demande du Gouvernement est de surcroît réduite par rapport aux deux précédentes, puisqu’il nous est demandé de voter une prolongation de deux mois, c’est-à-dire jusqu’au 26 juillet 2016, lorsque ces deux événements auront pris fin. À cette date, également, le projet de loi destiné à lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme aura été définitivement voté. La commission mixte paritaire ayant lieu demain, nous pouvons tous souhaiter qu’elle aboutisse.
Certes, le péril est imminent, mais il est permis de réduire le délai, parce que l’État sera armé autrement. Grâce au vote du texte que je viens d’évoquer, les procédures de droit commun seront plus efficaces pour lutter contre le terrorisme. Celui-ci ne disparaîtra pas avec la fin de l’état d’urgence, mais nous le combattrons avec d’autres moyens, ceux du droit commun.
Enfin, le Gouvernement ne nous demande plus de prévoir la possibilité de procéder à des perquisitions administratives, lesquelles, comme M. le ministre vient de le rappeler, ont largement perdu de leur efficacité. En effet, d’une part, les services ont déjà perquisitionné ce qu’il y avait à perquisitionner et, d’autre part, le Conseil constitutionnel a réduit l’efficacité de ces mesures dans sa décision sur une question prioritaire de constitutionnalité du 19 février 2016.
Aussi, je le répète, nous pouvons répondre favorablement à la demande du Gouvernement.
Pour terminer, je voudrais insister sur un point qui a souvent fait débat : l’état d’urgence est-il synonyme de la fin de l’État de droit ? Permet-il aux forces de l’ordre d’agir sans contrôle ? Le pouvoir exécutif peut-il faire ce qu’il veut dans ce cadre ?
Peut-être n’y avons-nous par prêté une attention suffisante, mais je crois pouvoir dire qu’il s’est développé, depuis le mois de novembre dernier, un droit spécifique de l’état d’urgence.
Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel sont intervenus pour fixer une jurisprudence, nouvelle en ce qui concerne le second, qui ne s’était jamais prononcé sur le sujet.
Le Conseil d’État a également fixé des règles très claires et très strictes quant aux procédures d’urgence. Je rappelle qu’il a notamment indiqué qu’en cas d’assignation à résidence, lorsque le juge administratif était saisi par la voie du référé, la condition d’urgence était toujours remplie, ce qui veut dire que la personne visée par la mesure a toujours le droit, reconnu par le juge administratif, de plaider son cas devant une instance juridictionnelle. Après, il appartient au juge de trancher dans un sens ou dans l’autre, mais la personne visée a le droit d’aller à l’audience, principe important et remarquable. À cet égard, le Conseil d’État a été, une fois encore, le juge des libertés publiques.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans trois décisions, a construit un droit constitutionnel de l’urgence. On peut regretter, ou pas, qu’il n’y ait pas eu de réforme constitutionnelle, mais force est d’admettre qu’une telle révision n’est plus utile, puisque le Conseil constitutionnel vient de fixer le droit constitutionnel de l’état d’urgence au travers de trois QPC, dans lesquelles il a pu traiter des perquisitions, des assignations, des limites à la liberté de réunion, et également des limites à la liberté d’utiliser des données informatiques copiées.
De ce point de vue, le juge constitutionnel est resté fidèle, là aussi, à sa ligne traditionnelle de défense des libertés publiques. Il a été fort sourcilleux sur la conciliation équilibrée que doit réaliser le pouvoir exécutif entre la nécessité de prévenir les atteintes à l’ordre public et le respect des droits et des libertés.
En conclusion, sous le bénéfice de ces observations, je vous invite tout d’abord, au nom de la commission des lois du Sénat, à voter le texte tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, aucun amendement n’ayant été déposé.
Je précise que le comité de suivi de l’état d’urgence, dont les membres ont aussi été chargés de travailler sur la réforme pénale, se réunira deux fois dans les semaines qui viennent : l’une pour entendre les services du ministère de l’intérieur, l’autre pour auditionner le président de la section du contentieux du Conseil d’État, qui viendra nous faire part des dernières décisions de cette juridiction.