Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 10 mai 2016 à 14h30
Prorogation de l'état d'urgence — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Si l’utilité de la déclaration de l’état d’urgence après les attentats ne fut guère contestée, la question qui se pose désormais, c’est de savoir quand et comment on en sort. Autrement dit, qu’est-ce qui justifie une nouvelle prorogation de l’état d’urgence ?

Le Gouvernement, conforté en droit par un avis favorable de la section de l’intérieur du Conseil d’État, justifie l’adoption de ce texte par la permanence de l’existence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public.

Cela peut s’entendre, mais, eu égard à la situation extérieure au Moyen-Orient et au phénomène intérieur de radicalisation, on peut craindre que cela ne se prolonge très durablement.

Monsieur le ministre, malgré votre effort de transparence, nous n’avons toujours pas en notre possession – on peut d'ailleurs considérer que ce n’est pas normal – tous les éléments de nature à nous permettre d’apprécier précisément la nature du péril qui nous menace. Il n’y a guère que notre confiance – et, je l’ai dit, elle est grande – en votre parole et en votre action personnelle pour nous convaincre.

Au-delà de l’existence du péril imminent, l’utilité des mesures prévues par la loi du 3 avril 1955 dans la lutte contre le terrorisme reste également à démontrer. L’effet de surprise des perquisitions administratives, inversement proportionnel à leur durée de mise en œuvre, s’est estompé, au point que vous avez choisi d’y renoncer. Les assignations à résidence, qui représentent une charge de travail supplémentaire pour les forces de l’ordre, ne permettent pas une neutralisation satisfaisante des individus les plus dangereux, et quand ils le sont trop, on n’y recourt pas pour ne pas éveiller leur attention !

Pour le reste, la loi de 1955 nous autorise à prononcer la dissolution des associations et groupements de fait participant à la commission d’actes portant grave atteinte à l’ordre public, à décider la fermeture provisoire de salles de spectacles et de lieux de réunion. La loi de 1955 nous autorise à obtenir les remises d’armes et de munitions, à interdire de circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et heures fixés par le préfet et à prononcer des interdictions de séjour. Monsieur le ministre, vous n’avez pratiquement pas eu besoin de recourir à ces mesures jusqu’ici.

En résumé et pour être clair, l’utilité de l’état d’urgence est aujourd’hui quasi nulle sauf en termes de communication, compte tenu des problèmes que posent l’Euro de football et le Tour de France. Toutefois, s’il se produisait un nouvel attentat, l’opinion vous reprocherait, monsieur le ministre, d’être sorti de l’état d’urgence – à tort, mais elle le ferait, et il faut en prendre acte ! C’est aussi pour cela que nous voterons la prorogation de l’état d’urgence.

Monsieur le ministre, vous nous avez également rappelé le lien entre les récents événements de Bruxelles et la menace djihadiste qui plane sur notre pays. Après le triple attentat-suicide, les autorités belges ont justement fait le choix de ne pas instituer un régime d’exception, en insistant sur la nécessité pour les citoyens belges de garder confiance dans leurs institutions.

Nous continuons à dire que, ce qui est essentiel, au-delà de l’accumulation de textes sécuritaires, c’est de donner à nos forces de sécurité et de renseignement les moyens matériels et humains leur permettant d’accomplir leurs missions. Et je déplore, comme des juges antiterroristes l’ont fait, qu’aucune des lois postérieures à janvier 2015 n’ait visé à améliorer la synergie entre services de renseignement et institutions judiciaires. Comment ne pas déplorer que l’état d’urgence se soit instillé jusque dans la procédure parlementaire !

L’état d’urgence n’est peut-être pas un état de convenance, mais il est porteur d’illusions : l’illusion d’une sécurité recouvrée et l’illusion de libertés préservées s’y côtoient, alors que le juge administratif devient le juge de la liberté d’aller et venir. Hors des procédures d’urgence, il intervient nécessairement a posteriori, donc trop tard. À cela, il convient de mettre fin le plus rapidement possible.

Mes chers collègues, je voudrais pouvoir vous dire que je voterai cette loi de prorogation avec la même conviction qu’au lendemain du 13 novembre. Je le ferai, mais avec les réserves que j’ai indiquées.

À ce stade, je tiens, au nom de l’ensemble du groupe, à rendre hommage à ces forces de l’ordre qui font leur devoir au service de la République. Même s’il a pu exister quelques erreurs auxquels vous avez su réagir, nous considérons comme déplacées et détestables les attaques proférées récemment contre ces forces de l’ordre.

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