… est un peu surprenante. Elle l’est d’autant plus que les mesures adoptées dans le cadre du projet de loi visant à lutter contre le crime organisé et à réformer la procédure pénale étaient censées rendre inutile toute prorogation, l’état d’urgence s’immisçant, de fait, dans notre droit commun.
L’article unique du projet de loi, qui ne comporte que deux points – prorogation pour une durée de deux mois de l’état d’urgence et possibilité, pour le conseil des ministres, d’y mettre fin par décret avant l’expiration de ce délai –, est pourtant largement justifié par le Gouvernement dans son exposé des motifs, relativement long, avec ses sept pages, et qui repose, selon nous, sur des arguments pour le moins approximatifs.
D’abord, le Gouvernement estime que, depuis le 26 février, l’usage des mesures exceptionnelles prévues dans le cadre de l’état d’urgence a été « mesuré mais nécessaire ». Pourtant, mes chers collègues, la mesure autant que la nécessité restent à prouver.
Au contraire, le caractère disproportionné et attentatoire aux libertés publiques de ces dispositions ne cesse d’être démontré par de nombreux syndicats, associations, organismes de défense des droits de l’homme et autres professionnels du droit – Défenseur des droits, Ligue des droits de l’homme et Amnesty International en tête.
L’état d’urgence permet aujourd’hui le recours à des perquisitions administratives de jour comme de nuit, à des assignations à résidence, à la réglementation et à l’interdiction du séjour et de la circulation, à l’interdiction de réunions, à la dissolution d’associations et à la remise d’armes.
Or toutes ces mesures peuvent, sans exception, être ordonnées en vertu de dispositions de droit commun. Dans le seul cas de l’assignation à résidence, l’état d’urgence permet véritablement d’étendre le champ d’application matérielle de la mesure, en l’occurrence, à d’autres personnes que celles qui sont mises en examen ou poursuivies, ou à des étrangers en situation irrégulière.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous n’envisagez pas de reconduire avec cette prorogation la mesure prévue à l’article 11 de la loi de 1955 concernant les perquisitions administratives. Ainsi, l’une des mesures véritablement visées par le Gouvernement est l’assignation à résidence. Mais une question se pose : qu’allons-nous faire des soixante-huit personnes qui resteraient à ce jour assignées à résidence lorsque prendra fin l’état d’urgence ?
Ce fonctionnement nous interroge. Soit ces personnes sont réellement dangereuses et, dans ce cas, l’enquête avance, aboutit à un procès équitable puis à une éventuelle incarcération. Soit les « raisons sérieuses de penser » que ces personnes sont dangereuses ne sont pas avérées et, dans ce cas, on leur rend leur liberté d’aller et venir. Qu’en est-il à ce sujet, monsieur le ministre ?
Outre la menace terroriste, toujours présente et que personne ne peut ignorer, la justification phare de cette prorogation repose sur les deux grands événements sportifs à venir sur notre territoire, l’Euro 2016 et le Tour de France. En ce sens sont annoncés des renforts massifs d’unités de forces mobiles et des milliers d’agents de sécurité privée, habilités à effectuer des contrôles, ainsi que la contribution, dans le cadre de l’opération Sentinelle, des forces armées.
D’abord, ces déploiements seront effectués en application de notre droit commun, et non pas des dispositions propres à l’état d’urgence. Ensuite, une nouvelle question se pose : chaque grand événement – sportif ou non – que la France organisera donnera-t-il lieu à la prorogation ou à un nouveau décret de l’état d’urgence ?
Comment juger du risque que représentent des événements à venir tels que les Journées européennes du patrimoine, la Grande Braderie de Lille en septembre, la Foire internationale d’art contemporain à Paris en octobre, ou encore la Fête des lumières à Lyon en décembre ? Et je ne vous ai pas parlé d’une grande fête populaire qui me tient très à cœur et qui a lieu au mois de septembre.