Intervention de Claude Raynal

Réunion du 10 mai 2016 à 14h30
Répression des abus de marché — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Claude RaynalClaude Raynal :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer sur une proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale ayant pour objet la réforme du système de répression des abus de marché.

Comme cela a été dit par notre collègue Montgolfier, la commission des finances a constitué une mission d’information sur les pouvoirs de sanction des régulateurs financiers, dont les conclusions avaient fait l’objet d’une première proposition de loi déposée dans les mêmes termes par le rapporteur général et par moi-même.

Cet intérêt du législateur a pour origine, outre une demande forte de l’opinion publique, eu égard à la multiplication des scandales financiers et à la nécessité d’y répondre, une cause juridique. En effet, depuis plus d’un an, ces travaux parlementaires, rapports, propositions de loi, ont pour origine, cela a été dit, la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 remettant en cause le système actuel de cumul des poursuites pénales et administratives et demandant d’y mettre fin avant le 1er septembre 2016, cette inconstitutionnalité faisant alors écho à l’absence de conventionnalité, prononcée dès 2014, du dispositif actuel au regard de la jurisprudence Grande Stevens de la Cour européenne des droits de l’homme.

Ce faisant, cette proposition de loi doit aussi permettre une régulation du secteur financier efficace, adossée à un système de sanctions proportionnées et justes, dont la crise financière et, plus encore, la crise économique, sociale et budgétaire qui en a résulté ont montré l’impérieuse nécessité.

Il est clair que l’opinion publique attend une répression plus sévère et plus juste face à la répétition des scandales financiers, qu’il s’agisse des systèmes de Ponzi échafaudés par certains opérateurs, ou encore des manipulations de cours et d’indices mis en place par certains acteurs du marché, y compris au sein de la direction des plus grands établissements. En effet, au-delà du problème juridique créé par l’application du principe ne bis in idem aux infractions financières, l’actualité récente montre, s’il en était besoin, la nécessité de légiférer.

Face aux pratiques régulièrement mises à jour, la remise à plat de l’attribution des poursuites entre le juge judiciaire et l’AMF est un prérequis nécessaire, mais insuffisant à la répression effective de ces infractions. En effet, au-delà, l’augmentation du quantum des peines, y compris des peines privatives de liberté, afin d’en renforcer le caractère dissuasif, est sans doute la meilleure réponse à apporter à cette criminalité « en col blanc ».

En la matière, on ne peut que constater la différence entre les peines prononcées par la justice américaine, fortement médiatisées, qui peuvent atteindre plusieurs milliards de dollars, et le total des peines prononcées par le juge pénal et les régulateurs en France, qui ne dépasse pas quelques dizaines de millions d’euros. Cette situation repose sur plusieurs faiblesses de notre système répressif.

La première, la plus visible, est celle, comme nous venons de le dire, des sanctions applicables, trop faibles pour être dissuasives auprès des principaux établissements financiers, en particulier bancaires, et des grands émetteurs.

Une bonne régulation des opérateurs du secteur financier implique que les autorités en charge de cette régulation puissent réagir rapidement lorsque des dérives sont constatées, qu’elles soient en mesure de tracer une ligne entre les comportements acceptables et ceux qui ne le sont pas et, pour cela, qu’elles disposent de pouvoirs répressifs propres, débouchant sur des sanctions rapides et dissuasives.

À cette fin, il convient que les pénalités financières susceptibles d’être infligées soient mieux adaptées à la taille des opérateurs.

Dans cette perspective, la présente proposition de loi prévoit, et c’était nécessaire, une hausse du plafond des sanctions pécuniaires, notamment pour les abus de marché qui sont désormais punis d’une amende de 100 millions d’euros contre seulement 1, 5 million d’euros précédemment, ce montant pouvant être porté au décuple du montant de l’avantage retiré du délit ou des pertes qu’il a permis d’éviter. Les peines d’emprisonnement passent, elles, de deux à cinq ans. Il importe, en effet, que les sanctions pénales constituent une peine effective, afin de mieux répondre au principe de responsabilité qui doit s’appliquer aux acteurs du secteur financier.

La deuxième faiblesse tient au manque d’articulation entre les deux voies répressives en matière d’abus de marché, la voie administrative auprès de l’Autorité des marchés financiers, et la voie pénale auprès du Parquet national financier, créé en 2014.

Notre système actuel de double répression se caractérise, d’abord, par une coopération perfectible au stade des enquêtes, qui nuit au traitement des affaires. Il se manifeste ensuite, quelquefois, par une concurrence au stade des poursuites, où la plus rapide des deux voies – la voie administrative, le plus souvent – se prononce la première, le juge pénal n’intervenant en général que dans un second temps, au terme d’une longue procédure, comme pour compléter une sanction administrative préalable.

L’inefficacité de cette procédure est, enfin, mise en évidence par la faiblesse des pénalités financières prononcées, en raison de plafonds particulièrement bas, sans lien avec la surface financière des établissements concernés, et par l’absence de peines de prison fermes et effectives prononcées par le juge pénal.

La troisième faiblesse, qui fera l’objet de mesures spécifiques dans le projet de loi dit « Sapin II », ce dont je me félicite, tient à l’absence de mesures véritablement protectrices en faveur des « lanceurs d’alerte » qui ont signalé aux autorités de contrôle les infractions dont ils ont eu connaissance en tant que salariés d’entreprises du secteur financier. Ce sujet est majeur ; il doit impérativement être traité.

C’est au regard de ces constats que cette proposition de loi vise à changer le cadre organisant les poursuites, en passant de la compétition à la coopération entre autorités de poursuite. Ce changement de paradigme repose sur un principe simple : la transmission permanente d’informations en amont de la notification des griefs par l’AMF ou de la mise en mouvement de l’action publique par le parquet financier.

En effet, si le lancement de l’une de ces procédures interdit l’autre, c’est en amont de ces procédures que la transmission systématique d’information doit conduire à un consensus sur l’opportunité des poursuites par l’une ou l’autre entité, chacune d’elle étant en mesure, avant même l’ouverture de la procédure, de présenter des observations ou, en cas de désaccord, de bloquer sa mise en œuvre.

En cas d’échec de cette concertation entre l’AMF et le Parquet national financier, et afin de respecter le principe ne bis in idem, plusieurs pistes ont été envisagées, de la mise en place d’une instance d’appel neutre et paritaire sur le modèle du Tribunal des conflits, formule qui avait notre préférence, à une prédominance de l’autorité judiciaire.

Après avis du Conseil d’État, c’est finalement cette dernière solution qui a été retenue comme plus sûre juridiquement. En effet, il appartiendrait désormais au procureur général près la cour d’appel de Paris de trancher, par une décision définitive et insusceptible de recours, en cas de désaccord entre les autorités chargées de poursuites.

Cette proposition de loi est donc la bienvenue, avant tout parce qu’elle répond à une demande du juge constitutionnel et qu’elle évite de se retrouver sans texte applicable au 1er septembre prochain. Elle propose une méthode de travail à l’AMF et au procureur financier qui permet de répondre avec célérité et, nous le croyons, économie de moyens aux infractions constatées. Elle aligne les sanctions pénales pécuniaires sur des montants nettement plus dissuasifs pour les personnes physiques et morales concernées. Enfin, elle rend effectives les éventuelles sanctions pénales, privatives de liberté, prononcées.

Il nous reste donc, aujourd'hui, à nous prononcer sur quelques amendements qui sont, selon moi, plus de forme que de fond. En tout cas, s’il advenait que quelques difficultés subsistent à l’issue de nos travaux, je forme le vœu que la commission mixte paritaire dégage la meilleure écriture possible de la loi, évitant ainsi le recours à une deuxième lecture.

Pour toutes les raisons que je viens d’invoquer, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi à la fois nécessaire, utile et ambitieuse.

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