Intervention de Annie David

Réunion du 31 janvier 2008 à 9h45
Pouvoir d'achat — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Annie DavidAnnie David :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous en arrivons au deuxième texte de cette matinée. Non moins que le précédent, il est emblématique de votre volonté de mettre en oeuvre une politique des plus libérales.

En effet, votre majorité adoptera sans doute, dans quelques instants, le texte intitulé abusivement - j'insiste sur ce terme, car tel est bien mon point de vue ainsi que celui de l'ensemble des sénatrices et sénateurs de mon groupe -, « Pour le pouvoir d'achat ».

Bien sûr, certains salariés, celles et ceux qui disposent d'une monnaie d'échange, à savoir de RTT en trop ou de primes d'intéressement ou de participation - et ils sont loin d'être les plus nombreux, vous le savez - pourront les faire monétiser. Mais il s'agit en réalité d'un échange, car cet argent leur est dû, ni plus ni moins !

Malheureusement - je ne me faisais au demeurant aucune illusion à cet égard -, la commission mixte paritaire, réunie mardi dernier, n'aura pas permis de modifier l'esprit de votre projet de loi. Celui-ci sort de la CMP identique à ce qu'il était après son passage au Sénat, M. About l'a d'ailleurs souligné. Vous vous doutez donc du sort que lui réservera mon groupe !

Madame le ministre, je souhaite néanmoins expliciter les raisons de notre profond désaccord.

En premier lieu, pour mon groupe et pour moi, l'augmentation du pouvoir d'achat passe par un accroissement des revenus mensuels - car c'est bien à chaque fin de mois que bon nombre de nos concitoyennes et concitoyens se trouvent en difficulté - et donc par une revalorisation de leur travail, c'est-à-dire une augmentation de leur salaire, seule source de revenu pour beaucoup d'entre eux.

Nous avons eu à ce propos un échange intéressant lors de la CMP. Je tiens d'ailleurs à rassurer M. Dassault, même s'il n'est pas parmi nous ce matin : je fais bien la différence entre les salaires et les primes ! Je ne possède certes pas son expérience en matière de « management » d'entreprise, mais il n'a pas la mienne en tant que salariée, et l'une vaut l'autre, étant entendu que chacune forge toutefois un point de vue fort différent sur la société à construire !

M. Dassault ainsi que d'autres sénatrices et sénateurs du groupe UMP me parlaient d'esprit d'entreprise et de motivation. Mais quoi de plus motivant et de plus gratifiant pour un salarié que la reconnaissance de son travail par une rémunération à la hauteur de sa tâche ? Une juste rémunération c'est une rétribution respectueuse de chaque individu. Le partage des richesses ne doit pas se faire entre quelques privilégiés, mais bien entre tous les salariés qui ont contribué, à la hauteur de leur classification, à la production de ces richesses.

Lorsque j'évoque une augmentation des salaires, je vise la rémunération de tous les salariés, dans le privé comme dans le public. Il s'agirait d'une mesure beaucoup plus équitable que celle que vous proposez.

En effet, le niveau des salaires reste bien la vraie question. Comme je le soulignais à l'instant, les salaires sont tellement bas et les prix tellement hauts que la fin du mois, pour beaucoup, est plus proche du 15, voire du 10, que du 30 !

Si vous me permettez une petite digression, j'ajouterai que celles et ceux qui pourraient quelque peu épargner le feront à un taux d'intérêt très réduit, puisque votre gouvernement a plafonné l'augmentation du taux du livret A. Les banques ont donc tout loisir pour proposer des placements à risques, y compris aux retraités, en promettant des bénéfices records, et avec le résultat qu'on sait - mais je n'évoquerai pas de nouveau l'affaire de la Société générale !

J'en reviens à la question du pouvoir d'achat, dont je ne m'étais d'ailleurs pas vraiment éloignée.

Lorsqu'on les interroge, un grand nombre de salariés nous affirment avoir l'impression que leur travail n'est pas correctement rémunéré. Or ce sentiment est confirmé par les chiffres : la répartition entre le capital et le travail s'est inversée au cours des dernières décennies. La Commission européenne, dont vous ne pouvez raisonnablement affirmer qu'elle est proche de nos positions, nous donne d'ailleurs raison puisqu'elle précise que la part des salaires dans le PIB a diminué plus fortement en France que dans les autres pays d'Europe, perdant 9, 3 points entre 1983 et 2006.

Ce constat se précise à la lecture du « portail sociétal » réalisé par l'INSEE en 2007 : la masse des salaires et des traitements bruts progresserait moins vite en 2005 et 2006 que les années précédentes, alors que, dans le même temps, les revenus patrimoniaux augmentent considérablement, à l'image des revenus locatifs, qui progressent de 8, 6 %. Pour augmenter le pouvoir d'achat pour toutes et tous, il faut donc relancer les salaires !

Du reste, les salariés ne s'y trompent pas. Si certains souhaitent monétiser leurs RTT au motif qu'ils n'arrivent pas à les consommer toutes, ce ne sont pas ceux dont le pouvoir d'achat est le plus bas, nous en sommes d'accord ! Ce sont les cadres, qui sont soumis à de telles conditions de travail qu'ils ne peuvent bénéficier des accords sur les 35 heures, et c'est bien dommage pour eux.

Quant aux salariés dont la rémunération est tellement basse que leur pouvoir d'achat a besoin d'un coup de pouce, ces femmes et ces hommes dans la difficulté seront forcément d'accord pour faire racheter leurs RTT. Toutefois, proposez-leur une augmentation de salaire, et elle sera acceptée, c'est sûr ! Tout l'art est donc dans la manière de formuler la question !

À ce propos, je voudrais revenir sur le référendum organisé dans la société Continental, dont vous nous avez beaucoup parlé, les uns et les autres.

Le nombre des entreprises qui ferment augmente chaque jour. En toute occasion, les gouvernants et le patronat assènent leurs discours sur le travail et sur la course à la flexibilité et à l'enrichissement des actionnaires. Or, derrière ces discours, il y a un chantage insidieux ou sournois à la délocalisation, les salariés ne le savent que trop.

Aussi, ne croyez-vous pas que si l'employeur avait organisé à Continental un autre référendum, dont la question aurait été : « êtes-vous favorable à une meilleure répartition des bénéfices entre le capital et les revenus du travail », les salariés n'auraient pas massivement voté « oui » ? Pour ma part, j'en suis convaincue.

Ne croyez-vous pas qu'en sacrifiant leurs RTT et en revenant sur la durée de leur temps de travail, les salariés de Continental n'ont pas simplement demandé plus d'argent pour boucler des fins de mois difficiles, preuve s'il en est que les salaires ne suffisent plus ? N'ont-ils pas, en outre, craint une délocalisation ?

En réalité, votre projet de loi n'a qu'une mission : servir d'écran de fumée devant la véritable préoccupation des salariés. Je regrette d'ailleurs que votre gouvernement ait rejeté tous nos amendements sur le sujet et préféré élargir plus encore les conditions d'ouverture au droit de rachat en allongeant considérablement la durée de ce dispositif.

Ainsi, non seulement vous prévoyez le rachat des heures restantes, mais, ce qui est pis encore, vous incitez les salariés à ne pas prendre, dans l'avenir, leurs journées de récupération, en leur promettant une rémunération accessoire. Tant pis si cela pèse sur la santé du travailleur, tant pis si cela affecte son équilibre familial : ce qui compte, c'est de faire fonctionner, même artificiellement, le slogan présidentiel du « travailler plus pour gagner plus » !

En commission mixte paritaire, nous avons eu un débat qui a été, là encore, fort intéressant. En effet, les conventions de rachat des RTT se négocieront au moment des NAO, les négociations annuelles obligatoires, un détail, si je puis dire, qui m'avait échappé lors du débat parlementaire, mais qu'un député de votre majorité a pointé du doigt mardi matin.

En effet, s'il a vu juste, c'est-à-dire si les accords de rachat de RTT se font bien au moment des NAO, je nourris les plus grandes craintes quant à la bonne tenue de ces négociations. Madame le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Je pensais voir ce matin M. Xavier Bertrand, mais peut-être serez-vous en mesure me répondre.

En effet, les NAO constituent pour les salariés la seule occasion d'évoquer leur rémunération. Y intégrer le rachat des RTT c'est, de fait, donner à celles-ci une valeur - au moins symbolique - égale aux salaires. C'est faire croire aux salariés que la monétisation des RTT organisée par votre dispositif fait partie intégrante de leur salaire, et cela nous ne pouvons que le dénoncer.

En effet, que proposeront les directions d'entreprise ? À l'évidence, l'augmentation du temps de travail des salariés, par le rachat des RTT, qui répondra aux demandes pourtant bien légitimes d'augmentation de salaires. Ainsi, la boucle sera bouclée !

Quant aux autres dispositifs de votre texte, nous n'y sommes pas non plus favorables, car leur application reste toujours éventuelle. Peut-être le salarié qui bénéficie d'une épargne salariale pourra-t-il en demander le déblocage. Sans doute l'obtiendra-t-il. Mais quelle sera l'incidence de cette mesure sur le pouvoir d'achat ? Nul ne le sait !

Ce qui est certain, en revanche, c'est que ses effets seront très limités. Lorsqu'un gouvernement précédent, que soutenait votre majorité, avait eu recours à ce mécanisme, un tiers seulement des sommes débloquées avait alimenté la consommation, le reste se dirigeant vers l'épargne, notamment vers les plans d'épargne en actions.

Autant dire que ceux qui se frottent les mains aujourd'hui, ce sont, une nouvelle fois, les banquiers.

Le Président de la République voulait être, prétendait-il, le président des ruptures. Il est, en la matière, celui de la continuité !

Quant à la prime de 1 000 euros, c'est pratiquement le néant ! Elle repose sur la seule bonne volonté des employeurs. Rien de précis, rien de garanti : il y a juste l'espoir que les employeurs participeront à la relance du pouvoir d'achat en faisant appel à leur bon coeur. On connaît pourtant le sort réservé aux mesures volontaires !

Une fois dénoncés ces mécanismes, il ne reste plus que de l'affichage.

Ce que vous vous gardez bien de dire, c'est que votre projet de relance du pouvoir d'achat n'aura rien coûté à l'État. Je le rappelle, avec la loi TEPA, vous avez exonéré les droits de successions, défiscalisé encore plus ce qui pouvait l'être, exempté les patrons de cotisations sociales, pour un coût total de 15 milliards d'euros. Mais, pour les salariés, il n'y a plus d'argent, les caisses sont soudainement vides ! Les Français apprécieront...

Que reste-t-il, alors, de votre projet de loi ? Un curieux dispositif, longuement discuté et auquel on donne le nom d'« amendement Hirsch ». Celui-ci prévoit qu'un salarié pourra, en quelque sorte, faire don de ses journées de RTT à un fonds destiné à rémunérer d'autres salariés participant à une action désintéressée. À n'en pas douter, rares seront les salariés à recourir à ce dispositif, comme l'ont d'ailleurs fortement souligné les parlementaires de votre majorité en commission mixte paritaire.

Passe encore qu'il s'agisse là d'un pur cavalier législatif. Passe encore que ce dispositif soit très largement inspiré des pratiques du secteur bancaire, qui font que le client ayant acquis des points grâce à l'utilisation de sa carte bleue ou de certains services peut les offrir à une association caritative, qui en bénéficiera sous forme d'espèces. Il demeure que cet article est incomplet, car les sommes données sous formes de jours de RTT n'ouvriront pas droit à l'abattement fiscal qui est de règle en cas de dons. Les salariés généreux préféreront donc se faire payer leurs RTT et bénéficier des exonérations prévues par la loi TEPA, puis faire un chèque à une association et bénéficier ainsi de l'abattement fiscal que ce projet de loi leur dénie.

Le débat en commission mixte paritaire a, de ce point de vue, été très éclairant : les parlementaires de votre majorité n'ont pas tous adopté cet article, et M. About a même présenté un amendement, qu'il a finalement retiré.

Décidément, ce n'est pas seulement ce projet de loi qui a été conçu dans l'urgence : les amendements soutenus par le Gouvernement et habilement déposés par certains sénateurs l'ont été également !

De ce texte, il reste encore trois articles sur le logement. Le premier instaure un nouvel indice d'indexation des loyers, le deuxième réduit à un mois le dépôt de garantie et le dernier permet aux loueurs privés de recevoir l'APL, l'aide personnalisée au logement, due à leur locataire.

Autant dire que ces articles, même s'ils sont les bienvenus, ne modifieront pas substantiellement la vie de nos concitoyens. Tel aurait pu être le cas, pourtant, si les amendements déposés par mon groupe, qui visaient à exonérer les étudiants de la taxe d'habitation ou encore à geler les prix des loyers, avaient été adoptés.

Je regrette également que votre gouvernement n'ait pas profité de ce texte pour encadrer la vente des logements sociaux. En effet, au nom du « parcours résidentiel » que vous vantez tant, certains maires, très souvent dans les communes gérées par votre majorité, procèdent à la vente des logements sociaux.

Certaines communes cèdent d'ailleurs une partie de leur patrimoine social alors même qu'elles ne respectent pas la loi SRU - solidarité et renouvellement urbain -, qui impose 20 % de logements sociaux, et qu'elles ne prévoient pas de plan de construction pour les années à venir.

Pourtant, nous constatons, dans nos permanences et sur les marchés, que le nombre des demandeurs croît considérablement. Les publics se modifient : ce ne sont plus seulement les plus pauvres qui sont demandeurs ; ce sont aussi les catégories moyennes et les jeunes, pour qui le loyer constitue la première charge, représentant parfois 45 % des revenus d'un couple. Cette évolution est la conséquence d'un double phénomène : l'augmentation considérable des loyers et la stagnation des salaires. Là encore, la boucle est bouclée !

S'agissant en particulier de l'article 6 du texte, il vise un dispositif qui existait déjà auparavant, mais dont le locataire pouvait refuser l'application. Si nous pouvons comprendre la philosophie qui l'anime, nous serons très vigilants sur la question du logement insalubre.

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