Ces derniers jours, l'article 12 du projet de loi a fait couler beaucoup d'encre, et peut-être cela va-t-il continuer !
Madame le garde des sceaux, le projet de loi initial ne prévoyait pas la rétroactivité s'agissant de la rétention de sûreté, et ce, je le suppose, pour des raisons juridiques.
La seule rétroactivité envisagée concernait la surveillance judiciaire et les mesures relatives aux réductions de peine.
Les députés, sur l'initiative de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui avaient beaucoup réfléchi à la question - peut-être avez-vous participé à cette réflexion, mes chers collègues -, se sont empressés d'adopter un amendement rendant applicables les dispositions relatives à la rétention de sûreté aux condamnations qui seront prononcées après l'entrée en vigueur de la loi, même si les faits ont été commis antérieurement à sa promulgation.
Sur l'initiative du Gouvernement, les députés ont également adopté un amendement rendant d'application quasi immédiate les dispositions relatives à la rétention de sûreté pour les personnes qui ont fait l'objet de plusieurs condamnations pour des crimes mentionnés à l'article 1er. Cela montre bien que l'intention du Gouvernement était, dès le départ, de rendre la rétention de sûreté rétroactive. Mais peut-être ne savait-il pas comment s'y prendre...
Quels que soient les arguments utilisés - et vous les avez tous avancés -, cette rétention de sûreté n'est comparable ni à une mesure de sûreté ni à l'hospitalisation d'office.
M. le rapporteur de la commission des lois a bien essayé de gommer les contours anticonstitutionnels de l'article 12, convaincu, selon ses propres termes, de la « nécessité de respecter les principes fondamentaux de notre droit et, en particulier, la règle de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ». Il a donc déposé un amendement visant à subordonner la libération conditionnelle, pour les criminels condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, à un avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
Par ailleurs, il propose que les personnes ayant fait l'objet de plusieurs condamnations pour les crimes mentionnés à l'article 1er puissent être soumises, à l'issue de l'exécution de leur peine d'emprisonnement, dans le cadre de la surveillance judiciaire, puis, le cas échéant, de la surveillance de sûreté, à deux obligations nouvelles et spécifiques : l'assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique et l'obligation de déplacement surveillé sous le contrôle d'un agent de l'administration pénitentiaire. Ces deux mesures, il est vrai, sont d'application difficile ; néanmoins, elles respectent le droit.
Les deux amendements déposés par M. le rapporteur lui ont valu de passer pour le « sauveur » de la loi, du moins au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Même s'ils ne changent pas, à nos yeux, le fond du projet de loi, ils vous ont suffisamment hérissé, chers collègues de la majorité, pour que vous déposiez un sous-amendement, adopté de justesse hier matin en commission des lois, tendant à revenir à la rétroactivité totale de la loi.
Dans la foulée, madame le garde des sceaux, vous avez déposé un sous-amendement destiné à entériner définitivement cette rétroactivité.
Ainsi, vous passez outre le respect d'un droit aussi fondamental que celui de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère pour faire passer le message suivant à l'opinion : « Le Gouvernement a enfin fait adopter une loi permettant d'enfermer immédiatement et à vie les ? prédateurs sexuels ? - ce sont vos propres termes -, pour vous protéger contre toute récidive ! »
Franchement, je me demande, mes chers collègues, comment vous concevez votre devoir de législateur ! Vous vous contentez de répéter à l'envi que le principe de non-rétroactivité ne s'appliquerait pas en l'occurrence puisque la rétention de sûreté serait non pas une peine, mais une mesure de sûreté, ce qui ne suffit pas à lui en donner les caractéristiques !
On ne peut pas se résoudre au sacrifice des principes constitutionnellement garantis pour une loi certes d'affichage, mais lourde de conséquences, puisqu'elle ouvre la porte à d'autres violations des principes constitutionnels, alors que le problème posé est celui de l'efficacité des mesures que nous avons prises très récemment, et qui ne sont pas, pour la plupart, appliquées. En effet, soit elles sont trop récentes, soit, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, elles n'ont pas bénéficié des moyens nécessaires. Pour qu'elles soient réellement efficaces, il faudrait les améliorer, mais surtout prendre le problème à l'endroit, c'est-à-dire revoir notre curieuse conception de la détention, qui, finalement, constitue une exception négative au sein de l'Europe, dont nous aimons à vanter les mérites et l'unité de culture, voire de religion.
Nous aurions donc pu nous interroger longuement sur les raisons de l'incapacité de notre pays, comme d'autres, à trouver des moyens plus efficaces pour prendre en charge les détenus. Mais non, vous préférez violer un principe fondamental, celui de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. C'est tout à fait regrettable.