Le problème qui se pose est celui de la rétroactivité. On n'est pas sûr de s'en tirer, monsieur le président de la commission, en affirmant, comme je le crois absolument, qu'il s'agit d'une mesure de sûreté et pas du tout d'une peine, parce que la gravité de l'atteinte à la liberté est la racine de l'exigence de non-rétroactivité, même si la mesure prise n'est pas une sanction pénale. Donc attention, la situation est dangereuse !
Pour moi, en réalité, ce problème n'en est pas vraiment un, puisque nous sommes en présence d'un concept nouveau, la rétention, et que, à chaque fois que l'on découvre un concept autonome fondé sur la dangerosité, on a tendance non pas à imaginer et à créer les données relatives à cette notion nouvelle, mais à se rattacher à des concepts antérieurs déjà connus et à transposer nos acquis dans ce nouveau domaine. C'est la raison pour laquelle on se réfère obstinément au concept de peine pour aborder la rétention.
J'en suis convaincu, l'essentiel de ce texte - c'est ce qui le justifie et c'est pourquoi j'en suis peut-être, au fond, son meilleur supporter -, consiste à dire que la notion de rétention est une notion autonome, qui s'apparente d'une certaine façon à la détention provisoire - je l'ai déjà évoqué et Mme le garde des sceaux a d'ailleurs repris les mêmes termes -, dont l'une des causes est d'éviter la répétition des faits, je le rappelle au passage, mais qui s'apparente surtout à une hospitalisation d'office.
Quand on voit les choses sous cet angle - et c'est tout simple, semble-t-il -, on se dit que la rétroactivité doit s'apprécier à partir du fait qui cause et qui justifie la rétention, c'est-à-dire non pas la condamnation intervenue quinze ans auparavant, qui est une condition, mais le diagnostic des experts qui se réunissent au sein d'une commission pluridisciplinaire, postérieurement au vote de la loi bien entendu.
Les membres de la commission compétente tiennent compte de tous les éléments dont ils disposent pour donner un avis sur un individu qui répond naturellement à la condition originelle d'avoir déjà été condamné, sinon il faudrait examiner tout le monde. S'ils considèrent, hic et nunc, que la personne concernée présente un risque de dangerosité, ils rendent une décision en conséquence, laquelle ne pose pas de problème du point de vue de l'exigence de non-rétroactivité, puisque sa cause est bien postérieure à la loi.
Voilà le fond de ma pensée. Je trouve aussi que l'on se complique exagérément la vie, avouons-le, en ayant cru obligatoire, à mon avis à tort, d'introduire dans l'article 1er l'exigence de la prévision initiale selon laquelle les personnes condamnées à des peines privatives de liberté d'une durée égale ou supérieure à quinze ans devaient être réexaminées à l'issue de leur détention.
En conséquence, on a ajouté ce malheureux alinéa 2, qui prévoit que la rétention de sûreté ne peut être prononcée que si la cour d'assises, statuant quinze ans auparavant, a expressément prévu que la personne pourra faire l'objet à la fin de sa peine d'un réexamen de sa situation et de son éventuelle dangerosité.
Entre nous soit dit, vous voyez le côté farfelu de la prévision qui se situe quinze ans avant l'échéance et qui n'est assortie d'aucune sanction ! J'ai déjà eu l'occasion de dire que ce dispositif était très mal bâti. Mais il paraît qu'on y trouve, à la demande du Conseil d'État, une sécurité juridique par rapport à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales...
J'ai déjà expliqué hier que je croyais que ce n'était pas exact, et je me suis penché sur le texte de la Convention. Là encore, on en fait, me semble-t-il, une lecture tout simplement insuffisante.
Que dit la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ? Vous voudrez bien m'excuser d'être un peu long, mais cette question délicate autorise quand même une explication un peu plus précise. Elle dispose : « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent... ».
C'est à cause de cette exigence de la Convention européenne que l'on va nous obliger à avoir quinze ans auparavant non pas une condamnation, mais une prévision ! C'est en tout cas ce que dit en toutes lettres l'avis du Conseil d'État. À mon avis, celui-ci n'a pas lu complètement les différentes hypothèses prévues.
La deuxième éventualité est celle où l'individu « a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulières... ».
La troisième hypothèse est la détention provisoire, sur laquelle on aurait peut-être pu s'arrêter dans la mesure où l'une de ses raisons d'être est d'éviter la répétition des faits. Cette disposition suffisait, et l'on n'avait pas besoin de condamnation antérieure.
L'éducation surveillée, ensuite, ne nous concerne pas.
Le paragraphe suivant est beaucoup plus large, et c'est dans cette largeur que se situe notre hypothèse de rétention. Est visée « la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, ...