Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 mai 2016 à 9h40
Réforme de la prescription en matière pénale — Examen du rapport

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur :

Ce texte important nous arrive dans des conditions d'étude et d'analyse rocambolesques. Je ne cache pas mon embarras pour présenter ce rapport. J'aurais aimé consulter beaucoup plus largement. Nous avons reçu, hier, des services du Sénat l'étude de droit comparé que nous avions sollicitée avec François Pillet. Il est difficile d'en tirer des conclusions dans des délais aussi courts. Quinze jours entre l'inscription du texte et l'examen du rapport, avec une présentation en séance la semaine prochaine, ce n'est pas satisfaisant.

Ce texte est issu d'une proposition de loi de nos collègues députés Georges Fenech et Alain Tourret qui avaient au préalable mené une mission d'information sur la prescription en matière pénale. Il a été voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale le 11 mars dernier et est inscrit à l'ordre du jour du Sénat le 2 juin prochain.

Il double les délais de prescription de droit commun des crimes et des délits, en les portant respectivement à 20 ans et 6 ans. Il ne revient pas en revanche sur les dispositions relatives aux délais dérogatoires au droit commun, qu'ils soient allongés en matière d'infractions terroristes ou de trafic de stupéfiants à 30 ans pour les crimes et 20 ans pour les délits, ou qu'ils soient abrégés en matière de presse ou en matière fiscale. Le texte ne modifie pas non plus les délais de prescription des contraventions.

Il rend imprescriptibles les crimes de guerre, actuellement soumis à un délai de prescription de l'action publique de 30 ans, mais limite cette imprescriptibilité aux crimes de guerre connexes aux crimes contre l'humanité commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.

Le texte modifie également les règles de computation des délais de prescription de l'action publique. Il réaffirme le principe selon lequel le délai de prescription de l'action publique court à compter du jour où l'infraction a été commise. Il maintient le report du point de départ à la majorité des victimes pour les infractions commises sur des mineurs. S'agissant de délits commis à l'encontre d'une personne vulnérable du fait de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse, il supprime le dispositif qui fait courir le délai de prescription de l'action publique à compter du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. Ce dispositif allait vers l'imprescriptibilité ! D'autre part, le texte consacre la jurisprudence de la Cour de cassation relative au report du point de départ des délais de prescription de l'action publique en cas d'infraction occulte ou dissimulée : le délai court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique.

Sur les modalités d'interruption de la prescription, le texte consacre les avancées jurisprudentielles développées par la Cour de cassation sur le fondement de l'article 7 du code de procédure pénale. Le texte clarifie la nature et la finalité des actes susceptibles d'être interruptifs, et y intègre également dans la liste les plaintes simples adressées au procureur de la République ou à un service de police judiciaire, ce que jusqu'à présent la jurisprudence avait toujours refusé. Je souligne que l'étude du droit comparé est très instructive sur la qualification des actes susceptibles d'interrompre la prescription, notamment au regard des pratiques allemandes ou italiennes.

Sur les conditions de suspension de la prescription, le texte consacre la jurisprudence de la Cour de cassation. La prescription serait suspendue dans le cas où l'exercice des poursuites serait rendu impossible soit par un obstacle de droit, soit par un obstacle de fait insurmontable. Enfin, le texte ne s'appliquerait pas aux infractions en cours, dont la prescription est acquise, mais seulement à celles dont la prescription n'est pas acquise à ce jour.

Pourquoi augmenter les délais de prescription en matière délictuelle ou en matière criminelle ? La prescription se fonde à la fois sur le droit à l'oubli et sur la capacité que l'on a à apporter tardivement des éléments probants. Incontestablement, les évolutions techniques justifient que l'on allonge ces délais. C'est pourquoi je n'ai pas proposé de modifier les délais de prescription fixés par l'Assemblée nationale en matière de délits et de crimes. En revanche, le délai d'un an prévu pour les contraventions de cinquième classe est sans doute trop court, car certaines infractions sanctionnées dans ce cadre peuvent entraîner des incapacités de travail lourdes. La difficulté reste qu'il n'y a aucun intérêt, sinon de cohérence, à allonger le délai de prescription pour les contraventions des quatre autres classes.

En ce qui concerne les agressions et les violences sur mineurs, le délai de prescription court à compter de la date de la majorité de la victime, et il est fixé à 20 ans. Un mineur victime pourra donc agir jusqu'à l'âge de 38 ans. Certains députés souhaitaient rendre imprescriptibles les agressions commises sur des mineurs. L'Assemblée nationale a préféré s'en tenir au délai en vigueur, soit 20 ans. Nous avons auditionné deux associations et le débat reste ouvert : selon moi, il vaudrait mieux allonger le délai de prescription à 30 ans. En effet, les témoignages indiquent qu'une personne ayant été agressée sexuellement lorsqu'elle était mineure aura besoin de temps et d'un cadre familial stable pour révéler les faits. Un dossier relayé par la presse fait état d'une victime qui aurait engagé des poursuites tardivement contre son agresseur car elle le croyait mort, ce qui n'était pas le cas. Le délai de prescription était dépassé, mais sa démarche a incité d'autres victimes à porter plainte pour des faits similaires qui n'étaient pas prescrits. Parfois, c'est un élément familial qui incite la victime à engager des poursuites, des années après l'agression. Les cas sont variés mais ils montrent toujours que c'est à la suite d'un évènement ou parce qu'elles ont gagné en maturité que les victimes décident de parler. D'où la difficulté car, plus le délai est long, plus il est difficile d'apporter la preuve de l'agression.

Tout cela m'incite à vous proposer de modifier le délai de prescription en matière d'agression sexuelle sur mineur, en le portant à 30 ans, ce qui permettra aux victimes d'engager des poursuites jusqu'à l'âge de 48 ans. En effet, je considère que l'imprescriptibilité doit être réservée aux crimes contre l'humanité.

Le texte initial rendait tous les crimes de guerre imprescriptibles. Le Gouvernement s'y est fermement opposé. Un accommodement a été trouvé qui a consisté à limiter l'imprescriptibilité aux crimes guerre connexes aux crimes contre l'humanité, ce qui en réalité n'était pas nécessaire, par effet des actes interruptifs étendu aux infractions connexes. Par conséquent, je propose qu'on en reste au principe d'un délai de prescription de 30 ans pour les crimes de guerre, le droit en vigueur s'appliquant en cas d'éléments connexes aux crimes contre l'humanité.

Dans un rapport de 2007, nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung préconisaient d'établir un délai butoir pour éviter des imprescriptibilités de fait sur les infractions occultes ou dissimulées. À partir du jour où l'infraction a été commise, court un délai butoir de 10 ans pour les délits et 30 ans pour les crimes pour engager l'action publique.

Pour l'organisation du code, mieux vaudrait distinguer le principe des exceptions. Le texte consacre la jurisprudence de la Cour de cassation sur les obstacles de fait ou de droit qui suspendent la prescription. Il inscrit ainsi dans la loi des principes clairs.

Enfin, l'Assemblée nationale a ajouté la plainte pénale simple dans la liste des actes susceptibles d'être interruptifs de prescription, alors que la jurisprudence de la Cour de cassation avait toujours refusé un tel ajout puisqu'il favorise l'imprescriptibilité d'un certain nombre d'infractions, sans parler des plaintes fantaisistes susceptibles d'être déposées par des personnes mal intentionnées. Je vous proposerai un autre dispositif pour informer le plaignant au moment du dépôt de sa plainte du délai de prescription dont il dispose pour faire aboutir la procédure et de sa possibilité de déposer une plainte avec constitution de partie civile.

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