Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 25 mai 2016 à 14h30
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Une centaine d’articles, donc, dont la plupart ont des conséquences directes sur les libertés et droits fondamentaux de nos concitoyens, élaborés et examinés en procédure accélérée et finalement adoptés en moins de quatre mois.

Si certains considèrent parfois, à raison souvent, que le Parlement fait preuve de lenteur dans l’adoption des réformes et qu’il est fréquemment en retard sur les évolutions que la société a acceptées depuis longtemps, ce projet de loi, qui contient tant de mesures contestables, aurait en revanche mérité un examen bien plus approfondi.

Ces cent articles nous permettront-ils de lutter efficacement contre le terrorisme ? Peut-être – c’est ce que nous souhaitons tous. Reviennent-ils à brader nos valeurs démocratiques et républicaines ? Cela ne fait pas de doute, au moins pour certains d’entre eux.

Je ne me lancerai pas dans un inventaire à la Prévert de toutes les dispositions qui amèneront le groupe écologiste, dans sa majorité, à s’opposer à ce texte. Les six minutes qui me sont attribuées ne me le permettent pas.

Je voudrais toutefois revenir sur deux dispositions qui me semblent être emblématiques des reniements dont beaucoup ont fait preuve lors de l’examen de ce texte.

La première concerne la fouille des détenus. L’article 32, introduit sur l’initiative du Gouvernement, prévoit la possibilité de recourir aux fouilles intégrales « dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de la personnalité des personnes détenues […] lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens ».

Une décision de fouille pourrait dès lors s’appliquer à une personne sur le fondement exclusif du lieu dans lequel elle se trouve, le parloir par exemple.

Cette disposition, qui permet de rétablir le caractère systématique des fouilles à nu, constitue, à n’en pas douter, un important recul du respect des droits fondamentaux. Elle a d’ailleurs été dénoncée avec force par l’Observatoire international des prisons et par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan.

Cette mesure aura également pour conséquence certaine la condamnation de la France, une nouvelle fois, par la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’article 3 de la Convention, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants.

Toutefois, les défenseurs des droits fondamentaux ne sont que des empêcheurs de tourner en rond et chaque personne qui s’insurge est accusée de ne pas soutenir la lutte contre le terrorisme !

Je dois vous le dire, mes chers collègues, je ne suis vraiment pas convaincue que l’humiliation de détenus vivant déjà dans des conditions indignes contribuera à la sécurité des établissements pénitentiaires et à la lutte contre le terrorisme.

Je ne suis pas certaine non plus, et c’est l’autre disposition sur laquelle je voulais revenir, que l’instauration d’une « perpétuité réelle » pour les crimes terroristes soit de nature à dissuader les candidats à l’attentat suicide.

Le texte de la commission mixte paritaire allonge la période de sûreté de vingt-deux à trente ans, et l’aménagement de la peine est rendu quasiment impossible. De surcroît, les conditions d’examen par le tribunal d’application des peines des demandes de relèvement de la période de sûreté seront très strictement encadrées et ne pourront intervenir qu’après une incarcération minimale de trente ans.

Il n’est plus permis d’en douter, la lutte contre le terrorisme est devenue une fin qui justifie tous les moyens, même ceux que la plupart d’entre nous, sur les travées de gauche au moins, auraient fustigés il y a encore peu de temps !

Ce projet de loi sera bientôt en vigueur, adopté à une grande majorité. Certaines mesures d’exception, liées à l’état d’urgence, entreront dans le droit commun. Finalement, c’est bien l’avenir qui nous dira l’ampleur de l’erreur que nous commettons aujourd’hui.

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