Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2002, les textes sécuritaires n'ont cessé de s'accumuler, dans un sens toujours plus répressif, et alors que se posent à nous deux problèmes, qui d'ailleurs n'en font qu'un : d'une part, les moyens de la justice, qu'ils soient techniques ou humains, sont insuffisants ; d'autre part, notre conception de la détention est archaïque et insatisfaisante.
De façon générale, il est regrettable que nous légiférions une fois encore dans l'urgence, avant même d'avoir évalué les dispositifs précédents, puisque c'est d'évaluation qu'il était question avec l'amendement n° 30.
Cette logique peut malheureusement provoquer toutes les dérives. L'enfermement, après l'exécution de leur peine, et pour une durée indéfinie - de préférence à vie, diront certains ! - de personnes qui, certes, sont particulièrement dangereuses, mais pour lesquelles, après qu'elles ont commis un crime, on ne cherche aucune solution de rechange à la détention, ce n'est ni plus ni moins qu'un substitut à la peine de mort. Nous ne pouvons donc approuver cette mesure.
Ce projet de loi procède d'une philosophie contraire à notre État de droit, puisqu'il s'agit d'enfermer une personne qui aura purgé sa peine, non parce qu'elle aura récidivé, mais parce qu'elle sera susceptible de commettre une nouvelle infraction.
Madame la ministre, au cours de ces débats, vous n'avez cessé de répéter que la rétention de sûreté n'était pas attentatoire aux droits fondamentaux des personnes puisque l'hospitalisation d'office permettait déjà d'enfermer une personne contre son gré en raison du danger qu'elle pourrait constituer pour elle-même ou pour autrui.
Toutefois, vous oubliez que cette mesure est administrative et non judiciaire. En outre, dans ces conditions, pourquoi créer la rétention de sûreté ? Je le répète, nous disposons déjà d'un certain nombre de moyens, dont l'hospitalisation d'office.
Le législateur doit bien considérer ses actes. Pour cela, il peut s'appuyer sur des exemples étrangers intéressants. Vous souhaitez toujours aligner notre droit sur celui des autres pays comparables, notamment des pays européens, avec lesquels nous sommes engagés dans une destinée et une loi communes. Pourtant, quand il s'agit de prendre des mesures qui vont à l'encontre de la philosophie qui anime votre gouvernement, vous cessez de vous inspirer des exemples étrangers. C'est révélateur, mais tout à fait regrettable. Vous préférez créer une justice vengeresse, parce que c'est davantage payant politiquement dans certaines catégories de la population, semble-t-il.
Par ailleurs, le concept de dangerosité n'a pas fait l'objet en France d'un travail de définition sérieux. Nous l'avons vu, ni le Gouvernement ni les parlementaires de la majorité, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, ne parvenaient à s'expliquer lorsqu'il fallait distinguer la dangerosité d'un criminel ayant tué une victime mineure de celle d'un criminel ayant tué une victime majeure. La dangerosité est une notion très complexe.
De surcroît, nous ne sommes pas aidés par les déclarations à l'emporte-pièce émises par le Président de la République, alors qu'il était candidat, sur le caractère génético-hormonal du suicide ou des déviances sexuelles.
L'appréciation de la dangerosité est susceptible de varier dans le temps, en fonction des époques et du contexte. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer à quel point le champ d'application du présent projet de loi s'est élargi entre le 8 janvier dernier, date du début de son examen par les députés, et aujourd'hui : alors qu'il visait au départ les criminels ayant commis des infractions graves sur des mineurs de quinze ans et qu'il n'était pas rétroactif, ce texte sera désormais applicable à presque tous les criminels et rétroactif.
Notre inquiétude est donc légitime quant à d'éventuels futurs élargissements du champ d'application de ce texte. Ce ne serait pas la première fois que le Gouvernement étendrait une législation répressive au fur et à mesure des textes, comme on l'a vu en matière de terrorisme ou de fichage.
Madame la ministre, vous avez pris la responsabilité d'établir une comparaison avec le terrorisme et les événements du 11 septembre 2001. Je me permets de vous rappeler que si ces actes ont justifié notre coopération judiciaire avec les États-Unis, ils ne légitiment en rien Guantanamo ! J'y insiste, car il s'agit d'un problème grave. Le législateur doit réfléchir à ces questions ; donc, efforçons-nous de le faire !
Décréter que la prise en charge des criminels dangereux ne peut intervenir qu'après quinze ou vingt ans de prison revient à admettre que la détention est un temps inutile pour certaines catégories de personnes. C'est peut-être le cas, mais il faut alors en tirer toutes les conséquences sur notre conception de la peine et de la détention, ce que nous ne faisons pas, hélas ! Surtout, cette mesure contredit vos politiques tendant à durcir les peines, qui sont toujours motivées par la lutte contre la récidive.
Certes, nous partageons ce souci ; à cet égard, accuser ceux qui ne sont pas d'accord avec vous de ne pas vouloir lutter contre la récidive est facile, mais ne participe pas d'une saine conception du débat. Toutefois, vous vous contredisez, car vous ne prenez pas le problème dans le bon sens.
Je rappellerai simplement que l'une des missions de l'administration pénitentiaire est la réinsertion des condamnés. Comment remplir au mieux cette mission si la personne concernée sait qu'elle risque d'être enfermée, après sa détention, pour une durée sans cesse renouvelée, si elle est inaccessible à la prison, à la sanction, et même aux coups de bâtons ? Dans ces conditions, comment considérer que la détention peut apporter une solution ?
On est en pleine contradiction ! Avec cette logique d'enfermement, si les présupposés sont justes, c'est une véritable relégation sociale qui est ici proposée. Le bagne existait, on en est revenu. Il est donc regrettable qu'on en soit là aujourd'hui !
Le deuxième volet du projet de loi, consacré à l'irresponsabilité pénale, est très lié au précédent : là encore, on multiplie les confusions.
En la matière, les Néerlandais, par exemple, qui font preuve de davantage de pragmatisme, qui ont mené une réflexion plus approfondie sur la détention et qui consacrent des moyens plus importants à leur justice sont plus proches de la réalité, me semble-t-il. Ils traitent les personnes qui ne sont pas irresponsables pénalement, mais dont les capacités de réflexion ou de compréhension sont altérées, comme des personnes qui ont besoin d'être prises en charge médicalement, psychologiquement, y compris, le cas échéant, en étant enfermées. Nous, nous multiplions les confusions et nous aboutissons à un dispositif qui est totalement hybride, mais aussi dangereux, car il peut concerner des gens qui ne méritent pas de subir un tel traitement.
En outre, des principes élémentaires de notre droit sont violés. Remettre en cause des principes constitutionnels qui fondent notre démocratie et des principes fondamentaux reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne semble pas poser de problèmes à certains de nos collègues. C'est dommage !
Pourquoi ne pas abolir la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen et renoncer officiellement à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au nom de la sécurité de la société ?
Je le répète, puisque vous semblez apprécier les comparaisons : pour renoncer aux droits des personnes, les Américains créent des centres de détention en dehors de leur territoire. Nous pourrions faire de même ! Le bagne n'était rien d'autre que cela : nous pourrions y revenir !
Nous ne pouvons nous associer à un tel dispositif. C'est pourquoi le groupe CRC votera résolument contre ce projet de loi.