Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 31 janvier 2008 à 15h00
Rétention de sûreté — Vote sur l'ensemble

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par saluer le travail de M. Lecerf et le courage dont il a fait preuve dans sa tentative, soigneusement avortée, d'apporter à ce texte les garde-fous juridiques nécessaires à sa mise en oeuvre.

L'intention du Gouvernement me paraît simple : ne rien céder et faire peser sur le Conseil constitutionnel la responsabilité de « retoquer » ce texte largement anticonstitutionnel.

De ce point de vue, madame la ministre, l'épisode de la rétroactivité a été symptomatique : vous avez laissé les députés décider de la rétroactivité, puis vous avez largement soutenu cette démarche, tout en précisant que vous n'en étiez pas l'initiatrice.

M. le rapporteur, dans sa sagesse, a tenté de trouver un moyen d'éviter que ne soit violé le principe fondamental de non-rétroactivité d'une loi pénale. Vous ne l'avez pas soutenu. Pis, vous avez émis un avis favorable sur un amendement de substitution déposé par M. Portelli, qui visait à rétablir ce système en l'édulcorant.

À quoi bon prétendre que la rétroactivité ne s'appliquera qu'à titre exceptionnel, puisque nous savons qu'aucun juge ne prendra le risque de ne pas y recourir ? C'est un piège à responsabilité que votre système met en place : de la même manière qu'aucun juge n'ose user de son pouvoir d'individualisation de la peine quand il s'agit de prononcer des peines planchers, aucun juge ne s'amusera à recourir à un autre dispositif que celui de la rétention de sûreté instauré par ce projet de loi à titre rétroactif.

Ce texte est une honte pour notre système pénal. Pour vous, la dangerosité équivaut désormais à la culpabilité. Vous balayez d'un revers de main des principes pourtant fondamentaux dans notre État de droit.

J'entends encore M. Portelli dire que l'État a un devoir de protection sociale à l'égard de tous les citoyens. La défense sociale est fondamentale, je ne le nie pas. Il n'en reste pas moins que, dans ce domaine, l'État a une obligation de résultat, pas de moyens.

En aucun cas cet objectif de défense sociale ne doit remettre en cause les principes constitutionnels qui régissent notre droit pénal. Dans ce domaine, les libertés individuelles ne peuvent faire l'objet de restrictions aussi graves et aussi désinvoltes que celles que votre projet de loi prévoit. Que des moyens soient mis en oeuvre, nul ne le conteste. Mais encore faut-il qu'ils soient respectueux du droit, de la liberté, de la sûreté et de tous nos principes.

Le dispositif de rétention de sûreté est une privation totale de liberté. Ce n'est pas un moyen conforme aux principes d'un État de droit : c'est une peine qui s'ajoute à la peine, une fois celle-ci purgée. En cela, il n'est pas acceptable.

Avec ce projet de loi, vous tentez de nous faire croire que l'enfermement est le moyen le plus efficace pour lutter contre les récidives des condamnés les plus dangereux. Personnellement, je ne le crois pas.

D'abord, il ne s'agit pas d'une mesure de sûreté ; le Conseil constitutionnel, je l'espère, en conviendra. Une mesure de sûreté ne peut être une privation totale de liberté. D'ailleurs, la privation de liberté est la peine la plus importante de notre système judiciaire. Détention ou rétention, c'est la même chose.

Ensuite, la mesure de sûreté ne peut s'exercer au-delà de la peine prononcée par la juridiction de jugement. Elle ne peut en aucun cas se traduire par une relégation du condamné pour une durée indéterminée, comme le prévoit ce projet de loi.

Madame la ministre, je refuse que l'on puisse enfermer une personne sur la simple base de sa dangerosité, en raison de son état et non à cause de ses actes. Ce qui vaut pour les personnes présentant des troubles mentaux ne vaut pas pour les personnes présentant des troubles de la personnalité. Pourtant, vous confondez les deux.

C'est d'ailleurs bien la confusion qui règne dans ce texte, confusion entre les mesures de sûreté, qui s'appliquent à des personnes jugées responsables, même si elles présentent des troubles de la personnalité, et les mesures d'hospitalisation d'office, qui concernent les aliénés et qui, je vous le rappelle, sont de nature administrative. Il n'est pas possible d'étendre ainsi la procédure de l'hospitalisation d'office, qui est autorisée par la Convention européenne des droits de l'homme pour les personnes dangereuses, à celles qui présentent seulement des troubles de la personnalité.

Cette extension déguisée est grave : elle criminalise la psychiatrie et elle psychiatrise la criminalité. Elle met tout le monde dans le même sac, les fous et les criminels. Elle nourrit une haine déplorable à l'égard des personnes dangereuses, qu'elle instrumentalise en monstres qu'il faut neutraliser.

À quoi servent tous les dispositifs que nous avons votés ces dernières années, comme le bracelet électronique, et qui auraient pu servir dans le cadre de ce projet de loi ? Que deviendront-ils si on leur substitue l'enfermement ? Quelle est aujourd'hui leur valeur si un dispositif aussi radical que la rétention de sûreté existe ? Je vais vous le dire : le principe de précaution l'emportera et l'enfermement sera la règle, les mesures de sûreté l'exception.

Ces outils juridiques auraient dû être adaptés, renforcés, mais jamais écrasés par un dispositif aussi inique et radical.

Nos propositions, pourtant nombreuses, n'ont pas reçu d'écho satisfaisant, et je le déplore. Pourtant, elles avaient le mérite de rendre le texte constitutionnel tout en maintenant le dispositif de rétention intact. Mais votre préoccupation n'était pas celle-là, madame la ministre : seul vous importait l'affichage et, de ce point de vue, vous êtes satisfaite.

Pour des raisons juridiques, philosophiques et humaines, les Verts voteront contre ce texte. Nous espérons qu'une décision du Conseil constitutionnel rendra honneur à notre droit positif et à la tradition des Lumières.

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