Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le débat a été long et aussi complet que possible. Grâce au travail de la commission des lois et du rapporteur - cela a été souligné, à juste titre, à plusieurs reprises -, nous avons pu améliorer le projet de loi sur un certain nombre de points. La discussion qui a eu lieu au Sénat a donc permis une évolution significative du texte par rapport à la version issue des travaux de l'Assemblée nationale.
Je ne citerai que quelques mesures : le caractère pluridisciplinaire de la période d'observation, sa durée, la transformation de la commission régionale de la rétention de sûreté, et de la commission nationale, en une juridiction, le caractère public du débat contradictoire, le parcours individualisé proposé d'emblée par le juge de l'application des peines, etc.
Mais ces améliorations, aussi importantes soient-elles, ne changeront pas notre approche philosophique.
Ce projet de loi a été conçu sans cohérence, sans analyse sérieuse de la législation et de toutes les mesures qui ont été prises depuis quatre ou cinq ans. Je le répète, nous avons besoin d'une évaluation de toutes les dispositions - il y en a plus d'une dizaine - qui traitent de la même question pour savoir où nous en sommes.
Le débat aurait dû avoir lieu après l'examen du projet de loi pénitentiaire, et non avant. Avouez que cette démarche est assez curieuse : on marche sur la tête !
Malheureusement, le présent projet de loi témoigne, pour l'essentiel, d'une approche répressive, fondée sur l'enfermement, alors que celui-ci est déjà très lourd en France - il est même le plus lourd d'Europe - et semble la seule réponse possible aux problèmes de la société. Nous poursuivons là la chimère du risque zéro en imposant une législation de plus en plus répressive et attentatoire aux libertés.
Ce texte comporte également de nombreux ferments d'inconstitutionnalité. Certains ont soutenu que ce n'était pas très grave et que le Parlement n'avait pas à s'en soucier. D'autres ont reconnu que les risques existaient, mais ils les ont acceptés. N'est-il pas curieux de voir un Parlement voter un texte tout en se doutant qu'il comporte de tels risques ? Le Parlement se défausse sur le Conseil constitutionnel pour pouvoir ensuite affirmer qu'il a proposé ce qu'il fallait : c'est le Conseil constitutionnel qui a manqué de courage.
Ce projet de loi tourne le dos à deux grands principes fondamentaux du droit français depuis la Révolution.
D'une part, enfermer quelqu'un en prison, par une décision judiciaire, non pas à cause des faits qu'il a commis, mais parce qu'il est susceptible de commettre un acte de délinquance, bouleverse un principe fondamental de notre État de droit établi depuis la suppression de la lettre de cachet : une personne ne peut être condamnée sur une suspicion de dangerosité, sur une présomption de culpabilité future ou sur une dangerosité virtuelle ; elle ne peut l'être que sur un acte commis et prouvé par la justice. Le Gouvernement affirme qu'il s'agit là d'une mesure de sûreté. C'est faux : c'est une peine ; le débat ne nous a pas convaincus.
D'autre part, ce texte bafoue le principe de non-rétroactivité de la loi pénale la plus dure, consacré par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ce n'est pas l'usine à gaz que constitue l'amendement n° 29, modifié par les sous-amendements n° 78 rectifié ter et 92, qui nous a rassurés sur ce point.
Ce projet de loi est une fuite en avant. Il permet d'enfermer à vie des gens qui n'ont pas commis d'infraction.
En plus d'être contestable en lui-même, le débat parlementaire a montré à quel point ce dispositif pouvait conduire à des dérives. Initialement, la rétention de sûreté ne devait s'appliquer qu'aux délinquants sexuels récidivistes sur mineurs. Elle a été progressivement élargie à toute une série de délinquants, que leurs crimes soient commis sur des majeurs ou sur des mineurs. Elle concerne même ceux qui n'ont pas récidivé. L'escalade risque de se poursuivre. Jusqu'où ?
Ce projet de loi contient en germe une grave menace pour les libertés et pour l'évolution de notre système pénal et pénitentiaire. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre.