Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Commission des affaires sociales — Réunion du 1er juin 2016 à 9h00
Instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne, rapporteur :

C'est dans un contexte social tendu que notre commission examine un projet de loi qui constitue, aux yeux de ses promoteurs, la plus importante réforme sociale du quinquennat. Sommes-nous face à une nouvelle loi Auroux, à une réforme structurelle indispensable pour le marché du travail ? Ou bien à l'un de ces textes du type diverses dispositions d'ordre social (DDOS) qui, année après année, viennent rajouter une strate de complexité supplémentaire au droit du travail ? L'absence de consensus à son sujet, que ce soit chez les salariés ou les employeurs, plaide, à ce stade, compte tenu des amodiations successives, pour le second cas de figure ou un peu des deux. Pourtant, les idées directrices de ce projet de loi avaient initialement pour base le fruit des réflexions des plus grands experts du droit du travail en France et s'inscrivent dans la lignée des réformes menées depuis maintenant plus de trente ans, notamment les lois de 2004 et de 2008.

C'est le rapport de la commission présidée par Jean-Denis Combrexelle, ancien directeur général du travail, remis le 9 septembre 2015, qui a alimenté la réflexion du Gouvernement sur les nouveaux champs à ouvrir à la négociation. Les travaux de la commission présidée par Robert Badinter avaient, quant à eux, identifié soixante-et-un principes essentiels du droit du travail.

Après la remise de ces rapports, un projet de recodification du code du travail, à moyen terme, a été élaboré, dont la philosophie consiste à laisser plus d'espace à la négociation d'entreprise dans des limites fixées par la loi. Toutefois, dès le lancement du projet, une succession de maladresses, d'hésitations et d'erreurs d'appréciation sur le fonctionnement du dialogue social dans notre pays ont conduit à la situation de blocage que nous connaissons aujourd'hui.

Reconnaissons qu'une réforme de l'ampleur de celle qu'on prête à ce projet de loi ne peut être réalisée sereinement dans le calendrier imposé. En effet, ce n'est pas après quatre années d'exercice du pouvoir qu'il est le plus facile de proposer à nos concitoyens un nouveau contrat social. C'est sur la base d'une légitimité fraichement acquise dans les urnes et d'un programme précis soumis aux Français, qu'il est possible de faire adopter sereinement une telle réforme. Matteo Renzi a procédé de la sorte : il a présenté son jobs act immédiatement après avoir été élu. Cette réforme arrive aujourd'hui quatre ans trop tard ou un an trop tôt.

Outre le fait que ce texte constitue, chronologiquement, le sixième présenté par le Gouvernement depuis 2012 dans le champ du travail et de l'emploi, il est le premier à la préparation duquel les partenaires sociaux n'ont pas été formellement associés. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a estimé que ses principales dispositions relevaient de l'article L. 1 du code du travail - que le Président du Sénat avait en son temps introduit, concernant les modalités de concertation des partenaires sociaux sur toute réforme. Le Conseil d'État a ensuite, de manière florentine, considéré que cet article avait été respecté « dans les circonstances propres aux conditions d'élaboration du projet ». En clair, cela voulait dire : « Que l'on ne vous y reprenne pas ! ».

De fait, aucun document d'orientation concernant l'article 2, relatif à la durée du travail, ou l'article 10, qui porte sur les accords majoritaires, n'a été adressé aux partenaires sociaux. S'il est indéniable que des consultations bilatérales ont eu lieu, à aucun moment les organisations syndicales et patronales n'ont été formellement invitées à se saisir des thématiques relatives aux relations individuelles et collectives de travail, abordées par ce projet de loi. Certaines sont même apparues, comme la réforme du licenciement économique, à la faveur de fuites dans la presse, mettant ainsi les partenaires sociaux devant le fait accompli. Alors que le Gouvernement vise, par cette loi, à renforcer le dialogue social, la consultation des partenaires sociaux lors de son élaboration n'a pas été exemplaire.

En outre, l'introduction de diverses thématiques aux différents stades de construction du projet de loi a fait perdre au texte sa cohérence d'ensemble. Se sont ainsi greffés le compte personnel d'activité (CPA) tout d'abord, puis des dispositions relatives à la jeunesse ou encore à l'engagement citoyen lors de l'examen du projet de loi par le Conseil d'État. D'autres ont été retirées avant même que le Parlement en soit saisi, comme le barème prud'homal d'indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ou encore l'aménagement de la durée de travail des apprentis. D'autres enfin n'ont pas franchi le cap de l'Assemblée nationale, comme les principes essentiels du droit du travail dégagés par la commission Badinter.

C'est donc un texte sans ligne directrice claire qui a été soumis aux députés. Comportant initialement 52 articles, il a depuis doublé de volume : celui considéré comme adopté par l'Assemblée compte en effet 102 articles. Tout a été dit sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à recourir à l'article 49-3. Aucune majorité en sa faveur n'a pu être rassemblée, il a au contraire réussi à créer une fédération d'opposants autour de lui. La responsabilité du Gouvernement a été engagée peu après l'ouverture des débats en séance publique, puisque seul l'article 1er a été examiné -sur le projet de loi pour la croissance et l'activité, il y avait eu plusieurs semaines de discussion. Par conséquent, c'est au Sénat qu'aura lieu le débat sur le fond.

J'en viens au contenu de ce projet de loi. J'ai la charge des titres I et II, relatifs à la refondation du code du travail, à la nouvelle architecture normative en matière de durée du travail et de congés et au renforcement de la négociation collective. Jean-Marc Gabouty s'est occupé des dispositions relatives aux TPE et PME, au numérique, au licenciement économique et à la préservation de l'emploi, à la médecine du travail et à la lutte contre le détachement illégal de travailleurs. Enfin Michel Forissier s'est concentré sur les mesures concernant la formation professionnelle et l'apprentissage, notamment le CPA. Nous avons mené la grande majorité de nos auditions en commun et avons travaillé dans une parfaite entente au cours de ces trois mois : nous vous ferons donc des propositions communes.

L'article 1er lance le chantier de la refondation du code du travail, mais la feuille de route fixée à la commission chargée de proposer une réforme au Gouvernement demeure imprécise. Si les soixante et un principes essentiels du droit du travail ont disparu du texte, à cause des risques contentieux qu'ils avaient entraînés, on ignore quelles parties du code du travail seront traitées en priorité. Et l'ambition de la refondation du code est d'emblée rognée par l'exigence de ne retenir que des dispositions supplétives à droit constant.

L'article 2, au coeur des débats, sur la base des recommandations de la commission Combrexelle, réorganise selon une architecture ternaire les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et aux congés payés. Afin de consacrer le rôle de la négociation d'entreprise, il distingue le champ de l'ordre public, qui ne peut être modifié par accord, de celui de la négociation collective, chargée de fixer des règles adaptées aux besoins et aux contraintes propres à l'entreprise et ses salariés. Il détermine enfin un cadre supplétif applicable en l'absence d'accord.

Le principal argument des opposants à cet article repose sur le fait qu'il romprait avec plus d'un siècle de droit du travail français en bouleversant la hiérarchie des normes, en autorisant à la négociation collective de déroger à la loi sans être forcément plus favorable aux salariés et en permettant à l'accord d'entreprise de prévaloir sur l'accord de branche. Il est cependant faux d'affirmer qu'il n'existe aucun précédent en la matière ou qu'un tel mécanisme s'appliquerait nécessairement au détriment des salariés. En effet, dès l'ordonnance du 16 janvier 1982, celle-là même qui a fixé la durée du travail à 39 heures et a accordé aux salariés une cinquième semaine de congés payés, les partenaires sociaux ont pu, par accord collectif, déroger à la loi y compris dans un sens défavorable aux salariés. Depuis la loi du 4 mai 2004 portée par François Fillon, l'accord d'entreprise peut déroger à l'accord de branche, sauf dans quatre domaines spécifiques ou si ce dernier en stipule autrement. Enfin, depuis la loi du 20 août 2008, l'accord d'entreprise prime sur l'accord de branche en matière de durée du travail, qu'il s'agisse de la fixation du contingent d'heures supplémentaires, du recours aux conventions de forfait ou encore de la modulation des horaires sur l'année.

Cet article 2 n'est donc pas si révolutionnaire ! Il s'agit, pour une bonne part, de recodification à droit constant. La fixation du taux de majoration des heures supplémentaires pourra se faire par accord d'entreprise, les forfaits en jours ont été sécurisés et le Gouvernement prévoit la possibilité de conclure des accords d'aménagement du temps de travail sur trois ans. En revanche, on peut douter de la portée réelle de certaines dispositions, comme la fixation par accord d'entreprise, plutôt que par accord de branche, du recours au contrat de travail intermittent.

Surtout, l'ambition simplificatrice initiale, qui devait bénéficier aux PME, a été progressivement revue à la baisse. Confier davantage de responsabilités à la négociation collective implique, pour les entreprises, d'avoir la capacité de négocier et de conclure des accords. Les PME jusqu'à 50 salariés, et même dans les faits jusqu'à une centaine de salariés, n'ont pas de représentation syndicale du personnel. Dans les entreprises de plus grande taille, l'employeur devra engager une négociation loyale et prévoir des contreparties substantielles s'il souhaite aboutir à un accord.

Les dispositions relatives aux congés spécifiques ont également fait l'objet d'une réécriture globale (à l'article 3) en reprenant le triptyque utilisé pour la durée du travail, seuls quelques congés échappant à cette refonte. Cette réécriture a été réalisée pour l'essentiel à droit constant, le chantier de l'harmonisation des règles n'ayant pas été ouvert. Sur un point seulement, le Gouvernement amorce un début de simplification : tous les litiges relatifs à ces congés spécifiques relèveront désormais de la compétence du juge prud'homal, statuant en la forme des référés.

Si nous approuvons la priorité accordée aux accords d'entreprise en matière de durée du travail, cela ne signifie absolument pas que nous souhaitions marginaliser les branches professionnelles, qui ont un rôle essentiel à jouer pour réguler la concurrence et assurer un socle de garanties aux salariés, réaffirmé dans la réécriture de l'article 13. En outre, ces branches ont leur utilité pour les TPE - PME qui ne concluraient pas d'accord elles-mêmes.

J'en viens au volet consacré à la modernisation des règles relatives à la négociation collective. Le débat s'est focalisé sur l'article 10 qui subordonne la validité d'un accord d'entreprise à sa signature par des syndicats majoritaires. C'est le sens de l'histoire, comme l'indiquait la position commune des partenaires sociaux du 9 avril 2008. A ce stade, le texte prévoit l'entrée en vigueur de cette nouvelle règle de validité au 1er janvier 2017 pour les accords portant sur la durée du travail, les repos et les congés, avec une généralisation à tous les accords le 1er septembre 2019. Le risque demeure toutefois élevé que cet article freine le dialogue social dans les entreprises, car il n'est pas facile d'atteindre 50 %.

L'autre mesure phare de ce volet consiste en la création, à l'article 11, de l'accord de préservation et de développement de l'emploi, qui permettra à nos entreprises de disposer d'un outil riche de promesses pour s'adapter rapidement aux évolutions de leurs marchés, à l'instar de leurs homologues allemandes. La précédente majorité avait plaidé en vain en 2012 auprès des partenaires sociaux pour bâtir un cadre juridique sécurisé en faveur d'accords de compétitivité. Le Gouvernement s'est résolu à emprunter cette voie en instaurant en 2013 les accords de maintien de l'emploi mais en leur adjoignant de nombreux verrous. La formule n'a dès lors pas eu le succès escompté, avec seulement douze accords signés depuis leur création. Ce bilan décevant conduit à créer, à côté des accords de maintien de l'emploi, une nouvelle catégorie d'accords pour modifier la durée du travail, son organisation et la rémunération horaire des salariés. Après de nombreux revirements à l'Assemblée nationale, le licenciement d'un salarié qui refuserait l'application d'un tel accord reposerait finalement sur un motif sui generis, ni économique, ni personnel, avec un accompagnement ad hoc. La procédure à suivre par l'employeur, s'agissant de l'entretien préalable, reprendra l'essentiel des règles applicables au licenciement économique individuel.

Par ailleurs, l'article 14 vise à accélérer la restructuration du paysage conventionnel. Parmi les quelque 680 branches professionnelles, un grand nombre sont inactives depuis plusieurs années. L'objectif du Gouvernement est d'atteindre 200 branches d'ici trois ans. Malgré la mise en place, il y a deux ans, de mécanismes ambitieux à la disposition du ministre du travail, comme la fusion ou l'élargissement de champs conventionnels, ce chantier a pris du retard.

De plus, le texte comporte des dispositions indispensables pour moderniser la négociation collective, comme la clarification des règles de révision d'un accord, la sécurisation des règles applicables en cas de dénonciation ou de mise en cause d'un accord, la création d'un portail internet public pour accéder à tous les accords collectifs ou encore la reconnaissance juridique des accords de groupe. En outre, sont prévues une sécurisation juridique concernant la mise à disposition de locaux par des collectivités territoriales au profit des syndicats, une augmentation de 20 % du crédit d'heures de délégation pour les délégués syndicaux, la possibilité pour l'employeur de contester le devis d'une expertise du CHSCT, l'organisation de formations communes entre employeurs et salariés. Le projet de loi aménage, après de nombreux rebondissements - souvenez-vous des discussions lors de l'examen de la loi Rebsamen - les règles de la représentativité patronale pour tenir davantage compte du nombre de salariés des entreprises adhérentes aux organisations patronales, traduisant l'accord trouvé par celles-ci le 2 mai dernier.

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