Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 2 juin 2016 à 14h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le philosophe Louis Althusser a intitulé l’un de ses livres L’Avenir dure longtemps. On pourrait dire la même chose du passé.

C’est justement à cela que nous invite le travail qui vous est aujourd’hui soumis, puisque cette proposition de loi nous conduit à examiner ce qui s’est passé depuis plusieurs siècles. La prescription est en effet l’une des clefs de voûte de notre système judiciaire. Elle n’est d’ailleurs pas seulement un principe : nous parlons même souvent d’elle comme d’une institution.

Nous le savons bien, les règles légales et jurisprudentielles de la prescription sont devenues inadaptées aux attentes de la société et aux besoins des juges en matière de répression des infractions. Leur incohérence, leur instabilité sont devenues préjudiciables à l’impératif de sécurité juridique. Il était donc nécessaire de réfléchir à la manière de faire évoluer les règles de la prescription. Pour cela, il fallait entendre les juges et considérer les besoins de la société et ce qu’elle est en droit d’attendre en matière de justice.

C’est ce travail qu’a commencé le Sénat dans un excellent rapport d’information de Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, qui s’intitulait de manière très pertinente Pour un Droit de la prescription moderne et cohérent, rendu public le 20 juin 2007. « La situation actuelle du droit de la prescription est devenue source de confusion et d’insécurité, à rebours de la vocation fondamentale du principe fondé justement sur la primauté de la sécurité », était-il souligné dès l’introduction.

Ce rapport d’information sur les règles de la prescription, à la fois exhaustif et prudent, a conduit ses auteurs à défendre l’idée d’une évolution du droit de la prescription.

L’Assemblée nationale, sous l’égide d’Alain Tourret et de Georges Fenech, a poursuivi cette réflexion et élaboré une proposition de loi.

Je souligne combien le travail de l’Assemblée nationale est remarquable, car il a été conduit conjointement par un député de la majorité et un député de l’opposition. Sur cette question, les auteurs de ce texte ont su faire fi de leur position politique, conscients de la nécessité de transcender les clivages.

Toutes les préconisations du Sénat contenues dans le rapport d’information ont été retenues dans la proposition de loi, du moins pour ce qui concerne la partie civile ; les prescriptions en matière pénale n’ont en revanche pas toutes été reprises. Reste que, dans le principe, toutes les recommandations de la Haute Assemblée relatives à l’introduction de la jurisprudence dans la loi, l’allongement des délais de prescription, la clarification du régime de prescription figurent bien dans le texte que j’ai l’honneur de vous présenter.

Saisi par le président de l’Assemblée nationale, le Conseil d’État a intégralement validé cette proposition de loi sur le fond, ce qui en souligne évidemment la grande qualité. Il a cependant émis plusieurs suggestions pour l’améliorer. Celles-ci ont été suivies et, le 2 mars 2016, la commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté l’ensemble des amendements déposés en ce sens par le rapporteur.

Le Gouvernement a également souhaité que la règle de l’imprescriptibilité soit non pas étendue aux crimes de guerre, mais réservée aux crimes contre l’humanité, ce qui fait écho à la position exprimée dans cet hémicycle à de multiples reprises par Robert Badinter lui-même. L’imprescriptibilité doit demeurer exceptionnelle.

La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 10 mars. Elle est aujourd'hui devant vous.

Le Gouvernement souhaite que le Sénat renforce cet équilibre, car cette proposition de loi constitue une réelle avancée en matière de procédure pénale. Elle inscrit dans la loi les règles dégagées par la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de prescription des délits occultes ou dissimulés. Elle renforce la sécurité juridique et améliore la lisibilité du droit. Chacun pourra en effet connaître plus facilement les règles applicables en consultant la loi, sans être un expert ou devoir analyser la jurisprudence.

Ce texte rassemble aussi dans un même code des dispositions qui étaient éparpillées. Il contribue ainsi à améliorer significativement la lisibilité de la loi.

Enfin, cette proposition de loi clarifie et améliore l’efficacité des règles de prescription, qu’il s’agisse de la durée de la prescription, des modalités de calcul des délais ou des règles de suspension ou d’interruption de la prescription.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai évidemment lu le compte rendu des travaux de votre commission des lois lors de sa réunion du 25 mai dernier. J’ai entendu M. le rapporteur et M. le président de la commission et je sais que le sujet est important. Vous avez émis le souhait que le Sénat puisse disposer du temps nécessaire pour étudier sereinement ce texte, ce qui me paraît tout à fait légitime.

Pour ma part, j’indiquerai simplement que le Gouvernement est très attaché à ce texte, qu’il soutient activement. C’est pourquoi nous comptons sur le caractère constructif du temps d’étude que le Sénat va probablement se donner.

Le sujet a été abordé à de très nombreuses reprises lors de différents travaux législatifs au cours de ces dernières années, mais c’est la première fois qu’une vision globale et une cohérence d’ensemble sont apportées.

Cette proposition de loi permettra grandement d’éclairer notre réflexion commune sur la prescription. Tout le monde a à gagner à son adoption.

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