Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 2 juin 2016 à 14h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est parce que cette réforme en matière de prescription pénale est tout à fait cruciale pour notre système judiciaire que j’aurais aimé pouvoir vous parler du fond et partager avec vous nos convictions sur ce sujet. Malheureusement, dans un tel contexte, je ne pourrai pas le faire autant que je l’aurais souhaité, autant que nous l’aurions tous souhaité, si j’en crois ce qui vient d’être dit.

Les conditions dans lesquelles ce texte, pourtant si important, nous arrive sont fondamentalement discutables.

Lors de la réunion de la commission, notre rapporteur a nous a confié en toute honnêteté qu’il ne lui avait pas été possible d’étudier sereinement cette proposition de loi dans les délais que le Gouvernement a laissés au Sénat. En effet, un texte tel que celui-ci est tout à fait crucial. Il ne s’agit nullement d’un simple ajustement technique.

Modifier les conditions de la prescription pénale, c’est toucher au cœur même de notre système de justice. J’irai plus loin : modifier les conditions de la prescription pénale, c’est toucher à l’organisation même de notre vie sociale. Et j’ai la conviction que l’on ne peut s’y risquer qu’avec une main tremblante. La précipitation avec laquelle le texte a été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale me laisse – nous laisse ! – songeur…

Le renvoi à la commission que nous sollicitons devrait donc nous laisser le temps d’étudier sereinement cette proposition de loi. Le Sénat doit pouvoir poser une analyse raisonnée et modérée pour parvenir à rendre cette réforme juste et équilibrée. Nous ne devons pas, je le répète, nous précipiter, et ce n’est qu’à cette condition que nous aurons bien fait notre travail.

Pour autant, laissez-moi vous dire quelques mots sur le fond et sur ce que sont nos convictions sur le texte aujourd'hui soumis à notre assemblée.

Dans cet univers où tout s’accélère, où internet pose la question de la suspension du droit à l’oubli, l’extension des délais de prescription pose, je le pense, une question similaire. Le droit à l’oubli est indéniablement un outil qui concourt à la pacification de notre société. Il est parmi les fondements de ce qui rend notre vivre ensemble possible, de ce qui nous permet de faire société.

À l’heure où notre société n’en finit plus de perdre ses repères, au moment où naît et prospère le doute quant à la capacité de nos institutions à maintenir la stabilité, affaiblir cette notion essentielle qu’est le droit à l’oubli, c’est prendre le risque de déstabiliser encore notre société. J’en ai la conviction : il est tout à fait sain de ne pas chercher systématiquement à réveiller ce que le temps a apaisé. C’est même indispensable.

Pour ces raisons, il me semble nécessaire de prendre le temps de la réflexion. De même, l’analyse approfondie de l’étude de droit comparé qui a été sollicitée par la commission mérite d’être faite dans les meilleures conditions possibles.

De façon plus concrète, ce texte est porteur d’éléments qui doivent être discutés. En particulier, l’argument, souvent présenté comme un argument d’autorité, selon lequel le progrès – indéniable – des techniques doit ouvrir la voie à une extension de la prescription, est discutable, techniquement et moralement.

Il est discutable techniquement parce que les progrès permettent aussi de découvrir plus immédiatement d’éventuelles preuves. Il l’est moralement parce que cela n’est pas une raison suffisante pour remettre en cause le fait que les crimes doivent un jour être prescrits.

Enfin, il nous semble bon de modifier d’autres éléments du texte. Nous pensons ainsi qu’il est impossible d’admettre que la partie civile puisse se substituer au parquet pour interrompre les prescriptions, comme le prévoit actuellement le texte.

Vous l’avez compris, nous pensons que de nombreux points de cette réforme doivent être discutés et, le cas échéant, amendés. Nous avons le devoir de rendre ce texte juste et équilibré, ce qu’il ne nous sera possible de faire qu’avec le temps incompressible de l’analyse, de la discussion et de la réflexion.

Aussi, comme nous l’avions annoncé lors de la réunion de la commission, il nous paraît indispensable, pour l’instant, de renvoyer ce texte en commission.

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