Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 2 juin 2016 à 14h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai été le seul à m’abstenir sur la motion tendant au renvoi à la commission, qui nous a été proposée en commission.

Toutefois, je défendrai ici la position qui est celle de mon groupe et de tous les groupes, du rapporteur et du président de la commission, parce que, si je pense que ce texte, en l’état, peut donner lieu ici-même à un débat utile, je considère que le choix de tous mes collègues de solliciter le renvoi à la commission doit être considéré comme un acte positif. Vous avez d’ailleurs bien voulu le considérer ainsi, monsieur le garde des sceaux.

Je dois dire d’emblée que j’ai considéré pour ma part que le rapport d’information des députés Alain Tourret et Georges Fenech, que vous avez suivi avec beaucoup d’attention, monsieur le garde des sceaux, alors que vous étiez président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, était un travail extrêmement positif, sérieux et approfondi, sur un sujet difficile.

Nul ne méconnaîtra la nécessité de revoir la question de la prescription. Il existe d'ailleurs, à mon sens, une continuité entre les travaux du Sénat et ceux de l’Assemblée nationale.

On me permettra de citer, pour justifier l’intérêt qui doit être porté à la question de la prescription, le rapport de nos éminents collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Young : « Les délais de prescription de l’action publique apparaissent aujourd’hui excessivement courts. L’allongement des délais de prescription décidé par le législateur pour certaines catégories d’infraction, les initiatives jurisprudentielles tendant à reporter le point de départ du délai de prescription dans certains cas, comme la multiplication des motifs d’interruption et de suspension de la prescription, sont autant de témoignages de l’inadaptation des délais actuels de prescription aux attentes de la société. »

Notre collègue député Alain Tourret écrit fort justement dans son rapport :

« Au départ, l’ordonnancement des délais de prescription était adossé à la classification tripartite des infractions – contraventions, délits et crimes. Aussi les délais de prescription de l’action publique étaient-ils fixés par les articles 7 à 9 du code de procédure pénale, respectivement à un an, trois ans et dix ans, et les peines se prescrivaient-elles par trois, cinq et vingt années révolues, en application des articles 133-2 à 133-4 du code pénal.

« Ce bel ordonnancement a peu à peu éclaté avec la multiplication des régimes légaux de prescription abrégée ou allongée. Le législateur a, d’une part, instauré des délais de prescription de l’action publique écourtés, comme pour certaines infractions de presse, afin de préserver la liberté d’expression, ou certaines infractions prévues par le code électoral, pour éviter la remise en cause trop tardive d’un scrutin et ne pas bouleverser la composition d’un organe élu. Il a, d’autre part, prévu des délais de prescription allongés pour tenir compte de la vulnérabilité particulière des victimes et de la gravité ou du caractère particulièrement odieux de certaines infractions – infractions, notamment sexuelles, sur les mineurs ; actes terroristes ; trafic de stupéfiants, etc. – »

J’ai tenu à livrer ces deux citations pour montrer l’évidence de cette proposition de loi, dans le droit fil de celle qui a été adoptée sur l’initiative du Sénat.

Nous devons garder à l’esprit un certain nombre de considérations philosophiques. Le droit à l’oubli, d’abord. Il existe, disait-on, une grande loi de l’oubli qui a beaucoup inspiré les législateurs dès le moment où a été pensée la prescription.

Toutefois, dans le même temps – j’en discutais avec Michelle Meunier – l’oubli de certains actes et l’impunité de leurs auteurs ont un caractère insupportable. Il nous faut donc prendre en compte à la fois l’exigence humaniste de ne pas ressasser indéfiniment certaines choses et l’inspiration, non moins humaniste, de ceux qui nous disent que des crimes insupportables ne peuvent sombrer dans l’oubli.

Nous devons ensuite considérer une autre nécessité que celles dont je viens d’évoquer le caractère philosophique et moral : la question des preuves. Celle-ci se pose assurément sous un jour nouveau ; plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, l’ont dit, ainsi que M. le garde des sceaux. En effet, les évolutions scientifiques relatives aux empreintes génétiques nous donnent évidemment la capacité de découvrir aujourd’hui des preuves longtemps après, ce qui n’était pas possible auparavant. Notre droit doit prendre en compte ces incontestables évolutions.

Je sais, mes chers collègues, que notre choix de renvoyer ce texte en commission suscitera quelques frustrations. Je sais combien Michèle Meunier est attachée à ce que, pour les crimes relevant de l’article 706-47 du code de procédure pénale ou de l’article L. 222-10 du code pénal, l’on examine la possibilité de passer de vingt ans à trente ans pour la prescription. Ce débat est incontestablement d’actualité.

De la même manière monsieur le garde des sceaux, le fait qu’il est question des crimes de guerre m’aurait donné l’opportunité – vous le voyez, je passe de l’indicatif au conditionnel !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion