Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 2 juin 2016 à 14h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans les affaires de crimes ou de délits, l’action publique, si elle n’est pas intentée dans un certain délai, s’éteint par l’effet de la prescription extinctive. Le délinquant ne peut plus alors être poursuivi et l’infraction dont il s’est rendu coupable va rester impunie.

La durée de cette prescription, fixée par le code d’instruction criminelle de 1808, est de dix ans pour les crimes et trois ans pour les délits.

En mars 2010, j’ai été alerté par l’association Victimes en séries, ou ViES, dont le fondateur est l’un de mes anciens professeurs de droit, actuellement avocat au barreau de Reims. Il fut le défenseur des familles des disparus de Mourmelon, ainsi que des parents de deux des victimes du tueur en série Fourniret. Ce dernier pensait échapper à la justice en avouant, d’ailleurs assez facilement, les assassinats de deux jeunes filles, car, pour lui, ils étaient « prescrits depuis belle lurette », selon ses propres termes !

Comment alors parler de ce délai aux familles qui ont perdu un proche, alors que l’évolution des technologies permet de nouvelles investigations bien après ce laps de temps ?

La raison principale de la fixation de ces délais résidait dans le dépérissement des preuves. Au fur et à mesure que le temps s’écoule à compter de la commission de l’infraction, les preuves disparaissent ou perdent beaucoup de leur valeur. Plusieurs années après le crime ou le délit, il devient alors difficile d’en découvrir les traces et les indices ou de rechercher les témoins. Ceux que l’on retrouverait auront probablement oublié ou n’auront plus que des souvenirs vagues et imprécis des faits.

Dorénavant, le motif factuel de dépérissement des preuves n’est plus valable, au vu du développement de la police scientifique et technique. Le développement des méthodes d’analyse, faisant notamment appel à l’ADN, met en lumière l’inadéquation des délais de prescription de l’action publique fixés par notre code de procédure pénale et l’intérêt de la communauté à faire juger des personnes coupables de crimes ou de délits.

De nombreuses affaires criminelles récentes montrent que, plus de dix ans après les faits, des analyses sont désormais possibles et se révèlent déterminantes pour les procès. Or le temps ne saurait atténuer ni supprimer le danger que le délinquant représente pour la société.

Les délais de prescription de l’action publique apparaissent donc aujourd’hui excessivement courts et ne permettent plus à l’État de protéger efficacement la société contre les délinquants. Les initiatives jurisprudentielles ont tendu à reporter le point de départ du délai de prescription ou à multiplier les motifs d’interruption ou de suspension de celle-ci, afin de permettre de poursuivre un délinquant au-delà du délai fixé par la loi.

Le législateur lui-même, prenant acte de l’inadaptation des délais actuels de prescription aux attentes de la société, a allongé par touches successives les délais de prescription pour certaines catégories d’infraction. Il est maintenant nécessaire de reconsidérer la durée de prescription en matière criminelle, tout en gardant à l’esprit que ce délai est justifié par la crainte qu’une action exercée trop longtemps après la commission de l’infraction ne provoque une erreur judiciaire.

J’avais donc déposé, en 2010, une proposition de loi visant à allonger les délais de prescription de droit commun de l’action publique en matière criminelle et délictuelle, qui a été cosignée par plus d’une trentaine de nos collègues, dont vous-même, monsieur le rapporteur.

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