Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 2 juin 2016 à 14h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Déposée à nouveau en 2015, pour cause de caducité, elle a, de nouveau, recueilli autant de cosignataires, mais pas toujours les mêmes, les élections sénatoriales ayant eu lieu entretemps.

Affirmant que la prescription de l’action publique en matière pénale conservait toute sa justification dans notre droit, l’objet de ma proposition n’était pas d’étendre l’imprescriptibilité, pour trois raisons principales.

Premièrement, la remise en cause de la prescription supprimerait la spécificité reconnue aux crimes contre l’humanité, comme les précédents orateurs l’ont souligné.

Deuxièmement, la remise en cause de la prescription nuirait à la bonne administration judiciaire, l’absence de prescription ferait en effet peser une charge excessive sur les services de police, contraignant les enquêteurs à choisir entre des affaires anciennes non élucidées et des dossiers plus récents.

Troisièmement, les méthodes de la police scientifique ont certes progressé, notamment par le recours à l’ADN, justifiant un allongement des délais, mais doit-on pour autant faire de l’ADN une preuve irréfutable ?

Cependant, la prescription doit être adaptée à l’évolution de notre société. Cela répond à une attente de nos concitoyens, qui ne peuvent plus admettre que des crimes insupportables restent impunis du fait de l’acquisition de la prescription. La fixation des délais doit prendre en compte l’évolution de la police scientifique. Si comparaison n’est pas raison, l’ensemble de nos partenaires européens dispose toutefois de délais plus importants.

Enfin, ma proposition permettait de mettre un terme à certains régimes dérogatoires, restaurant ainsi une certaine cohérence dans ce droit.

Il nous faut, en parallèle, considérer l’incompréhensible législation de la prescription des infractions commises contre les mineurs. Un exemple de situation défiant toute logique : le proxénétisme aggravé commis contre un mineur se prescrit par trois ans à compter des faits, alors que les pénalités encourues sont de dix ans, quand le recours à la prostitution d’un mineur se prescrit par dix ans à compter de la majorité, alors que les pénalités encourues sont de trois ans. Un travail considérable et méticuleux nous attend !

Je poursuivrais mon propos sur l’aspect budgétaire, en ma qualité de rapporteur de la commission des finances du budget de la justice. Les crédits de la mission justice, hors dépenses de personnel, diminuent d’année en année – de 48 millions d’euros en 2016. C’est principalement le plan de lutte antiterroriste qui permet au ministère de la justice de sauvegarder globalement ses moyens cette année.

Or il est aujourd’hui indispensable d’améliorer le fonctionnement de l’autorité judiciaire, en réduisant en particulier les délais de traitement dans les juridictions. Il faut donc donner aux juridictions judiciaires les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.

Les comparaisons européennes ne placent la France qu’au trente-septième rang sur quarante-cinq pays, au regard du critère du budget consacré à la justice rapporté au niveau du PIB par habitant, ce qui signifie que le budget alloué à la justice est comparativement moins élevé en France que dans les autres pays européens.

Pour information, l’Allemagne consacre 114 euros par habitant à la justice, contre 61 euros en France, selon une étude de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, la CEPEJ. Pour que la justice française dispose de moyens équivalant à ceux de la justice allemande, il faudrait pratiquement doubler son budget.

D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, depuis votre prise de fonction, vous avez fait de grandes déclarations sur la faiblesse des moyens de votre ministère, même si, pour nous, cette situation n’est pas nouvelle. Le Parlement dénonce en effet chaque année les moyens insuffisants dont dispose la justice. Comme notre collègue Jacques Mézard, je salue votre engagement en faveur des moyens de votre ministère.

Je me réjouissais, certes, de voir arriver cette proposition de loi votée à l’Assemblée nationale, puisqu’elle rejoint certaines de mes préoccupations.

Cependant, force est de constater que, d’une part les délais d’instruction de cette proposition de loi par la commission des lois sont beaucoup trop courts au regard de l’enjeu et son inscription à notre ordre du jour a été particulièrement précipitée, et que, d’autre part, aucune étude d’impact – nos collègues l’ont rappelé – n’a pu être présentée, alors même que notre justice souffre d’un déficit récurrent de moyens et que l’allongement des délais de prescription entraînera de facto des coûts supplémentaires dans le temps.

Enfin, ni notre rapporteur ni l’ensemble des sénateurs n’ont pu pleinement prendre connaissance de l’étude de législation comparée sur les actes interruptifs de la prescription chez nos voisins européens. Même si cette dernière semble dans l’ensemble être nettement plus longue, cette étude de droit comparée apparaît utile à notre réflexion.

Le législateur pourrait, certes, faire preuve de volontarisme et allonger les délais de droit commun de prescription de l’action publique, mais les conditions de cette importante réforme n’apparaissent en cet instant ni pleinement réunies ni satisfaisantes pour légiférer correctement. Vous comprendrez donc que je m’associe aux conclusions que notre rapporteur nous a soumises aujourd’hui.

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