C'est avec stupeur que nous avons appris l'adoption par l'Assemblée nationale de l'amendement du Gouvernement sur cette question pourtant sensible, qui concerne des milliers de couples et d'enfants. Nous n'avons été ni consultés ni informés. Nous sommes opposés à cette réforme. Déjà, en 2008 et en 2010, nous avions défendu la place du juge dans tous les cas de divorce, y compris sans enfant. Le président du Conseil national des barreaux (CNB) déclarait à l'époque : « L'accord des parties est une chose mais un divorce n'est pas une transaction immobilière. Dans un couple, il y a toujours un dominant et un dominé et même en cas de divorce par consentement mutuel, il y a toujours un qui demande et l'autre qui accepte. Le divorce n'est pas un contrat. » Rien de plus vrai !
Cette réforme paraît moderne et vertueuse, mais c'est tout le contraire. Elle va complexifier le droit de la famille, générer des coûts supplémentaires et davantage de contentieux - donc plus de travail pour le juge et de délais pour les familles -, et pose problème pour les enfants. Cette nouvelle procédure sera-t-elle facultative ? Selon l'exposé des motifs, elle aurait vocation à s'ajouter et à se substituer à la majorité des cas de divorce par consentement mutuel. Mais la Chancellerie nous a parlé d'une obligation... Inquiétant.
Il ressort des rapports parlementaires sur la question que la durée moyenne d'un divorce par consentement mutuel est de 2,7 mois - un divorce à grande vitesse ! De fait, cette rapidité surprend souvent les couples. Pour un divorce contentieux, le délai moyen est de 20 à 24 mois. Or 40 % des divorces par consentement mutuel font l'objet d'un contentieux après coup. Sur le plan financier, comme les couples devront avoir recours à deux avocats, le coût sera plus important. Cette réforme réalisera-t-elle une économie pour le budget de la justice ? Selon le rapport de Mme Tasca et de M. Mercier, publié en 2014, « le gain escompté d'une déjudiciarisation risque d'être peu significatif : les divorces par consentement mutuel sont parmi les procédures les plus rapidement traitées par les juges aux affaires familiales et les mobilisent très peu. » Et les accords amiables non vérifiés sont davantage susceptibles de donner lieu à des recours devant le juge.
L'enfant sera le grand perdant de cette réforme. Le juge vérifie comment il est traité, en évitant par exemple des séparations de fratrie. Il est seul à pouvoir s'opposer à la volonté des titulaires de l'autorité parentale. Cette réforme est une vraie régression. Certes, la France devant se conformer aux engagements pris devant l'ONU, on a imaginé la possibilité pour l'enfant de demander à être auditionné, mais cette possibilité est illusoire, nous l'avons vu. Même Alain Tourret a alerté le Gouvernement sur l'impossibilité de prouver que l'enfant a bien été informé de ce droit. Il n'a pas été entendu. Je rappelle aussi que l'Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant, qui avait été soutenue par le Gouvernement et qui prévoit que l'enfant doit être entendu, le juge ayant à apprécier le bien-fondé d'un éventuel refus. Avec ce texte, le passage devant le juge se fait à l'initiative de l'enfant ! Quelle responsabilité ! Le juge peut déléguer l'audition de l'enfant à un service de médiation familiale, mais il y a toujours un risque d'instrumentalisation de la parole de l'enfant.
Nous sommes hostiles à cette réforme même en l'absence d'enfant. Comment vérifier la liberté du consentement ? Les divorces entraînent quasi automatiquement des baisses de niveau de vie, dont pâtissent surtout les femmes. Les politiques publiques essaient de réparer, par exemple en assurant le règlement les pensions alimentaires. Cette réforme n'irait pas dans le même sens. Un amendement déposé à l'Assemblée pour protéger les femmes sous emprise ou victimes de violences conjugales a malheureusement été écarté.
Comme le disait cette année notre ministre de la famille : « Le droit de la famille ne doit pas échapper à la régulation par le juge. Mieux vaut une mauvaise décision de justice que pas de juge. » Il y a d'autres pistes. Un rapport du Haut conseil de la famille publié en avril 2014 propose de mieux préparer le travail du juge en obligeant les parents à réunir les éléments nécessaires à la détermination de la pension alimentaire et en créant dans les caisses d'allocations familiales un service les y aidant. Il recommande aussi de développer la médiation familiale et de renforcer les effectifs de la justice familiale. Si cette réforme devait être votée, il faudrait au moins prévoir un dispositif d'évaluation, qui pourrait être confié au Haut Conseil, pour en mesurer les effets réels tant pour les juges que pour les familles.