Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 8 juin 2016 : 2ème réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • avocat
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  • consentement
  • divorce
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La réunion

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Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à des auditions sur le divorce « conventionnel » par consentement mutuel, dans le cadre de l'examen du projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le projet de loi intitulé par le Gouvernement « Justice du XXIème siècle » - pourquoi pas du troisième millénaire, pour mieux marquer la portée impérissable de la réforme ? - a été profondément modifié par l'Assemblée nationale, qui a doublé le nombre de ses articles. Il y a donc deux textes en un, et comme le Gouvernement a opté pour la procédure accélérée, une commission mixte paritaire (CMP) va être réunie, que ces auditions ont pour but de préparer. Elles porteront sur les trois sujets parmi les plus délicats, dont le Sénat n'a pu débattre : le divorce, la suppression de la collégialité de l'instruction et les dispositions relatives à la justice des mineurs, et le changement d'état civil des personnes transsexuelles. Comme vous êtes nombreux, la concision s'impose à tous !

Debut de section - Permalien
Céline Parisot, secrétaire générale de l'Union syndicale des magistrats

L'Union syndicale des magistrats (USM) n'est pas opposée au principe de l'allègement de la charge excessive qui pèse sur les tribunaux par la déjudiciarisation des contentieux où l'apport du juge est le plus faible. Le texte fait intervenir deux avocats dans le divorce par consentement mutuel, puis un notaire. Cette procédure est impossible si un mineur demande son audition par le juge ou si l'un des conjoints est placé sous protection. Ce sont autant de garanties, les avocats ayant un rôle de conseil, mais le coût s'en trouve multiplié par deux ! Le consentement devra être donné par écrit et un délai de réflexion de quinze jours, indispensable à nos yeux, est prévu avant la signature. Une passerelle vers le judiciaire est conservée tout au cours de la négociation. Le rôle exact du notaire reste flou, et sera sans doute léger. En fait, l'allégement de la charge de travail des magistrats sera faible, ce sont surtout les greffes qui y gagneront. Difficile en effet de déjudiciariser les contentieux qui prennent le plus de temps...

Première difficulté : la protection des intérêts de l'enfant, car la présence d'un enfant mineur n'empêche pas la procédure conventionnelle. Or on voit mal comment des parents qui se déchirent pourraient à chaque fois correctement défendre l'intérêt de leurs enfants. Détenteurs de l'autorité parentale, ils sont leurs premiers protecteurs, mais dans un divorce, chacun défend ses intérêts et peut les confondre avec ceux de l'enfant. Tous les juges des affaires familiales (JAF) ont déjà fait modifier des conventions sur lesquelles les parents s'étaient mis d'accord mais qui étaient nuisibles à leurs enfants, prévoyant par exemple des modalités de garde alternée absurdes.

La possibilité donnée au mineur de demander son audition nous paraît illusoire. S'il est trop petit, c'est impossible : les enfants les plus jeunes sont ainsi les moins bien protégés. S'il reçoit de ses parents l'information relative à ce droit - comment s'en assurer ? - l'imagine-t-on demander son audition par le juge au risque de modifier la procédure choisie par ses parents ? Pour l'USM, l'exception prévue pour les personnes vulnérables doit être étendue à la présence d'enfants mineurs.

Enfin, le nombre de contentieux après divorce risque d'augmenter. Un juge pose des questions sur les conséquences de la convention prévue et peut ordonner un renvoi pour donner un temps de réflexion. Mais il faut savoir faire preuve d'imagination pour décharger les juridictions... L'USM ne s'oppose donc pas par principe à cette déjudiciarisation, à condition qu'elle reste une option, que chacune des parties puisse lever à tout moment.

Debut de section - Permalien
Marion Lagaillarde, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Pour le Syndicat de la magistrature, la déjudiciarisation d'une partie du divorce par consentement mutuel ne doit pas avoir pour unique objectif de gérer la pénurie. Elle doit avant tout répondre aux besoins des justiciables et permettre à l'autorité judiciaire d'assurer ses missions. Aussi n'y sommes-nous favorables qu'à certaines conditions, relatives aux acteurs impliqués, à la procédure retenue et aux cas concernés. Or la brièveté du délai de réflexion, l'intervention d'un notaire dans des conditions ne permettant pas un examen complet de la convention, le sort des enfants mineurs, ne sont pas entourés de garanties suffisantes. Les parents peuvent très bien s'accorder entre eux sur une solution qui n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant. Voir un juge aide à maintenir un équilibre. De plus, le dispositif d'audition de l'enfant mineur n'est pas réaliste : comment vérifier que celui-ci a été correctement informé qu'il dispose de ce droit ? Pense-t-on vraiment qu'il prendra la responsabilité de re-judiciariser la procédure de divorce ? Sans parler des enfants trop jeunes pour être entendus... Nous souhaitons donc que les couples mariés avec enfants ne puissent pas bénéficier de cette procédure.

Nous avons formulé une proposition alternative, concernant les couples mariés sans enfants. Les époux seraient reçus chacun par un avocat qui les informerait de l'intégralité de la procédure et des conséquences du divorce et rédigerait la convention. Celle-ci serait déposée en mairie, les époux ne pouvant être convoqués devant l'officier d'état civil avant un mois - délai préférable aux quinze jours prévus. Celui-ci les recevrait, s'assurerait de l'existence de la convention, leur donnerait lecture des articles du code civil sur les effets du divorce et recueillerait ensuite leur consentement. Il serait chargé de la transcription des actes de divorce. Les époux auraient à exécuter volontairement la convention. En cas de défaut d'exécution volontaire, le JAF serait saisi en homologation et lui donnerait force exécutoire.

Cette procédure déjudiciarisée organiserait un démariage simple et facile, fait par un officier d'état civil, auquel une publicité plus grande serait donnée. La convention serait faite sous seing privé, conclue sauf meilleur accord des parties, et pourrait toujours être transformée en acte authentique devant notaire. En cas d'inexécution, le recours est simple et ne donne pas lieu à convocation des parties devant le JAF sauf cas de contrariété à l'ordre public, ce qui est assez rare. Enfin, l'aide juridictionnelle devra être revalorisée, vu l'approfondissement du rôle de l'avocat.

Debut de section - Permalien
Jean de Maillard, permanent à FO Magistrats

Il est regrettable que sur de tels sujets le législateur doive se prononcer dans l'urgence, et même la précipitation, sans même d'étude d'impact. Nous ne sommes pas hostiles à la déjudiciarisation, pourvu qu'elle ne se retourne pas contre les justiciables. On nous dit que 99% des conventions sont homologuées par le JAF, mais quel serait ce taux dès lors qu'elles ne seront plus soumises au juge ? Distinguons les garanties formelles des garanties réelles. Dans les couples comme ailleurs, il y a un rapport entre fort et faible. On sait combien sont payés les avocats commis d'office. Leur protection sera-t-elle suffisante ? Le consentement au divorce peut dissimuler le désir du faible d'échapper à l'emprise du fort. Ce texte n'apporte pas de garanties réelles, par exemple, à une femme sous la coupe d'un mari violent ou autoritaire, prête à tout, même à abandonner ses enfants, pour retrouver sa liberté. La situation pourra se retourner contre l'époux le plus faible, et contre les enfants. De plus, ce texte pourrait être utilisé pour dissimuler des répudiations dans certaines communautés.

Nous sommes étonnés que l'on fasse de l'enfant l'arbitre du divorce de ses parents. Ce serait à lui de s'opposer à la voie procédurale choisie par ses parents ? Ne risque-t-il pas d'être instrumentalisé par l'un d'eux ? Nous sommes très hostiles à cette disposition dont les conséquences risquent d'être dramatiques. N'oublions pas que le juge est le protecteur des faibles, qui ont plus que jamais besoin d'être protégés. La proposition du Syndicat de la magistrature présente des aspects intéressants. On pourrait aussi prévoir que le parquet puisse saisir le JAF s'il a un doute sur la réalité du consentement.

Debut de section - Permalien
Guillemette Leneveu, directrice générale de l'Union nationale des associations familiales

C'est avec stupeur que nous avons appris l'adoption par l'Assemblée nationale de l'amendement du Gouvernement sur cette question pourtant sensible, qui concerne des milliers de couples et d'enfants. Nous n'avons été ni consultés ni informés. Nous sommes opposés à cette réforme. Déjà, en 2008 et en 2010, nous avions défendu la place du juge dans tous les cas de divorce, y compris sans enfant. Le président du Conseil national des barreaux (CNB) déclarait à l'époque : « L'accord des parties est une chose mais un divorce n'est pas une transaction immobilière. Dans un couple, il y a toujours un dominant et un dominé et même en cas de divorce par consentement mutuel, il y a toujours un qui demande et l'autre qui accepte. Le divorce n'est pas un contrat. » Rien de plus vrai !

Cette réforme paraît moderne et vertueuse, mais c'est tout le contraire. Elle va complexifier le droit de la famille, générer des coûts supplémentaires et davantage de contentieux - donc plus de travail pour le juge et de délais pour les familles -, et pose problème pour les enfants. Cette nouvelle procédure sera-t-elle facultative ? Selon l'exposé des motifs, elle aurait vocation à s'ajouter et à se substituer à la majorité des cas de divorce par consentement mutuel. Mais la Chancellerie nous a parlé d'une obligation... Inquiétant.

Il ressort des rapports parlementaires sur la question que la durée moyenne d'un divorce par consentement mutuel est de 2,7 mois - un divorce à grande vitesse ! De fait, cette rapidité surprend souvent les couples. Pour un divorce contentieux, le délai moyen est de 20 à 24 mois. Or 40 % des divorces par consentement mutuel font l'objet d'un contentieux après coup. Sur le plan financier, comme les couples devront avoir recours à deux avocats, le coût sera plus important. Cette réforme réalisera-t-elle une économie pour le budget de la justice ? Selon le rapport de Mme Tasca et de M. Mercier, publié en 2014, « le gain escompté d'une déjudiciarisation risque d'être peu significatif : les divorces par consentement mutuel sont parmi les procédures les plus rapidement traitées par les juges aux affaires familiales et les mobilisent très peu. » Et les accords amiables non vérifiés sont davantage susceptibles de donner lieu à des recours devant le juge.

L'enfant sera le grand perdant de cette réforme. Le juge vérifie comment il est traité, en évitant par exemple des séparations de fratrie. Il est seul à pouvoir s'opposer à la volonté des titulaires de l'autorité parentale. Cette réforme est une vraie régression. Certes, la France devant se conformer aux engagements pris devant l'ONU, on a imaginé la possibilité pour l'enfant de demander à être auditionné, mais cette possibilité est illusoire, nous l'avons vu. Même Alain Tourret a alerté le Gouvernement sur l'impossibilité de prouver que l'enfant a bien été informé de ce droit. Il n'a pas été entendu. Je rappelle aussi que l'Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant, qui avait été soutenue par le Gouvernement et qui prévoit que l'enfant doit être entendu, le juge ayant à apprécier le bien-fondé d'un éventuel refus. Avec ce texte, le passage devant le juge se fait à l'initiative de l'enfant ! Quelle responsabilité ! Le juge peut déléguer l'audition de l'enfant à un service de médiation familiale, mais il y a toujours un risque d'instrumentalisation de la parole de l'enfant.

Nous sommes hostiles à cette réforme même en l'absence d'enfant. Comment vérifier la liberté du consentement ? Les divorces entraînent quasi automatiquement des baisses de niveau de vie, dont pâtissent surtout les femmes. Les politiques publiques essaient de réparer, par exemple en assurant le règlement les pensions alimentaires. Cette réforme n'irait pas dans le même sens. Un amendement déposé à l'Assemblée pour protéger les femmes sous emprise ou victimes de violences conjugales a malheureusement été écarté.

Comme le disait cette année notre ministre de la famille : « Le droit de la famille ne doit pas échapper à la régulation par le juge. Mieux vaut une mauvaise décision de justice que pas de juge. » Il y a d'autres pistes. Un rapport du Haut conseil de la famille publié en avril 2014 propose de mieux préparer le travail du juge en obligeant les parents à réunir les éléments nécessaires à la détermination de la pension alimentaire et en créant dans les caisses d'allocations familiales un service les y aidant. Il recommande aussi de développer la médiation familiale et de renforcer les effectifs de la justice familiale. Si cette réforme devait être votée, il faudrait au moins prévoir un dispositif d'évaluation, qui pourrait être confié au Haut Conseil, pour en mesurer les effets réels tant pour les juges que pour les familles.

Debut de section - Permalien
Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux

La profession d'avocat est favorable à cette réforme, qu'elle avait proposée dans son livre blanc sur la justice du XXIème siècle. Nous venons d'entendre le catalogue des difficultés qui surviennent lorsque les époux ont divorcé sans assimiler leur nouveau statut. La présence du juge a-t-elle valeur sacramentelle ? Son rôle est de trancher des contentieux. Or nous parlons de divorce par consentement mutuel, pas de contentieux. Cette disposition existe et fonctionne depuis longtemps, avec une homologation rapide et quasi constante par le juge. La procédure n'aura rien d'obligatoire. Le divorce sera prévu, conventionné, constaté par des avocats qui sont des professionnels compétents, responsables et assujettis à une stricte déontologie, qui leur impose en particulier de proscrire les conflits d'intérêts. Chaque époux sera assisté par un avocat qui défendra ses intérêts et aura pour responsabilité de faire émerger et respecter ses droits et obligations. Il n'y a donc pas à craindre l'homologation d'une convention qui aurait été préparée par un seul avocat !

Quant au coût, il ne doublera pas. La loi nous impose désormais de conventionner nos honoraires à titre préalable avec chacun de nos clients, et c'est bien ce que nous ferons, dans des conditions de coût juste et loyal, sous le contrôle des ordres et des bâtonniers, dont la régulation n'a jamais été mise en défaut. Et vous connaissez bien l'aide juridictionnelle. Il n'y a donc nulle inquiétude à avoir.

La profession développe depuis longtemps la représentation extrajudiciaire. La médiation se développe, comme la procédure participative depuis 2011. L'acte contresigné par un avocat est un nouveau mode d'accompagnement de nos clients en phase extrajudiciaire. C'est exactement de ce domaine que nous parlons.

Qui doit constater le divorce ? Dans le texte, c'est l'avocat. Il faudrait l'écrire nettement, pour éviter une confrontation inutile avec nos amis notaires. Deuxième difficulté : faire comprendre le rôle de l'avocat à l'égard des enfants ; Mme Barthélémy va y revenir, les droits des enfants seront garantis dans de bonnes conditions.

Admettons que s'il convient de concourir à l'oeuvre de justice pour alléger la charge du juge, nous pouvons concevoir un divorce par consentement mutuel déjudiciarisé, à condition d'être accompagné par les professionnels que nous sommes.

Debut de section - Permalien
Régine Barthélémy, membre du bureau du Conseil national des barreaux

Pour tout divorce, nous soumettons à nos clients une attestation sur l'honneur par laquelle ils certifient avoir informé leurs enfants de la possibilité d'être entendu. C'est ainsi que les magistrats vérifient que l'enfant connaît ses droits. En matière de divorce par consentement mutuel, cette attestation est produite avec la convention ; le juge s'en contente.

Cela dit, les enfants ne demandent jamais à être entendus. S'ils le demandaient, il serait difficile de croire qu'ils le font de leur propre chef, puisque cela impliquerait un changement de procédure. Nous avons imaginé, dans cette hypothèse, de conserver la même procédure, avec la désignation par le bâtonnier d'un avocat de l'enfant qui vérifie sa capacité de discernement. Le cas échéant, il demande au JAF que l'enfant soit entendu. Le JAF pourrait ensuite homologuer ou non les dispositions de la convention concernant l'enfant. S'il l'homologue, l'avocat l'annexe à ses actes, et elle est publiée au rang des minutes du notaire. Cette proposition répond à la vraie question des conséquences de l'audition du mineur tout en conservant l'unicité de la procédure.

Debut de section - Permalien
Jacques Combret, président honoraire de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat

La procédure d'urgence n'est guère appropriée pour un texte si important. Sachant comment se concluent les CMP, il est peu probable que l'on revienne en arrière. Nous l'appliquerons donc, en bonne intelligence avec les avocats. De fait, nos rapports sur le terrain sont harmonieux, et les clients sont généralement satisfaits de nos prestations dans la grande majorité des divorces par consentement mutuel, qu'il y ait un ou deux avocats.

L'avocat a un rôle majeur à jouer pour contrôler l'information de l'enfant. La proposition du CNB est pragmatique.

Le délai de quinze jours est un peu court, à notre avis. Quant à l'information des enfants, il faudrait préciser ce qui est prévu pour les enfants mineurs issus de précédentes unions. Le droit interdit déjà le divorce par consentement mutuel pour les majeurs protégés. Pourquoi le rappeler dans le texte ? Cela jette le trouble...

Chacun est à sa place : l'officier public produit des actes authentiques, à la date certaine et dotés d'une force exécutoire, ce n'est pas à lui de rédiger la convention. L'intervention notariale n'aura qu'un coût marginal mais elle rend la convention directement exécutoire, sans avoir à solliciter une homologation par le juge. Je ne crois pas qu'un officier d'état civil ait le même pouvoir. Nous n'hésiterons pas à nous acquitter de ces tâches, même à perte - nous en avons l'habitude. Il n'y a nullement lieu d'ouvrir avec d'autres professionnels du droit un contentieux que nous ne vivons pas sur le terrain !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous apprécions l'équanimité du notariat français.

Debut de section - Permalien
Geneviève Avenard, Défenseure des enfants

Le 3 juin dernier, le Défenseur des droits vous a adressé un courrier. M. Toubon avait déjà émis des réserves lors de l'adoption de l'amendement à l'Assemblée nationale. Ce texte méconnaît les dispositions de la convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), qui dispose que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » et que « Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. »

La garantie de l'intérêt supérieur de l'enfant doit être au coeur du dispositif. Les affaires familiales sont le deuxième motif de saisine de notre institution. La rédaction du texte n'apporte pas de garanties suffisantes : aucune autorité ne vérifie la parfaite information de l'enfant et donc l'effectivité de ses droits. Sa parole peut être instrumentalisée. Et son désir d'être entendu peut ne pas être transmis au juge. Son discernement n'est pas évoqué dans le texte. Quid des plus jeunes ? Actuellement, c'est le juge qui est garant du respect de l'intérêt et des droits de l'enfant et qui évalue son discernement. En l'absence du juge, quelle garanties ? La nouvelle procédure va à l'encontre des préconisations de notre rapport de 2013 sur l'enfant et sa parole en justice.

Le Défenseur des droits recommande la plus grande vigilance pour que cette simplification légitime n'ait pas pour conséquence un recul des droits des enfants. En l'absence - regrettable - d'étude d'impact, le divorce à l'amiable devant notaire doit être réservée aux seuls couples sans enfants.

Debut de section - Permalien
Céline Bessière, maître de conférences en sociologie

Je coordonne depuis 2008 une recherche sur le traitement judiciaire des séparations conjugales, financée principalement par la mission de recherche « droit et justice » et l'Agence nationale de la recherche. Ce travail, qui a réuni jusqu'à trente personnes, s'est déroulé dans douze tribunaux de grande instance, où nous avons observé environ 400 audiences, consulté plus de 3 000 dossiers et réalisé de nombreux entretiens avec des JAF et des greffiers. Nous avons également travaillé dans deux chambres de la famille de cours d'appel et dans des cabinets d'avocats, où nous avons réalisé des entretiens avec une cinquantaine d'avocats et parfois observé, avec leur accord, des rendez-vous avec leurs clients. Nous avons enfin rencontré une vingtaine de notaires.

Depuis la réforme de 2004, les procédures de divorce par consentement mutuel ont été considérablement allégées. Le passage devant le juge a perdu de sa force symbolique puisqu'il est réduit au minimum : une seule audience, qui dure en moyenne huit minutes, après un délai d'attente moyen inférieur à trois mois. Le décorum judiciaire est assez faible, ces audiences ayant souvent lieu dans le bureau du juge et non dans des salles d'audience. Les juges ne portent pas forcément la robe, et le processus est rapide et formel.

Avec cette réforme, les divorces par consentement mutuel ne seront plus homologués par un juge mais, en quelque sorte, privatisés. Préparés par les avocats des parties, ils seront simplement enregistrés par un notaire.

Les séparations conjugales sont souvent cruciales dans le creusement des inégalités économiques entre les hommes et les femmes et l'appauvrissement des femmes. Les enquêtes internationales montrent que la baisse du revenu des femmes divorcées en France est parmi les plus élevées d'Europe : d'après les données fiscales, pour des couples séparés en 2008, la perte de niveau de vie en 2010 atteint 20 % pour les femmes, alors qu'elle se limite à 3 % pour les hommes. Il serait intéressant de savoir ce qu'il advient après dix ans, ou au moment de la retraite... Les familles monoparentales, composées dans neuf cas sur dix d'une mère avec enfants, sont plus exposées que les autres à la pauvreté et à la précarité : elles représentent un tiers des bénéficiaires du RSA. À vrai dire, cet appauvrissement relatif des femmes ne commence pas avec la séparation mais déjà au sein du couple. Les femmes en couple gagnent en moyenne 42 % de moins que leur conjoint, du fait d'une prise en charge différenciée du travail domestique et des enfants.

La détermination d'une pension alimentaire est le premier sujet de litige aux affaires familiales, bien avant la question de la résidence des enfants. Les prestations compensatoires et le partage du patrimoine doivent aussi être réglés lors du divorce. En huit minutes, les magistrats, qui traitent plus de 800 dossiers par an en la matière, n'ont pas le temps de régler les détails de la convention, mais il arrive qu'ils signalent à une femme qui renonce à une prestation compensatoire qu'elle aurait pu y avoir droit. Ils peuvent aussi mettre en garde les conjoints sur les arrangements complexes ou farfelus susceptibles de nuire à l'intérêt de l'enfant, et ordonner des renvois. Sans ce droit de regard du juge sur les conventions, que se passera-t-il ?

Bien sûr, les avocats ont une déontologie, et ils seront deux. Dans l'idéal, la convention serait dès lors équilibrée. En pratique, toutefois, si tous les justiciables ont affaire aux mêmes juges, ils n'ont pas affaire aux mêmes avocats. Le tarif peut atteindre 450 euros de l'heure pour un avocat spécialisé en droit de la famille à Paris alors qu'on trouve en province des forfaits à 1 000 ou 1 500 euros pour un divorce par consentement mutuel. Les prestations ne sont bien entendu pas équivalentes. Dès lors que l'on accorde un tel poids à la représentation de l'avocat, il faut qu'il ait du temps à consacrer à son client. Certains refusent des clients à l'aide juridictionnelle pour des affaires familiales complexes, tant son niveau est faible.

Actuellement, huit divorces par consentement mutuel sur dix sont réalisés avec un seul avocat, afin de réduire les frais. Que se passera-t-il quand chacun devra avoir un avocat ? Si la représentation nationale s'oriente vers la déjudiciarisation, réfléchissons aux garde-fous. Outre l'audition de l'enfant, il faut un garde-fou économique. Rien n'a été prévu en matière de pension alimentaire ou de prestation compensatoire. Au Québec, la déjudiciarisation est allée de pair avec le renforcement de l'encadrement des accords financiers sur les pensions alimentaires. Actuellement, la CAF réforme la garantie contre les impayés de pension alimentaire (Gipa) ; elle a créé une allocation de soutien familial différentiel et accru son pouvoir d'investigation en cas d'impayés de pension alimentaire. Avec ce texte, on fait le chemin inverse - je m'étonne que la CAF ne soit pas partie prenante des discussions actuelles. Pour le divorce par consentement mutuel devant notaire, il n'y a pas de barème, pas de ligne directrice. Que se passera-t-il si un couple se met d'accord pour que la pension alimentaire soit nulle ou très faible ? Le parent qui a la garde pourra-t-il se tourner vers la CAF et demander l'allocation de soutien familial ?

Soyons conscients des inégalités économiques produites au moment de la séparation. La déjudiciarisation devra être accompagnée de garde-fous économiques, sans quoi les économies réalisées sur la justice seront perdues du côté social !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

En vous écoutant, on réalise que ce problème d'apparence très simple est en réalité extrêmement complexe. Dans la plupart des divorces par consentement mutuel, l'accord n'est nullement remis en cause par le juge, d'où la tentation d'économiser du temps de juge en dispensant le couple du passage devant un magistrat, puisque les conventions sont homologuées. Or le passage devant le juge, dans l'anticipation de l'application de ses règles, a un effet sur le contenu de l'accord entre les époux. Une contrainte s'exerce du seul fait de l'existence de cette étape.

Dans ces situations, bien des raisons peuvent rendre l'un des éléments du couple plus vulnérable dans la négociation. Il y a une inquiétude sur la garantie apportée au plus faible dans le divorce : l'enfant, et l'un des deux membres du couple, souvent l'épouse. Au moment du divorce peuvent apparaître une faiblesse psychologique et une faiblesse économique. Parfois, la première conduit à ne pas traiter la seconde, pour en finir plus vite.

J'entends ce que dit le Conseil national des barreaux. Néanmoins, un avocat est mandaté par son client. Si celui-ci veut faire des concessions qui dépassent ce qui serait juridiquement raisonnable et accepté par le juge, comment l'avocat pourrait-il l'en empêcher ? Son rôle de conseil est éminent, mais il n'est pas un arbitre. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a prévu un avocat pour chacune des parties en négociation.

J'entends ce qui a été dit sur la situation de l'enfant. À tout le moins, la mention de la possibilité pour l'enfant d'être entendu ne suffit pas. Comment imaginer qu'il prenne l'initiative de demander à être entendu par un juge ? Et qu'il suffise que la loi dise que ses parents l'informent pour que tout soit réglé par enchantement ?

Le coût du divorce ne sera peut-être pas doublé pour les huit couples sur dix qui prenaient un seul avocat, mais il augmentera considérablement : cela représenterait dix à quinze fois l'économie réalisée par la justice, chiffrée par le Gouvernement à 4,4 millions d'euros, sous réserve de réallocation des moyens ainsi dégagés.

Cette réforme d'inspiration libérale respecte la volonté des parties, alors que le système actuel a une dimension sociale. Si l'on mesure la dépense pour les couples et la vulnérabilité dans laquelle la réforme risque de laisser les enfants et le conjoint le moins fort, on a tout lieu de considérer que les incertitudes dans lesquelles cette réforme nous place l'emportent de beaucoup sur les avantages.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

Le représentant du Conseil national des barreaux semble dire qu'il n'y a pas de grande différence de coûts, selon qu'il s'agisse d'un divorce par consentement mutuel avec un seul avocat ou d'un divorce avec deux avocats. Quelle est cette différence ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Il est difficile de prétendre que cette réforme soit une avancée au profit des justiciables. Sous une apparence de modernité, on traite un problème financier que l'on pourrait régler en allouant des fonds à la justice.

Le divorce par consentement mutuel concerne deux personnes majeures, bien que l'une soit parfois en situation de fragilité - certains consentements sont des résignations -, sauf à démontrer leur incapacité de fournir un consentement éclairé. Le projet de loi, qui prévoit deux avocats, renforce les garanties de l'équilibre de ce dialogue.

Le problème, c'est l'enfant mineur. On semble se satisfaire qu'il soit informé. Peut-on laisser le législateur dire qu'un enfant de deux ans est informé ? L'enfant qui s'opposerait au divorce de ses parents en serait-il l'arbitre ? Quid des hypothèses où un conjoint se sera vu accorder des droits sur l'enfant mineur de son conjoint issu d'une précédente union ? La difficulté n'est pas résolue. J'ai compris la réflexion du président du Conseil national des barreaux, mais le juge n'est pas seulement celui qui tranche un litige : il a la jurisdictio mais aussi l'auctoritas. Le juge qui examine la convention a une autorité qui souvent apaise, rassure. Sa disparition n'est pas du tout un progrès législatif. Le divorce engage de l'extrapatrimonial. Comment fait-on lorsqu'il y a des enfants mineurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Ma position est assez proche de celle de M. Pillet. Je reprends le débat où Mme Dominique Lottin l'a laissé ce matin. Oui à la déjudiciarisation si tant est que l'on garantisse les droits des personnes et que l'on sécurise les revenus des avocats. Dès lors qu'il y a un enfant, je suis très réticent. L'intervention du juge me paraît être à préconiser.

En revanche, plutôt que d'utiliser le divorce comme produit d'appel pour faire valoir une volonté de déjudiciarisation, il n'aurait pas été inintéressant de mener un travail de concertation sur les domaines où celle-ci peut s'appliquer sans léser les intérêts des personnes.

Ma conviction sort renforcée par la qualité des contributions de nos intervenants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Merci, monsieur le président, d'avoir organisé cette audition très riche. Merci à tous pour votre apport précieux. Je suis très réticent devant l'application de la procédure accélérée, surtout lorsque des sujets importants apparaissent à l'Assemblée nationale après l'examen au Sénat. J'appelle de mes voeux des débats au Sénat, en commission comme en séance publique.

Je n'ai pas d'idée tranchée sur ce sujet ; c'est l'intérêt du travail parlementaire que de se poser les questions. Aux dires des sondages, beaucoup de concitoyens seraient favorables à cette réforme : divorcer en quelques minutes dans le bureau du juge manque de solennité, même si le travail préparatoire est important. Je partage ce qu'ont dit mes collègues.

À ceux qui sont favorables au dispositif : peut-on soutenir que l'on fasse de l'enfant mineur, voire très mineur, le juge de la modalité de la procédure ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous nous posons tous cette question. Je précise qu'il s'agit de l'enfant doué de discernement ; encore faut-il savoir qui en décide.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Deux problèmes se posent, l'un contingent, l'autre fondamental. On tente de régler le premier en oubliant le second. Le premier est la part croissante que prend le contentieux familial dans la justice civile, au point d'emboliser certains tribunaux. Je vous renvoie aux travaux du doyen Serge Guinchard sur la déjudiciarisation. Mais ce problème en cache un autre : quel doit être le souci de la loi, le souci du droit, et répond-on à ces questions avec les mesures qui nous sont proposées ?

À la suite du théologien Maurice Zundel, je rappelle que la politique est le souci du plus faible. Comment la loi assure-t-elle la protection du plus faible, c'est-à-dire l'enfant ? Prévoir que ses parents l'informent qu'il peut être entendu ne tient pas compte de la réalité d'une séparation. C'est à la loi et au juge d'assurer sa protection. Le plus faible est aussi l'un des deux conjoints. Si l'on va vers la déjudiciarisation, il faut réserver un domaine dans lequel seul le juge peut prononcer le divorce. Tout un travail législatif reste à faire si l'on veut apporter une solution pérenne.

Debut de section - Permalien
Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux

Il faut démystifier la facturation des honoraires des avocats. Soit nous sommes une profession qui gagne sa vie en alimentant le contentieux, ce dont on nous fait grief, soit une profession qui participe aux démarches de déjudiciarisation et accompagne les justiciables dans l'extrajudiciaire.

Rien ne justifie que la présence de deux avocats multiplie le coût par deux. J'aurais aimé, monsieur le président, participer aux calculs que vous citez sur la multiplication des coûts des honoraires...

Nous travaillons dans une profession régulée. Depuis la loi Macron, nous avons l'obligation de conventionner des honoraires dès le premier jour. Le premier avocat qui ne le fait pas est passible de poursuites de son ordre et de contrôles de la DGCCRF. Cette crainte d'une démultiplication des coûts n'est pas raisonnable.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Lorsqu'il y a un avocat, ce sont les honoraires d'un avocat, quand il y en a deux, ce sont les honoraires de deux.

Debut de section - Permalien
Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux

Sauf si l'avocat qui n'a qu'un client ne facture que pour un client. Nous facturons le temps passé. Représenter un seul client demande moins de temps qu'en représenter deux. Je suis un professionnel libéral dans un domaine concurrentiel. Je suis libre de facturer comme je le veux, de façon raisonnable. Ne me mettez pas dans une position où je ne vais pas travailler en divorce par consentement mutuel et privilégier le contentieux ! C'est absurde au plan sociologique, judiciaire et de l'efficacité.

La présence du juge serait dissuasive des erreurs que pourraient commettre les avocats dans l'élaboration de la convention ? Le risque de contentieux après la signature le sera tout autant. Une bonne convention court un risque de contentieux ultérieur bien moindre.

Debut de section - Permalien
Régine Barthélémy

L'information de l'enfant par ses parents, c'est la pratique actuelle. Il est rarissime qu'un enfant aille spontanément dans un Point Jeunes. Les avocats s'engagent dans cette procédure parce que leur façon de travailler a évolué. Lors des travaux de la commission Guinchard, nous avions mis en avant la procédure collaborative et l'acte d'avocat, c'est-à-dire notre capacité à obtenir des accords et à les mettre en place. Deux avocats, dans une négociation, ne portent pas uniquement la parole de leur client, sans discernement, mais recherchent un accord. Il ne s'agit pas de trouver un vainqueur mais une solution. L'avocat n'est pas un écrivain public mais un professionnel qui accompagne son client dans un changement de place, d'une famille unie à une famille séparée. Ce travail est complètement différent d'un « pour ou contre ». Cela a changé, et c'est ce que cette nouvelle procédure vient reconnaître.

Debut de section - Permalien
Céline Bessière, maître de conférences en sociologie

Dans huit divorces par consentement mutuel sur dix, les couples ont un seul avocat. Nous avons assisté au travail des avocats : les procédures collaboratives sont fort intéressantes, mais aussi fort coûteuses pour les justiciables. Quand chaque avocat devra négocier ce nouveau consentement mutuel, le coût sera peut-être doublé, voire plus. Dans les cas actuels à deux avocats, les coûts sont bien plus élevés ; cela ne concerne d'ailleurs que des couples fortunés. Cette réforme va renforcer l'iniquité.

Debut de section - Permalien
Geneviève Avenard, Défenseure des enfants

Le rappel du droit des enfants à être entendus par le juge est mentionné dans le courrier adressé aux parents ; ce ne serait plus le cas avec la réforme. La situation serait encore pire que la situation actuelle, qui n'est pourtant déjà pas la meilleure qui soit, comme le montre notre rapport de 2013.

Debut de section - Permalien
Jean de Maillard, permanent à FO Magistrats

Du temps où l'on pratiquait les humanités, on apprenait que dans la tragédie classique, Racine voyait les hommes tels qu'ils sont et Corneille tels qu'ils doivent être. Je crains que les représentants du barreau soient plus cornéliens que raciniens !

Debut de section - Permalien
Véronique Léger, secrétaire nationale de l'Union syndicale des magistrats

La loi instaurant la collégialité de l'instruction, votée à l'unanimité, avait pour but d'améliorer la qualité de la justice et d'assurer une meilleure sécurité pour le justiciable. L'USM n'est pas favorable à une collégialité systématique, telle que votée en 2007, mais à une collégialité adaptée en fonction des affaires et des cas. La proposition de loi déposée en 2013 allait dans le bon sens, en proposant une collégialité selon les actes, à la demande des parties ou décidée par le juge.

Nous relevons un paradoxe du pouvoir exécutif, qui renonce à la collégialité de l'instruction mais remet parallèlement en question l'intervention du juge d'instruction. Le projet de loi sur la protection du secret des sources des journalistes transfère ainsi le pouvoir de décision du juge d'instruction au juge des libertés et de la détention (JLD). Pour nous, c'est incohérent. Le projet initial de la loi Renseignement confiait la décision de placer sur écoute des avocats, magistrats et parlementaires au JLD, au détriment du juge d'instruction. Il est paradoxal de renoncer à la collégialité, mesure la plus protectrice en cas de doute sur le travail du juge d'instruction - dont le statut est pourtant plus protecteur que celui du JLD...

Nous sommes toutefois critiques du fonctionnement actuel, qui pose des difficultés lors de la phase d'enquête puisque deux parquets sont compétents de manière concurrente, or il y autant de pratiques que de ressorts de juridictions, ce qui nuit à la sécurité juridique. Difficultés également lorsque l'instruction est ouverte : imaginons un crime commis en Ardèche ; le pôle de l'instruction compétent est celui d'Avignon. Le juge d'instruction d'Avignon se déplace en Ardèche pour une reconstitution, sans que le parquet ni le juge d'instruction de l'Ardèche ne soient prévenus !

Nous souhaitons le maintien de la collégialité et une réflexion sur la localisation des pôles de l'instruction et leur organisation.

J'en viens aux tribunaux correctionnels pour les mineurs. Nous en avons soutenu la suppression de longue date, pour n'en avoir jamais vu l'utilité. Ils partent d'un double postulat : le besoin de solennité, alors que celle d'un tribunal pour enfants est tout aussi forte ; et le prétendu laxisme des tribunaux pour enfants. Nous nous élevons à raison contre ce sous-entendu, puisque les peines prononcées dans les tribunaux correctionnels pour mineurs ne sont pas plus sévères que celles prononcées par les tribunaux pour enfants, avec un taux identique de 60 % de peines d'emprisonnement.

En revanche, les difficultés pratiques sont innombrables. Les tribunaux correctionnels pour mineurs sont chronophages, puisqu'il faut prévoir un audiencement spécifique. Ils courent des risques d'erreur car il faut une connaissance pointue de la procédure applicable aux mineurs. Ils ajoutent de la complexité en cas de pluralité d'auteurs, puisque lorsqu'une affaire mêle majeurs et mineurs il faut passer devant le tribunal correctionnel, le tribunal pour enfants et le tribunal correctionnel pour mineurs, avec des risques de contradiction dans les décisions - cela s'est déjà vu.

- Présidence de M. François Pillet, vice-président - 

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Vos propos montrent que le débat que la commission des lois a organisé cet après-midi est des plus nécessaires.

Debut de section - Permalien
Marion Lagaillarde, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

La collégialité de l'instruction est un choix politique décidé après l'affaire d'Outreau. La représentation nationale en avait tiré les conséquences et donné les garanties d'une justice de qualité pour les affaires les plus graves, considérant à juste titre que l'essence de la décision de justice est le délibéré, donc la collégialité. Par principe, le Syndicat de la magistrature est favorable au maintien de la collégialité de l'instruction et à la revitalisation du juge d'instruction en tant qu'institution.

Le choix fort de la collégialité ne devrait pas se dissoudre dans l'insuffisance de moyens. Elle pourrait être maintenue dans une moindre mesure, dans certains cas tels que les actes et les affaires qui affectent le plus fortement la garantie des droits et libertés, et les actes concernés par l'appréciation des charges et la manifestation de la vérité. La collégialité devrait être systématique lorsque la saisine du JLD est envisagée pour le placement en détention provisoire, c'est-à-dire quand il y a de la prison à la clé, mais aussi pour les infractions faisant l'objet de la procédure d'information judiciaire, pour les crimes, pour les délits ouvrant la possibilité de recourir à des techniques spéciales d'enquête et les délits visant les personnes spécialement protégées en raison de leur activité.

Une réflexion doit être menée sur les actes pouvant être délégués à un seul juge. Nous vous remettrons un écrit.

Debut de section - Permalien
Anaïs Vrain, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

Au-delà de notre souhait d'une réforme d'ampleur pour la justice des mineurs, nous regrettons le saupoudrage par voie d'amendement. Comme l'Union syndicale des magistrats, nous sommes favorables à la suppression du tribunal correctionnel pour mineurs, dont nous ne souhaitions pas la création car il est une entaille majeure à la spécialisation de la justice des mineurs, dont le postulat est qu'un mineur est un être en construction susceptible d'évolution - même s'il fait deux mètres et chausse du 44.

Les dispositions transitoires prévues renvoient les dossiers des tribunaux correctionnels pour mineurs vers les tribunaux pour enfants, or le renvoi automatique devant les premiers n'était prévu que pour des infractions faisant encourir des peines supérieures ou égales à trois ans alors que le renvoi automatique devant les seconds n'est prévu que pour des peines supérieures à sept ans. Ce régime plus sévère posera des problèmes d'application aussi pour les majeurs.

Nous appuyons l'interdiction de la prison à perpétuité pour les mineurs, mais celle-ci restera sans effet si l'article 20-2 de l'ordonnance de 1945, qui prévoit que l'on puisse déroger à l'excuse de minorité, n'est pas modifié.

Nous soutenons la présence systématique de l'avocat en garde à vue pour tous les mineurs et l'intervention obligatoire du médecin pour les 16-18 ans, ce qui n'est étonnamment pas le cas actuellement.

Le cumul des mesures éducatives et des peines devant le tribunal pour enfants est une possibilité qui existe déjà dans l'ordonnance de 1945, et constitue déjà une régression. Ce cumul peut, en apparence, donner l'idée que l'on ajoute de l'éducatif alors qu'en réalité cela tire la réponse pénale vers le champ de la peine. Là encore, nous vous remettrons un écrit.

Debut de section - Permalien
Jean de Maillard, permanent de FO Magistrats

Ces deux questions ont un point commun : montrer que lorsque l'on s'affranchit du principe de réalité, celui-ci vous revient violemment à la figure. Nous sommes incapables de réfléchir à des réformes sereinement, en visant le long terme. Cette incapacité pousse à poser des rustines inutiles, à ravauder un système jusqu'à l'usure complète...

La justice des mineurs souffre d'un conflit de logiques. À l'éducation, philosophie même de la justice des mineurs, on a voulu ajouter la force. Les tribunaux correctionnels pour mineurs n'ont pas fonctionné parce qu'ils ne le pouvaient pas. Il est temps de sonner le glas de cette réforme.

Le juge d'instruction est depuis trente ans à la fois une bête noire et un bouc émissaire. On n'a eu de cesse de vouloir le réduire à l'inexistence dans le domaine pénal, et on y est parvenu. Le juge d'instruction n'est presque plus saisi. Il est en coma dépassé parce qu'on est incapable de penser une vraie réforme de la procédure pénale en fonction de ce que sont devenues la délinquance et la criminalité. On désire le supprimer, sans oser prendre une décision frontale qui aurait le mérite de la clarté. Faute de courage, on assiste à la mort lente du juge d'instruction, sous sédatif, qui n'apporte plus rien d'utile à la procédure pénale. Le juge d'instruction doit principalement veiller au délai des actes auxquels il est contraint, envoyer des lettres recommandées, attendre les délais qu'on lui impose, attendre le recours contre ses décisions ou non décisions. On arrive à une juridiction qui ne fonctionne plus, mais offre au justiciable le maximum de garanties.

À côté, on a développé les pouvoirs du parquet qui ne sont contrôlés par rien ni personne. Le JLD effectue un contrôle formel alors qu'il n'a en réalité aucun positionnement dans l'architecture judiciaire et n'a acquis de légitimité que dans le domaine du contrôle de la détention provisoire. Le JLD est le surveillant-chef du juge d'instruction dans les domaines de la criminalité organisée et du terrorisme, mais il n'a qu'un pouvoir d'enregistrement des décisions. D'un côté, on a un système qui prévoit une multitude de garanties mais ne s'applique plus, et de l'un autre, un système qui n'en offre aucune mais tourne à plein régime.

L'abandon de la collégialité n'est que le monument au mort sur la tombe du juge d'instruction, enterré alors qu'il n'était que dans le coma dépassé.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

Debut de section - Permalien
Pascal Gastineau, président de l'Association française des magistrats instructeurs

Le juge d'instruction est menacé mais bouge encore. Le projet de loi pour une justice du XXIème siècle commence par un retour en arrière : l'abandon de la collégialité, même partielle. Magistrat de terrain, j'appartiens à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Lille, qui compte treize juges d'instruction et beaucoup de travail ; nous dénouons beaucoup de dossiers !

Nous avons été très surpris par le tour de passe-passe de la suppression de la collégialité à l'Assemblée nationale. Je ne sais si le Sénat peut au moins obtenir la réintroduction des chapitres 1 et 2 révisés de la loi du 5 mars 2007, mais il faut mettre en place une collégialité partielle, pratique, sur option.

La différence entre la co-saisine et la collégialité est la même qu'entre des balles à blanc et des balles réelles, ou entre Nietzsche et Hegel. Le premier co-saisi prend en charge tout le dossier. Le code de procédure pénal n'est guère explicite : il prévoit seulement que si tous les juges d'instruction co-saisis ne signent pas l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, celle-ci est susceptible d'appel.

Le but de la collégialité était d'organiser de manière pratique la décision commune des juges d'instruction sur les décisions les plus importantes. L'Assemblée nationale a créé la convention judiciaire d'intérêt public qui autorise la transaction pénale en matière de corruption internationale. L'idée est d'imposer une sanction financière à l'entreprise française, qui, vierge de condamnation, pourra quand même prétendre à des appels d'offres à l'international. S'agissant d'autoriser la transaction pénale dans le cadre d'une information judiciaire, la collégialité serait bienvenue.

À la JIRS de Lille, les juges d'instruction suivent des dossiers de criminalité organisée et de délinquance financière de grande ampleur, pour lesquels les regards croisés sont utiles. Créons un système cadré pour travailler ensemble. Pourquoi ne pourrait-on pas le faire ? Faute de moyens ? Pour les grandes réformes de la justice - cour d'assises d'appel, avocat en garde-à-vue, JLD - on a su trouver les moyens !

Debut de section - Permalien
Isabelle Rich-Flament, membre du conseil d'administration de l'Association françaises des magistrats instructeurs

Pourquoi la collégialité de l'instruction ? Parce que la limite de l'intelligence, c'est l'orgueil. Le juge d'instruction est issu de décennies de réflexion. C'est le juge de l'enquête ; il bouge encore, même s'il ne traite que 2,5 % du contentieux pénal. Il traite des affaires complexes, de réseaux, d'antiterrorisme, de santé publique, des affaires économiques et financières.

J'ai passé la moitié de ma carrière au parquet. Les parquetiers ont leur propre métier : urgentiste. Ils traitent tout ce qui arrive de la police en urgence. Le juge d'instruction est un chirurgien esthétique, il traite très peu mais en finesse. Doit-on supprimer une pièce maîtresse de l'arsenal répressif de la France malgré les menaces actuelles ?

Dans un premier temps, il y aura soixante parquetiers au sein d'une cellule de crise, mais dans un deuxième temps, celui des commissions rogatoires internationales, du démantèlement de réseaux, il faudra passer la main au juge d'instruction ; le procureur de Paris sera passé à autre chose. Il est très dangereux de changer les rôles quand la France est confrontée à de tels enjeux. La justice, c'est notre arsenal répressif.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci, mais ce que vous nous dites avec beaucoup de conviction n'a pas grand rapport avec la collégialité.

Debut de section - Permalien
Isabelle Rich-Flament, membre du conseil d'administration de l'Association françaises des magistrats instructeurs

Pour l'instant, nous avons la co-saisine. La collégialité va plus loin, dans la mesure où elle force le juge d'instruction à faire fi de son isolement et de son orgueil pour travailler en équipe. La force du parquet, c'est l'équipe. C'est la commission Outreau qui a tout déclenché : s'il y avait eu co-saisine, comme cela avait été envisagé, et à plus forte raison collégialité, l'affaire aurait pris une autre tournure. On a tout à gagner avec la collégialité : quand cela se passe bien, c'est une occasion d'échanger entre plus anciens et plus jeunes, de transmettre des savoirs, de partager des réseaux...

Debut de section - Permalien
Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'association des magistrats de la jeunesse et de la famille

Notre association est loin d'être la seule à se féliciter de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Leur création était une aberration. Comment qualifier la justice des mineurs de « correctionnelle » quand il s'agit d'abord d'éducation ? Comment justifier d'avoir évincé la formation ordinaire du tribunal pour enfants qui associait des assesseurs issus de la société civile, nommés par décret en fonction de leurs compétences ou de leur intérêt pour la jeunesse ? Professeurs, chefs d'entreprise, responsables de formation, ils avaient tous quelque chose à apporter dans l'appréciation des faits et du parcours des jeunes. Supprimer le tribunal pour enfants, cette institution intelligente qui date de 1945, sans préciser les missions affectées au nouveau tribunal correctionnel pour mineurs, hormis plus de sévérité... Rien de moins judicieux.

La justice des mineurs est très particulière. Que l'on intervienne pour la protection de l'enfance ou auprès de mineurs délinquants, la démarche est la même : il s'agit de déterminer ce qui peut modifier le comportement d'un individu. Voilà le coeur de métier du juge des enfants qui intervient tout au long de la procédure afin d'éclairer le parcours de l'individu, son histoire familiale. Cette approche s'inscrit forcément dans la durée. Rien à voir avec la comparution immédiate où tout est bouclé en un quart d'heure. Après un premier rappel à la loi pour souligner la gravité des faits, le juge doit créer des liens pour faire comprendre au mineur et à sa famille quels changements la justice attend de lui, en termes de comportement social. Il faut parfois plusieurs mois pour évaluer l'évolution et rendre une décision. La logique n'est pas la même que dans la fonction correctionnelle. Éduquer plutôt que punir, tel est l'objectif. Un enfant est un être en devenir, c'est l'avenir d'une société. Beaucoup de jeunes ont les ressources pour s'en sortir. Au juge pour enfants de les repérer et de les valoriser pour enclencher une dynamique de réussite.

Une justice rapide, avec des non professionnels et des sanctions de plus en plus graves : ce tribunal correctionnel des mineurs était tout ce qu'il ne fallait pas faire. Il aurait été complètement inefficace. Plutôt que d'infliger une peine lourde, mieux vaut déterminer la solution la mieux adaptée au parcours du jeune.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci pour cet exposé enthousiaste, nourri d'expériences.

Debut de section - Permalien
Florent Loyseau de Grandmaison, vice-président de la commission Libertés et droits de l'homme au Conseil national des barreaux

Je constate qu'il y a unanimité contre la suppression de la collégialité. Cette question est ancienne, puisque c'est en 1985 que Robert Badinter a pour la première fois suggéré de renommer chambre de l'instruction le collège d'instruction composé de trois magistrats, alors appelé chambre d'accusation. L'idée de collégialité, bien antérieure à Outreau, est une nécessité transversale du droit ; quelle que soit la formation des juridictions, la plénière est la marque d'une solennité particulière de la décision rendue, grâce à laquelle la personne du juge s'extrait d'elle-même pour incarner l'institution. Ce n'est plus le juge seul avec ses doutes et ses hésitations qui prend la décision, c'est l'institution qui se prononce. Tel est l'enjeu de la suppression de la collégialité.

Il faut prendre la mesure de la tâche qui incombe au juge d'instruction : il porte sur ses épaules la responsabilité de la liberté des personnes déférées devant lui, mais aussi d'établir des charges contre elles pouvant les conduire devant une juridiction de jugement. Il y a les dossiers sur lesquels on doute, ceux sur lesquels on varie, ceux sur lesquels on évolue... La conviction n'est jamais constante. Les mécanismes dont dispose le juge d'instruction pour partager ses doutes et ses incertitudes sont relativement faibles. La co-saisine, qui répond aux articles 83-1 et 83-2 du code de procédure pénale, place deux magistrats ou plus l'un à côté de l'autre sans leur faire obligation de travailler ensemble, en sorte que chacun peut prendre seul des actes au cours de l'instruction sans avoir besoin de l'accord de l'autre, sauf pour signer une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, celle-ci ne pouvant faire l'objet d'un appel devant la chambre de l'instruction. En matière d'environnement, de santé ou de délits financiers, le juge se retrouve seul.

La collégialité protège l'intérêt du justiciable en garantissant que la décision prise et rendue n'émane pas de la conception particulière d'un seul homme. Elle protège l'intérêt du juge d'instruction qui n'est pas exposé à titre personnel. Il arrive que certains juges d'instruction soient mentionnés dans la presse pour les décisions qu'ils rendent, jamais le parquet ! La différence fondamentale d'organisation des deux structures fait que l'une est surexposée, tandis que l'autre ne l'est jamais. Si la justice doit s'extraire des passions, rationaliser sa démarche pour constater une culpabilité ou démontrer une innocence, il faut que cette absence de passions puisse s'exprimer par le débat au sein de l'instruction. Enfin, la collégialité protège l'intérêt de la justice, car la décision rendue est concertée, assumée : on n'est pas dans une vendetta personnelle. La tentation peut être grande pour un juge d'être reconnu en son nom pour avoir réglé un dossier. La fonction de jugement exige de l'humilité, car ce sont des éléments fondamentaux de la vie des mis en examen qui sont en jeu.

Faut-il se fier aux arguments budgétaires qui ont été avancés ? Selon la Chancellerie, il manquerait 300 postes de juge d'instruction. La France n'aurait-elle donc pas les moyens de les créer ? La réforme du JLD et celle de la garde à vue ont mis en lumière la nécessité de mobiliser des crédits. La dynamique est vertueuse : ces ressources éviteront d'avoir à en mobiliser d'autres ensuite. On est passé de 620 à 540 magistrats instructeurs depuis 2013. En créant 300 nouveaux postes, on ne fera que mettre fin à l'érosion en remettant à niveau le nombre de nos juges d'instruction. En la matière, la France se place à la 37ème place sur 45 parmi les États du Conseil de l'Europe.

Il serait absurde d'instaurer un principe général de collégialité, bien sûr. En revanche, si l'on tient compte du quantum de la peine, de la nature de l'affaire et de la demande des parties, il me semble tout à fait raisonnable d'introduire ce mécanisme, cette possibilité et cette assurance dans la procédure.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Si je comprends bien, vous êtes favorables au principe de la collégialité de l'instruction quand elle est pertinente. En revanche, vous êtes tous opposés au tribunal correctionnel pour mineurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je tiens à vous remercier pour tous ces apports. Et je citerai Jaurès : « Le courage c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel ». J'entends vos arguments. M. Gastineau a suggéré que le réalisme, aussi beau soit-il, ne résisterait pas face à une volonté à l'oeuvre. On a bien créé le juge des libertés et de la détention ; pourquoi ne pas maintenir la collégialité, qu'il s'agisse de l'instruction ou du tribunal pour mineurs ? Un certain nombre d'entre vous ont proposé une voie médiane. Les positions réformistes ne sont pas toujours très ronflantes mais elles peuvent se révéler plus efficaces que des options plus révolutionnaires.

L'USM suggérait que la collégialité pourrait être maintenue à trois conditions : selon les actes, à la demande des parties ou si elle est décidée d'office par le juge. S'il advenait que faute de pouvoir généraliser cette collégialité de l'instruction, on s'accorde pour la mettre en oeuvre dans un certain nombre de cas, quel critère privilégieriez-vous parmi les trois que vous proposiez ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

Comment une telle unanimité contre la perte de la collégialité peut-elle ainsi s'exprimer sans être entendue par le Gouvernement ? Tout texte de loi doit faire l'objet d'une étude d'impact. A-t-on procédé à une évaluation pour mesurer l'absence de pertinence de cette collégialité ? Je ne peux pas imaginer qu'il n'y ait que des raisons comptables et budgétaires pour justifier sa suppression. Pourriez-vous m'éclairer, moi qui ne suis pas juriste ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

La procédure parlementaire comporte certaines anomalies qui, sans être forcément inconstitutionnelles, relèvent de mon point de vue d'une utilisation abusive de la procédure accélérée. Ce texte comportait une cinquantaine d'articles quand nous l'avions examiné ; il est sorti de l'Assemblée nationale avec plus de 100 articles. C'est dire qu'il y a deux lois en une, l'une que nous avons examinée, l'autre non. Le Gouvernement aurait pu prévoir une deuxième lecture par le Sénat, il a préféré convoquer une CMP, ce qui limite notre capacité d'action. Nous espérons faire entendre raison à nos collègues députés sur un certain nombre de points. S'il y a désaccord en CMP, nous pourrons examiner à nouveau le texte. Tout amendement adopté par le Sénat en nouvelle lecture pourra être repris à l'Assemblée nationale. Pour l'instant, le pouvoir d'action du Sénat reste limité. Compte tenu de la réalité objective des problèmes soulevés, je ne peux pas croire que nos collègues députés ne feront pas évoluer leurs positions.

Y a-t-il eu une étude d'impact ? Certes, non. Il s'agit de dispositions prises à la suite d'amendements gouvernementaux déposés à la dernière minute. Le texte que Mme Taubira nous avait présenté n'a pas été soumis très rapidement à l'Assemblée nationale. Voilà qu'il devient soudainement urgent, au point que le Gouvernement l'inscrira sans doute à l'ordre du jour de la session extraordinaire. Ni étude d'impact, ni avis du Conseil d'État. Un deuxième projet de loi fait son nid dans le premier sans qu'aucune garantie de procédure n'ait été respectée, ni par le Gouvernement, ni au Parlement. À l'évidence, cette conception du bicamérisme va à l'encontre de la nôtre.

Debut de section - Permalien
Véronique Léger, secrétaire nationale de l'Union syndicale des magistrats

Le projet gouvernemental propose une collégialité par acte, ce qui signifie qu'un juge d'instruction saisi d'une affaire de violence pourra décider d'ordonner seul une expertise médicale. En revanche, s'il est saisi d'une demande de contre-expertise, la partie pourra demander qu'un collège statue. Le juge d'instruction pourra également provoquer une collégialité s'il souhaite un échange croisé de regards sur une affaire. Dans le cas d'une personne mise en examen qui demanderait à passer au statut de témoin assisté, la décision pourra être prise et rendue en collégialité.

Quant à l'étude d'impact, un projet de loi avait été déposé en juillet 2013 dont l'USM partageait les grandes lignes. On avait alors évalué à 300 le nombre de juges d'instruction nécessaires pour une collégialité systématique. Si on en réduit le périmètre à certains dossiers et à certains actes, l'impact sera forcément moindre.

Debut de section - Permalien
Marion Lagaillarde, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature

La collégialité est intéressante, si elle est à double détente. Pour quelles affaires ? Et sur quels actes à l'intérieur des dossiers ? Dans une instruction, les actes sont de statuts et d'importance différents aussi bien au regard de leurs effets sur l'atteinte à la liberté et aux droits que de leurs effets sur l'appréciation des charges. La loi devrait prévoir cette distinction plutôt que de la laisser à l'appréciation des parties. Le Syndicat de la magistrature a considéré que les infractions concernées pourraient être les crimes, les délits spécifiques ouvrant droit à recourir à des techniques spéciales d'enquête, les délits visant des personnes protégées à raison de leur activité. Au sein des dossiers, la collégialité s'appliquera pour certains actes plus importants que d'autres : décision de mise en examen, décision de saisine du juge des libertés et de la détention pour placement ou pour renouvellement de la détention provisoire, l'ordonnance de règlement, ainsi que toute une série de mesures d'investigation liées aux techniques spéciales d'enquête.

Debut de section - Permalien
Jean de Maillard, permanent de FO Magistrats

La question que vous posez, Monsieur le président, est pertinente. Elle montre la limite de l'exercice. Si tout le monde s'accorde avec les magistrats sur la nécessité d'aller vers la collégialité, dès que l'on tente de préciser le contenu de la notion, ce bel accord s'effiloche. Faut-il une collégialité à l'acte, à la demande, faut-il l'institutionnaliser et jusqu'où ?

Le projet de loi de 2013 prévoyait une collégialité qui serait soit à la demande des parties, soit à la demande du parquet, soit à celle du juge d'instruction, et qui serait décidée par le président du tribunal. Cette proposition avait toutes les chances d'être déclarée inconstitutionnelle, dans la mesure où le principe d'égalité des citoyens devant la loi fait que l'on ne choisit pas son juge. Sans compter que faire reposer le choix du juge sur une mesure d'administration judiciaire était certainement la pire des solutions.

Votre assemblée est prisonnière d'une procédure qui ne permet pas de poser les problèmes de fond, à savoir la nécessité absolue de reprendre dans sa totalité notre procédure pénale. Les mécanismes dont nous parlons sont ectoplasmiques. En 2013, l'étude d'impact indiquait que 28 000 affaires avaient entraîné la saisine d'un juge d'instruction au cours de l'année 2007, contre 16 200 en 2012, et certainement encore moins aujourd'hui. Pour reprendre la métaphore médicale dans les affaires au long cours que traitent les JIRS, le parquet ne peut pas assurer le service après-vente du Samu : il faut un juge d'instruction. Nous gagnerions à étudier d'autres systèmes de procédure. En Italie, le parquet est doté des mêmes pouvoirs que le juge d'instruction français tout en disposant d'une indépendance plus forte. Les moyens sont considérables, alors qu'en France, nous n'avons qu'une dizaine de parquetiers et autant de juges d'instruction qui se consacrent à la lutte antiterroriste.

Debut de section - Permalien
Isabelle Rich-Flament, membre du conseil d'administration de l'Association françaises des magistrats instructeurs

À l'heure actuelle, ils sont sept.

Debut de section - Permalien
Jean de Maillard, permanent de FO Magistrats

Les effectifs de nos collègues italiens sont dix fois supérieurs ! Sans compter les services de police qui dépendent directement d'eux. Nous devons réfléchir à une conception de la collégialité qui favorise la réforme de notre système de procédure pénale afin qu'il s'adapte aux nouvelles formes de criminalité.

Debut de section - Permalien
Pascal Gastineau, président de l'Association française des magistrats instructeurs

Je voudrais terminer sur une note d'espoir. Ce qui était proposé par le Gouvernement dans le projet de loi Justice du XXIème siècle avait du sens, avant qu'on parle de la suppression de la collégialité. On peut croiser les critères : acte, type d'acte, complexité de l'affaire, à la demande ou pas. On peut aussi être inventif et imaginer qu'un magistrat autre que le magistrat instructeur du tribunal puisse être associé au collège. En tout cas, il ne suffira certainement pas de recruter 300 magistrats instructeurs supplémentaires pour mettre en place une réforme pratique et pragmatique de la collégialité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le projet de loi relatif à la justice du XXIème siècle a été adopté récemment par l'Assemblée nationale, avec un certain nombre de dispositions nouvelles dont nous n'avons pas débattu au Sénat. La commission des lois a souhaité les examiner de manière approfondie avant la réunion de la CMP. C'est dans ce cadre que nous avons organisé ces auditions sur le changement d'état civil des personnes transsexuelles.

- Présidence de M. François-Noël Buffet, vice-président -

Debut de section - Permalien
Astrid Marais, professeur de droit à l'université de Bretagne occidentale

L'amendement introduit dans le projet de loi sur la justice du XXIème siècle prévoit qu'une personne qui souhaiterait changer de sexe à l'état civil puisse en faire la demande au juge, à la condition de démontrer que son sexe juridique ne correspond pas à celui sous lequel il se présente. Il est précisé notamment qu'il n'est plus nécessaire que la personne fasse état de traitements médicaux pour obtenir une telle modification. L'absence de tels traitements ne pourrait pas suffire à rejeter la demande.

Cet amendement a été présenté comme un assouplissement des conditions actuelles du changement de sexe des transsexuels, et l'on constate que le texte ne fait même pas mention des termes de transsexualisme ou de dysphorie de genre.

Dans le droit positif, le changement de sexe à l'état civil est une réponse juridique donnée à un problème médical. C'est pour cette raison qu'il est autorisé en cas de transsexualisme. Le transsexualisme, encore appelé dysphorie de genre, est un trouble de l'identité sexuelle qui se caractérise par la conviction d'une personne d'appartenir à un sexe qui n'est pas celui qui lui a été anatomiquement, génétiquement et juridiquement donné. Cette personne ressent par conséquent le besoin intense de modifier son sexe anatomique et juridique.

Le transsexualisme est un syndrome aux causes incertaines. On évoque des facteurs biologiques, notamment une exposition anormale du foetus aux hormones. L'inspection générale des affaires sociales (Igas) indique que 6 100 personnes auraient suivi un parcours de soins, organisé en quatre étapes : diagnostic du syndrome ; expérience en vie réelle pour apprécier la capacité de la personne à vivre dans le sexe revendiqué ; traitement hormonal pour supprimer les caractères sexuels secondaires et induire les caractères recherchés ; opération chirurgicale lourde de réassignation sexuelle qui implique une ablation des organes génitaux et leur remplacement par des organes artificiels. Cette opération a lieu en général deux ans après le début du parcours de soins. Le traitement est remboursé par la sécurité sociale depuis 1976 ; depuis 2010, il n'entre plus dans la catégorie des affections psychiatriques de longue durée mais dans celle des affections de longue durée hors liste.

Il a fallu attendre une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en 1992 pour que la jurisprudence accepte le changement de sexe des transsexuels, en l'encadrant strictement. Dorénavant, la Cour de cassation pose deux conditions : le transsexuel doit établir la réalité du syndrome dont il est atteint ; il doit également démontrer le caractère irréversible de la modification de son apparence. La Cour de cassation entendait ainsi assurer un équilibre entre le respect de la vie privée des transsexuels et les impératifs de sécurité juridique attachés à l'État, qui pourraient être mis à mal en cas de changements de sexe répétés.

La deuxième condition pose des problèmes d'interprétation : doit-on pour démontrer le caractère irréversible du changement d'apparence faire obligatoirement état d'une réassignation sexuelle impliquant une chirurgie d'ablation des organes génitaux ou peut-on se contenter de traitements hormonaux, éventuellement associés à une chirurgie plastique ? Une circulaire de 2010 préconisait d'autoriser les changements de sexe des transsexuels lorsque ceux-ci avaient subi des traitements hormonaux, sans rendre obligatoire la réassignation sexuelle. La Haute Autorité de santé (HAS) avait en effet indiqué que ces traitements hormonaux pris sur le long terme affectaient de manière irréversible le métabolisme. Néanmoins, en 2014, l'Académie nationale de médecine précisait qu'ils n'affectaient pas de façon irréversible la fécondité du transsexuel : certains transsexuels pouvaient procréer dans leur sexe d'origine, malgré les traitements reçus.

Il est d'autant plus utile que le législateur lève les ambiguïtés que la Cour européenne des droits de l'homme a été saisie en 2016 de trois requêtes par des personnes dont la demande de changement de sexe à l'état civil a été refusée au prétexte qu'elles ne réunissaient pas les deux conditions fixées. L'amendement au projet de loi n'exige plus de traitement médical ou hormonal, ni que le transsexuel fasse la preuve de l'existence du syndrome du transsexualisme. Il démédicalise ainsi complètement la procédure de changement de sexe, suivant en cela l'avis rendu en 2013 par la commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) : l'identité de genre serait reconnue et tout individu pourrait choisir le sexe sous lequel il souhaite être désigné à l'état civil.

Dépendant de la volonté de la personne, le sexe ne pourrait plus servir d'élément d'identification au sein de la société. En organisant l'état civil de la personne, l'État détermine les qualités qui devront être prises en compte pour l'identifier et leur attache des effets de droit. Les éléments de l'état civil sont ainsi imposés à la personne qui ne peut ni les choisir, ni les modifier : l'état des personnes est dit indisponible. Les modifications restent possibles mais sont strictement encadrées par la loi. Si la détermination du sexe dépendait de la volonté de la personne, chacun pourrait changer de sexe à chaque fois qu'il le souhaiterait, ce qui compromettrait la sécurité attachée à l'état. D'où la nécessité de faire sortir la mention du sexe de l'état civil. Pourquoi pas ? Cependant, cela impliquerait que la mention du sexe n'ait aucune incidence juridique.

Depuis la loi de 2013 sur le mariage pour tous, la plupart des distinctions du sexe ont été abolies en droit français. Elles continuent cependant de s'appliquer dans certains cas, par exemple pour les règles relatives à l'établissement de la filiation. Si l'on démédicalise purement et simplement la procédure de changement de sexe, on risque d'aboutir à des situations où un homme serait « enceint » et accoucherait d'un enfant sans que l'on sache s'il doit être considéré comme père ou mère. En l'état actuel du droit, il serait plus opportun de maintenir un encadrement médical, quitte à assouplir les conditions du changement de sexe.

La condition qui fait obligation d'établir une preuve du syndrome de transsexualisme garantit qu'on donne à l'individu un sexe conforme au sexe psychologique qu'il revendique. Elle contribue ainsi à maintenir la stabilité de l'état civil. Faut-il en plus exiger une opération de réassignation sexuelle qui entraîne la stérilité ? La plupart des transsexuels acceptent, voire revendiquent cette chirurgie, aussi lourde soit-elle. On ne recense qu'1 % de regrets, surtout liés à des erreurs de diagnostic. Une minorité de personnes correctement identifiées comme transsexuelles ne souhaitent pas pour autant être soumises à cette opération qu'elles ressentent comme une castration. Parfois, les médecins refusent de la pratiquer en raison de contre-indications médicales. Faut-il alors interdire à la personne le changement de sexe juridique ?

Accepter cette interdiction reviendrait à subordonner ouvertement le changement de sexe à une exigence de stérilisation pour empêcher le transsexuel opéré d'avoir un enfant en utilisant ses facultés procréatives d'origine. Est-ce conforme à la Convention européenne des droits de l'Homme ? La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a récemment condamné la Turquie pour avoir exigé d'un transsexuel qu'il fasse la preuve de sa stérilité avant le traitement chirurgical qui allait le rendre stérile, ce qui était absurde. En revanche, la Cour laisse une marge d'appréciation aux États pour déterminer si la stérilisation doit résulter de l'opération chirurgicale. La convention faisant l'objet d'une interprétation évolutive, il n'est pas exclu que la Cour revienne sur ce point.

La stérilisation constitue indéniablement une atteinte grave au respect du droit à la vie privée du transsexuel. Néanmoins, elle pourrait éventuellement être justifiée par un objectif de protection de l'ordre ou de la morale, objectif que la CEDH reconnaît comme légitime. Il s'agirait en l'occurrence d'éviter qu'un homme puisse être « enceint » ou qu'une femme puisse être le père biologique d'un enfant. On peut également considérer qu'il serait dans l'intérêt de l'enfant lui-même de ne pas avoir pour père sa mère biologique et inversement. Cependant, la Cour introduit une exigence de proportionnalité entre l'objectif poursuivi et l'atteinte portée au droit à la vie privée du transsexuel.

En maintenant les deux conditions du droit actuel - établissement du syndrome et traitements médicaux - on limite les risques de changements de sexe à répétition. On limite également les risques de procréation du transsexuel dans son sexe d'origine, car tel n'est pas le désir du transsexuel puisque cette procréation contredirait le sexe qu'il revendique. Dans ces conditions, subordonner le changement de sexe à une opération de stérilisation contrainte apparaîtrait disproportionné.

D'où la nécessité pour le législateur de lever les doutes en maintenant d'une part la condition de l'établissement du syndrome de transsexualisme, d'autre part celle d'un traitement médical qui aurait pour effet de modifier l'apparence du transsexuel. En revanche, l'opération de réassignation sexuelle n'aurait rien d'obligatoire, même si elle reste possible. Pour autant, les risques de procréation du transsexuel dans son sexe d'origine, quoique limités, ne seraient pas nuls. En Allemagne, on a récemment eu le cas d'un transsexuel homme qui avait accouché d'un enfant. Cela promet une belle bataille juridique. Il serait utile que le législateur anticipe cette situation, pour préserver l'intérêt de l'enfant dont la construction pourrait être difficile. Une solution pourrait être qu'une personne qui aurait changé d'état civil mais aurait procréé dans son sexe d'origine soit automatiquement rétablie à l'état civil dans son sexe d'origine.

Enfin, en réglementant le changement de sexe, le législateur aurait aussi l'opportunité de lever les doutes sur l'accès des transsexuels à la procréation artificielle et de s'intéresser à l'inter-sexualisme. Problématiques qui relèvent toutefois d'un autre débat.

Debut de section - Permalien
Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l'Inter-LGBT

Notre revendication est que le changement de sexe à l'état civil puisse se faire dans les conditions posées par le Conseil de l'Europe. La procédure actuelle, en France, est contraire aux droits humains. La CEDH devra prendre position car elle a été saisie de trois plaintes françaises. D'autres institutions ont déjà rendu leurs avis sur la médicalisation et la procédure rapide, comme la CNCDH et l'ECRI.

Le changement de sexe à l'état civil répond à une jurisprudence datant de 1992, année où la France a été condamnée pour non-respect de la vie privée des personnes trans. J'emploie cette expression à dessein, pour les distinguer des personnes transsexuelles qui réussissent à obtenir leur changement d'état civil même auprès de tribunaux défavorables en apportant la preuve de leur stérilisation. La stérilisation concentre tout l'arbitraire médical : la personne passe des années dans un couloir à attendre de savoir si elle aura droit ou non à un changement d'état civil. Beaucoup restent sur le carreau. D'autres ne peuvent pas recevoir le traitement pour des raisons médicales, VIH etc.

On redoute qu'une personne trans devienne mère ou père d'un enfant ? Soyons clairs. Ces familles existent déjà, elles vivent dans notre société. Il faut trouver un cadre juridique pour les protéger, car souvent les personnes trans vivent dans des conditions lamentables, privées d'accès à la santé, à l'éducation ou à la justice.

Nous demandons une procédure rapide pour le changement d'état civil. Les personnes trans vivent des moments épouvantables dès le premier jour de leur coming out. La procédure doit être démédicalisée. Il faut bannir l'irréversibilité qui signifie la stérilisation, éviter la référence au traitement hormonal qui n'est pas possible pour tous. Enfin, il faut rendre la procédure accessible à tous, car encore une fois, certaines personnes trans n'ont pas accès à l'emploi, ne peuvent finir leurs études et se retrouvent dans des situations de grande précarité.

De plus en plus de pays font le choix de l'autodétermination du sexe, parmi lesquels l'Argentine et quatre pays d'Europe. Personne ne peut décider de l'identité d'une autre personne de manière arbitraire. Les personnes que nous représentons font face à des discriminations épouvantables. Elles revendiquent leur identité et demandent qu'on la respecte dans les documents qui pourront ouvrir l'accès à la santé, à l'éducation et à l'emploi.

Debut de section - Permalien
Philippe Reigné, professeur de droit au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Le texte voté par l'Assemblée nationale introduit la notion particulière de « possession d'état » du sexe. Pourquoi la Cour de cassation accepte-t-elle de changer la mention du sexe sur les registres de l'état civil ? Il ne s'agit certainement pas d'un complément apporté au traitement médical. La loi, le juge, les décisions de justice ne sont pas des médicaments. Il s'agit tout simplement de supprimer un risque de discrimination qui apparaît quand les documents d'identité ne correspondent plus à ce que la personne est, avec les difficultés d'insertion sociale et professionnelle qui s'ensuivent.

Au début des années 2000, la CEDH opère un revirement dans sa jurisprudence. Les arrêts les plus intéressants sont ceux de 2003 ; leur solution a été réitérée en 2015. Ils affirment la liberté de définir son appartenance sexuelle et se rattachent à l'autonomie personnelle, aspect du droit au respect de la vie privée.

La Cour européenne des droits de l'homme a beaucoup évolué dans sa perception des questions liées au changement d'état civil. En regard de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 18 quater du projet de loi soulève des difficultés. Les deux fondements de cette question sont la lutte contre la discrimination - dite transphobie - et la liberté de définir son appartenance sexuelle, que la CEDH, en 2015, a rangé parmi les éléments les plus essentiels du droit à l'autodétermination.

La Cour de cassation, en assemblée plénière, a rendu le 11 décembre 1992 un arrêt qui admet le changement d'état civil à six conditions. Cette jurisprudence, qui paraissait solide, a été remise en cause par les principaux intéressés car la mention de changement de sexe, dans la conception de la Cour de cassation, a lieu à la fin du parcours, c'est-à-dire beaucoup trop tard pour éviter la discrimination.

Dans un rapport de 2009, la Haute autorité de santé a proposé un autre critère : l'irréversibilité, ou plutôt le suivi d'un traitement hormonal aux effets irréversibles sur la fécondité. En 2012 et 2013, la Cour de cassation a accueilli cette notion dans des termes flous, en résumant ses six conditions précédentes en deux : prouver le syndrome de transsexualisme et l'irréversibilité de la transformation de l'apparence. Depuis, les tribunaux ont du mal à appliquer la notion d'irréversibilité.

Une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale le 29 septembre 2015 prévoyait un système semi-déclaratif consistant à présenter au procureur de la République des éléments de preuve, parmi lesquels des témoignages d'une adaptation du comportement social de la personne au sexe revendiqué et des décisions judiciaires établissant des discriminations dues à la discordance entre le sexe à l'état civil et le sexe revendiqué. Le texte de la proposition de loi est réapparu dans ce projet de loi, modifié par des amendements gouvernementaux introduisant la notion de possession d'état du sexe. La notion de possession d'état est la possibilité d'aligner le droit sur le fait, dans trois domaines : le nom, la nationalité et la filiation. Est-ce une solution ? Non. On retrouve les mêmes problèmes qu'avec les solutions de la Cour de cassation. La possession d'état s'inscrit dans la durée, celle-ci n'étant pas précisée par la loi. Pour changer un nom, il faut trois générations !

Le II de l'article 18 quater du projet de loi est déconnecté des logiques de discrimination qui justifient le changement d'état civil. Pour une personne qui change de nom parce que sa consonance étrangère l'expose à des discriminations, la procédure de francisation, rapide, est préférée à celle de la possession d'état.

J'en viens à l'homme « enceint ». Inutile de bouleverser le droit de la filiation. La jurisprudence trouvera aisément des solutions pour établir une double maternité ou paternité. Les textes le permettent, à condition d'en faire une lecture raisonnable et non littérale. Cet épouvantail concernera une personne sur 10 000, et encore : ce cas très particulier peut sans difficulté être abandonné à la sagesse des tribunaux.

Debut de section - Permalien
Dominique Lottin, premier président de la cour d'appel de Versailles

En 1986, j'étais magistrat au tribunal de grande instance de Rouen, qui comptait parmi les premières juridictions à admettre le changement de sexe - un médecin du centre hospitalier universitaire accompagnait les transsexuels dans leur cheminement - à une époque où le tribunal de Paris le refusait. Je veux témoigner des grandes souffrances des personnes qui se présentaient devant la juridiction, après un processus long et douloureux, psychologiquement et physiquement, et de leur revendication d'un état civil en adéquation avec leur statut. Nous devons prendre conscience de cette réalité qui a poussé la CEDH et la Cour de cassation à évoluer. Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples.

J'ai entendu parler de la liberté de définir son appartenance sexuelle : certains ne sont pas totalement libres - nous le constatons dans les juridictions. Le juge doit parfois intervenir pour s'assurer de cette liberté. Nous avons relevé des cas de personnes contraintes de changer de sexe, pour des raisons de prostitution notamment.

Pour avoir travaillé avec des médecins spécialistes, des psychologues, des psychiatres, je sais que tout n'est pas simple. Nous évoluons tous dans nos vies. Le syndrome transsexuel, s'il correspond à une réalité scientifique, n'est pas forcément définitif. Certains individus ont une difficulté d'identité sexuelle qui les conduit à se sentir appartenir momentanément à un sexe. Il est important qu'un juge intervienne pour s'assurer de la liberté et de la pleine conscience de la personne qui demande le changement d'état civil.

La proposition d'effectuer une simple déclaration, qui est apparue dans le débat et existe dans certains pays, est très risquée. Elle peut conduire certains à des cheminements extrêmement douloureux, qu'il est dangereux d'effectuer sans accompagnement. Que cela ne soit pas automatique permet au juge de s'assurer de la liberté du consentement et de vérifier que cette appartenance sexuelle correspond à une réalité, et non pas uniquement à des difficultés psychologiques temporaires.

Ce texte m'inquiète un peu. Qu'est-ce qu'une « réunion suffisante de faits » ? J'ai cru comprendre que l'Assemblée avait voulu éviter une divergence de la jurisprudence. Je ne suis pas sûre que cette formulation y aide... Se présenter publiquement comme appartenant au sexe revendiqué, être connu sous un sexe, en avoir l'apparence physique : tout cela est éminemment subjectif et ouvre la porte à une diversité d'interprétations. C'est pourquoi l'avis médical me paraît indispensable. Quand un transsexuel entre dans un processus de changement, il a affaire au monde médical, qui compte des spécialistes de la question.

Les juridictions françaises procèdent de plus en plus au contrôle de proportionnalité, comme nous y invite la CEDH. Qu'est-ce que l'intérêt ? Faut-il ne tenir compte que de celui de la personne qui se présente devant nous ? Ou se préoccuper aussi de l'intérêt général ? Certaines personnes peuvent être contraintes de changer de sexe pour de mauvaises raisons...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Ces questions sont très sensibles et renvoient à des problèmes individuels lourds, face auxquels la société n'est pas toujours très bienveillante. Les discriminations sont nombreuses dans la vie sociale des personnes transsexuelles. Le rôle du législateur, à l'évidence, est de résoudre ces difficultés, mais sans en créer de nouvelles ! Aussi l'improvisation législative n'est-elle pas de bonne méthode. De fait, le compromis atteint à l'Assemblée nationale n'est satisfaisant pour personne. Nous devons approfondir encore cette question. La jurisprudence actuelle a sans doute des défauts mais elle permet à tous les tribunaux de France d'appliquer la même règle. Dans ce texte, l'expression « réunion suffisante de faits » laisse chaque tribunal déterminer quels faits retenir pour accepter, ou non, un changement de sexe. Son application ouvrira donc une période d'incertitude, qui ne sera levée que lorsque la Cour de Cassation aura pu se prononcer.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Détraigne

J'aborde avec beaucoup de prudence cette question que je ne connaissais guère avant l'examen de ce texte. Peut-il arriver qu'après une période où une personne est convaincue qu'elle appartient à un autre sexe que celui qui lui a été donné à sa naissance, elle revienne sur cette conviction ?

Debut de section - Permalien
Magaly Lhotel, avocat à la cour

Je travaille depuis douze ans sur ces questions, avec une quinzaine de jugements par an en moyenne. Je n'ai jamais connu une personne regrettant d'avoir changé d'état civil. Les psychiatres réalisent un diagnostic différentiel, car on ne sait d'où vient cette conviction : dans leurs certificats, ils écrivent que la personne n'est pas atteinte d'un trouble pathologique.

Depuis trois ans, je suis confrontée à de plus en plus de très jeunes demandeurs - ou demanderesses. Certains viennent avec leurs parents. Avec les réseaux sociaux, le sujet est mieux connu, et c'est au moment de la puberté qu'on se pose des questions. Décider d'une hystérectomie à dix-huit ans est difficile... Certains se préoccupent du sexe qui figurera sur leur baccalauréat. À l'inverse, j'ai fait changer hier l'état civil d'une personne de 76 ans !

Le changement d'état civil n'empêche pas les familles de vivre. Ce qui m'inquiète, c'est qu'un enfant naisse avec un père ayant l'apparence d'une femme et l'état civil d'un homme. Un document d'identité a d'abord une fonction sociale.

Debut de section - Permalien
Sun Hee Yoon, présidente d'Acthé

Mme Marais utilise le terme de « syndrome transsexuel », alors que la communauté médicale s'accorde à dire qu'il est impossible de diagnostiquer un tel syndrome. Donc ce syndrome n'existe pas. Les médecins se bornent à faire un diagnostic différentiel qui exclut tout trouble pathologique qui exclut tout trouble pathologique pour certifier que notre parole est authentique. Autrefois, c'était un jeu de dupes : il fallait fournir aux juges un certificat selon lequel nous étions des malades mentaux. Mme Marais préconise le test de la vie réelle, ce qui est hallucinant ! Pour s'assurer de la continuité et de la sincérité de la demande, la personne est mise à l'épreuve et doit vivre selon le sexe revendiqué pendant deux ans, sans hormones, sans chirurgie ; il s'agit de voir si elle résiste. Évidemment, elle est alors soumise à la discrimination, au rejet, souvent à la perte de son emploi. On ne peut subordonner le changement d'état civil au certificat d'un psychiatre ! Il faut le voir comme un outil d'égalité. Vaut-il mieux laisser courir un coupable ou enfermer mille innocents ?

Debut de section - Permalien
Astrid Marais, professeur de droit à l'université de Bretagne occidentale

Ce n'est pas moi qui préconise le test de la vie réelle, mais les rapports de la Haute autorité de santé et de l'IGAS. Quant au terme « syndrome », il figure actuellement dans la jurisprudence. Je ne fais que décrire l'état actuel du droit.

Debut de section - Permalien
Clémence Zamora-Cruz, porte-parole d'Inter-LGBT

Le Danemark vient de dépsychiatriser la transidentité, et l'OMS va faire sortir le terme de transsexuel de son catalogue de pathologies mentales.

Debut de section - Permalien
Philippe Reigné

Il arrive à la transidentité la même chose qu'à l'homosexualité. Au XIXème siècle, celle-ci était définie comme une maladie : l'inversion du sens sexuel. Au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, elle a été dépathologisée. La transidentité, qui n'a été construite que dans les années 1950, commence à l'être à son tour, selon les pays. Voilà qui vient compliquer votre réflexion !

Debut de section - Permalien
Dominique Lottin, premier président de la cour d'appel de Versailles

En effet, ce n'est pas une pathologie. Mais il faut s'assurer de l'absence de trouble psychotique. Vu la facilité à obtenir sur Internet certains traitements hormonaux, rendre le changement d'état civil trop aisé peut conduire à des situations dramatiques pour les principaux intéressés. Certes, il faut aider les vrais transsexuels à changer de sexe plus rapidement qu'aujourd'hui. Mais nous devons protéger les personnes fragiles qui ne sont pas authentiquement transsexuelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci de nous avoir éclairés.

La réunion est levée à 18 h 55