Je constate qu'il y a unanimité contre la suppression de la collégialité. Cette question est ancienne, puisque c'est en 1985 que Robert Badinter a pour la première fois suggéré de renommer chambre de l'instruction le collège d'instruction composé de trois magistrats, alors appelé chambre d'accusation. L'idée de collégialité, bien antérieure à Outreau, est une nécessité transversale du droit ; quelle que soit la formation des juridictions, la plénière est la marque d'une solennité particulière de la décision rendue, grâce à laquelle la personne du juge s'extrait d'elle-même pour incarner l'institution. Ce n'est plus le juge seul avec ses doutes et ses hésitations qui prend la décision, c'est l'institution qui se prononce. Tel est l'enjeu de la suppression de la collégialité.
Il faut prendre la mesure de la tâche qui incombe au juge d'instruction : il porte sur ses épaules la responsabilité de la liberté des personnes déférées devant lui, mais aussi d'établir des charges contre elles pouvant les conduire devant une juridiction de jugement. Il y a les dossiers sur lesquels on doute, ceux sur lesquels on varie, ceux sur lesquels on évolue... La conviction n'est jamais constante. Les mécanismes dont dispose le juge d'instruction pour partager ses doutes et ses incertitudes sont relativement faibles. La co-saisine, qui répond aux articles 83-1 et 83-2 du code de procédure pénale, place deux magistrats ou plus l'un à côté de l'autre sans leur faire obligation de travailler ensemble, en sorte que chacun peut prendre seul des actes au cours de l'instruction sans avoir besoin de l'accord de l'autre, sauf pour signer une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, celle-ci ne pouvant faire l'objet d'un appel devant la chambre de l'instruction. En matière d'environnement, de santé ou de délits financiers, le juge se retrouve seul.
La collégialité protège l'intérêt du justiciable en garantissant que la décision prise et rendue n'émane pas de la conception particulière d'un seul homme. Elle protège l'intérêt du juge d'instruction qui n'est pas exposé à titre personnel. Il arrive que certains juges d'instruction soient mentionnés dans la presse pour les décisions qu'ils rendent, jamais le parquet ! La différence fondamentale d'organisation des deux structures fait que l'une est surexposée, tandis que l'autre ne l'est jamais. Si la justice doit s'extraire des passions, rationaliser sa démarche pour constater une culpabilité ou démontrer une innocence, il faut que cette absence de passions puisse s'exprimer par le débat au sein de l'instruction. Enfin, la collégialité protège l'intérêt de la justice, car la décision rendue est concertée, assumée : on n'est pas dans une vendetta personnelle. La tentation peut être grande pour un juge d'être reconnu en son nom pour avoir réglé un dossier. La fonction de jugement exige de l'humilité, car ce sont des éléments fondamentaux de la vie des mis en examen qui sont en jeu.
Faut-il se fier aux arguments budgétaires qui ont été avancés ? Selon la Chancellerie, il manquerait 300 postes de juge d'instruction. La France n'aurait-elle donc pas les moyens de les créer ? La réforme du JLD et celle de la garde à vue ont mis en lumière la nécessité de mobiliser des crédits. La dynamique est vertueuse : ces ressources éviteront d'avoir à en mobiliser d'autres ensuite. On est passé de 620 à 540 magistrats instructeurs depuis 2013. En créant 300 nouveaux postes, on ne fera que mettre fin à l'érosion en remettant à niveau le nombre de nos juges d'instruction. En la matière, la France se place à la 37ème place sur 45 parmi les États du Conseil de l'Europe.
Il serait absurde d'instaurer un principe général de collégialité, bien sûr. En revanche, si l'on tient compte du quantum de la peine, de la nature de l'affaire et de la demande des parties, il me semble tout à fait raisonnable d'introduire ce mécanisme, cette possibilité et cette assurance dans la procédure.