L'amendement introduit dans le projet de loi sur la justice du XXIème siècle prévoit qu'une personne qui souhaiterait changer de sexe à l'état civil puisse en faire la demande au juge, à la condition de démontrer que son sexe juridique ne correspond pas à celui sous lequel il se présente. Il est précisé notamment qu'il n'est plus nécessaire que la personne fasse état de traitements médicaux pour obtenir une telle modification. L'absence de tels traitements ne pourrait pas suffire à rejeter la demande.
Cet amendement a été présenté comme un assouplissement des conditions actuelles du changement de sexe des transsexuels, et l'on constate que le texte ne fait même pas mention des termes de transsexualisme ou de dysphorie de genre.
Dans le droit positif, le changement de sexe à l'état civil est une réponse juridique donnée à un problème médical. C'est pour cette raison qu'il est autorisé en cas de transsexualisme. Le transsexualisme, encore appelé dysphorie de genre, est un trouble de l'identité sexuelle qui se caractérise par la conviction d'une personne d'appartenir à un sexe qui n'est pas celui qui lui a été anatomiquement, génétiquement et juridiquement donné. Cette personne ressent par conséquent le besoin intense de modifier son sexe anatomique et juridique.
Le transsexualisme est un syndrome aux causes incertaines. On évoque des facteurs biologiques, notamment une exposition anormale du foetus aux hormones. L'inspection générale des affaires sociales (Igas) indique que 6 100 personnes auraient suivi un parcours de soins, organisé en quatre étapes : diagnostic du syndrome ; expérience en vie réelle pour apprécier la capacité de la personne à vivre dans le sexe revendiqué ; traitement hormonal pour supprimer les caractères sexuels secondaires et induire les caractères recherchés ; opération chirurgicale lourde de réassignation sexuelle qui implique une ablation des organes génitaux et leur remplacement par des organes artificiels. Cette opération a lieu en général deux ans après le début du parcours de soins. Le traitement est remboursé par la sécurité sociale depuis 1976 ; depuis 2010, il n'entre plus dans la catégorie des affections psychiatriques de longue durée mais dans celle des affections de longue durée hors liste.
Il a fallu attendre une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en 1992 pour que la jurisprudence accepte le changement de sexe des transsexuels, en l'encadrant strictement. Dorénavant, la Cour de cassation pose deux conditions : le transsexuel doit établir la réalité du syndrome dont il est atteint ; il doit également démontrer le caractère irréversible de la modification de son apparence. La Cour de cassation entendait ainsi assurer un équilibre entre le respect de la vie privée des transsexuels et les impératifs de sécurité juridique attachés à l'État, qui pourraient être mis à mal en cas de changements de sexe répétés.
La deuxième condition pose des problèmes d'interprétation : doit-on pour démontrer le caractère irréversible du changement d'apparence faire obligatoirement état d'une réassignation sexuelle impliquant une chirurgie d'ablation des organes génitaux ou peut-on se contenter de traitements hormonaux, éventuellement associés à une chirurgie plastique ? Une circulaire de 2010 préconisait d'autoriser les changements de sexe des transsexuels lorsque ceux-ci avaient subi des traitements hormonaux, sans rendre obligatoire la réassignation sexuelle. La Haute Autorité de santé (HAS) avait en effet indiqué que ces traitements hormonaux pris sur le long terme affectaient de manière irréversible le métabolisme. Néanmoins, en 2014, l'Académie nationale de médecine précisait qu'ils n'affectaient pas de façon irréversible la fécondité du transsexuel : certains transsexuels pouvaient procréer dans leur sexe d'origine, malgré les traitements reçus.
Il est d'autant plus utile que le législateur lève les ambiguïtés que la Cour européenne des droits de l'homme a été saisie en 2016 de trois requêtes par des personnes dont la demande de changement de sexe à l'état civil a été refusée au prétexte qu'elles ne réunissaient pas les deux conditions fixées. L'amendement au projet de loi n'exige plus de traitement médical ou hormonal, ni que le transsexuel fasse la preuve de l'existence du syndrome du transsexualisme. Il démédicalise ainsi complètement la procédure de changement de sexe, suivant en cela l'avis rendu en 2013 par la commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) : l'identité de genre serait reconnue et tout individu pourrait choisir le sexe sous lequel il souhaite être désigné à l'état civil.
Dépendant de la volonté de la personne, le sexe ne pourrait plus servir d'élément d'identification au sein de la société. En organisant l'état civil de la personne, l'État détermine les qualités qui devront être prises en compte pour l'identifier et leur attache des effets de droit. Les éléments de l'état civil sont ainsi imposés à la personne qui ne peut ni les choisir, ni les modifier : l'état des personnes est dit indisponible. Les modifications restent possibles mais sont strictement encadrées par la loi. Si la détermination du sexe dépendait de la volonté de la personne, chacun pourrait changer de sexe à chaque fois qu'il le souhaiterait, ce qui compromettrait la sécurité attachée à l'état. D'où la nécessité de faire sortir la mention du sexe de l'état civil. Pourquoi pas ? Cependant, cela impliquerait que la mention du sexe n'ait aucune incidence juridique.
Depuis la loi de 2013 sur le mariage pour tous, la plupart des distinctions du sexe ont été abolies en droit français. Elles continuent cependant de s'appliquer dans certains cas, par exemple pour les règles relatives à l'établissement de la filiation. Si l'on démédicalise purement et simplement la procédure de changement de sexe, on risque d'aboutir à des situations où un homme serait « enceint » et accoucherait d'un enfant sans que l'on sache s'il doit être considéré comme père ou mère. En l'état actuel du droit, il serait plus opportun de maintenir un encadrement médical, quitte à assouplir les conditions du changement de sexe.
La condition qui fait obligation d'établir une preuve du syndrome de transsexualisme garantit qu'on donne à l'individu un sexe conforme au sexe psychologique qu'il revendique. Elle contribue ainsi à maintenir la stabilité de l'état civil. Faut-il en plus exiger une opération de réassignation sexuelle qui entraîne la stérilité ? La plupart des transsexuels acceptent, voire revendiquent cette chirurgie, aussi lourde soit-elle. On ne recense qu'1 % de regrets, surtout liés à des erreurs de diagnostic. Une minorité de personnes correctement identifiées comme transsexuelles ne souhaitent pas pour autant être soumises à cette opération qu'elles ressentent comme une castration. Parfois, les médecins refusent de la pratiquer en raison de contre-indications médicales. Faut-il alors interdire à la personne le changement de sexe juridique ?
Accepter cette interdiction reviendrait à subordonner ouvertement le changement de sexe à une exigence de stérilisation pour empêcher le transsexuel opéré d'avoir un enfant en utilisant ses facultés procréatives d'origine. Est-ce conforme à la Convention européenne des droits de l'Homme ? La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a récemment condamné la Turquie pour avoir exigé d'un transsexuel qu'il fasse la preuve de sa stérilité avant le traitement chirurgical qui allait le rendre stérile, ce qui était absurde. En revanche, la Cour laisse une marge d'appréciation aux États pour déterminer si la stérilisation doit résulter de l'opération chirurgicale. La convention faisant l'objet d'une interprétation évolutive, il n'est pas exclu que la Cour revienne sur ce point.
La stérilisation constitue indéniablement une atteinte grave au respect du droit à la vie privée du transsexuel. Néanmoins, elle pourrait éventuellement être justifiée par un objectif de protection de l'ordre ou de la morale, objectif que la CEDH reconnaît comme légitime. Il s'agirait en l'occurrence d'éviter qu'un homme puisse être « enceint » ou qu'une femme puisse être le père biologique d'un enfant. On peut également considérer qu'il serait dans l'intérêt de l'enfant lui-même de ne pas avoir pour père sa mère biologique et inversement. Cependant, la Cour introduit une exigence de proportionnalité entre l'objectif poursuivi et l'atteinte portée au droit à la vie privée du transsexuel.
En maintenant les deux conditions du droit actuel - établissement du syndrome et traitements médicaux - on limite les risques de changements de sexe à répétition. On limite également les risques de procréation du transsexuel dans son sexe d'origine, car tel n'est pas le désir du transsexuel puisque cette procréation contredirait le sexe qu'il revendique. Dans ces conditions, subordonner le changement de sexe à une opération de stérilisation contrainte apparaîtrait disproportionné.
D'où la nécessité pour le législateur de lever les doutes en maintenant d'une part la condition de l'établissement du syndrome de transsexualisme, d'autre part celle d'un traitement médical qui aurait pour effet de modifier l'apparence du transsexuel. En revanche, l'opération de réassignation sexuelle n'aurait rien d'obligatoire, même si elle reste possible. Pour autant, les risques de procréation du transsexuel dans son sexe d'origine, quoique limités, ne seraient pas nuls. En Allemagne, on a récemment eu le cas d'un transsexuel homme qui avait accouché d'un enfant. Cela promet une belle bataille juridique. Il serait utile que le législateur anticipe cette situation, pour préserver l'intérêt de l'enfant dont la construction pourrait être difficile. Une solution pourrait être qu'une personne qui aurait changé d'état civil mais aurait procréé dans son sexe d'origine soit automatiquement rétablie à l'état civil dans son sexe d'origine.
Enfin, en réglementant le changement de sexe, le législateur aurait aussi l'opportunité de lever les doutes sur l'accès des transsexuels à la procréation artificielle et de s'intéresser à l'inter-sexualisme. Problématiques qui relèvent toutefois d'un autre débat.