Le texte voté par l'Assemblée nationale introduit la notion particulière de « possession d'état » du sexe. Pourquoi la Cour de cassation accepte-t-elle de changer la mention du sexe sur les registres de l'état civil ? Il ne s'agit certainement pas d'un complément apporté au traitement médical. La loi, le juge, les décisions de justice ne sont pas des médicaments. Il s'agit tout simplement de supprimer un risque de discrimination qui apparaît quand les documents d'identité ne correspondent plus à ce que la personne est, avec les difficultés d'insertion sociale et professionnelle qui s'ensuivent.
Au début des années 2000, la CEDH opère un revirement dans sa jurisprudence. Les arrêts les plus intéressants sont ceux de 2003 ; leur solution a été réitérée en 2015. Ils affirment la liberté de définir son appartenance sexuelle et se rattachent à l'autonomie personnelle, aspect du droit au respect de la vie privée.
La Cour européenne des droits de l'homme a beaucoup évolué dans sa perception des questions liées au changement d'état civil. En regard de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 18 quater du projet de loi soulève des difficultés. Les deux fondements de cette question sont la lutte contre la discrimination - dite transphobie - et la liberté de définir son appartenance sexuelle, que la CEDH, en 2015, a rangé parmi les éléments les plus essentiels du droit à l'autodétermination.
La Cour de cassation, en assemblée plénière, a rendu le 11 décembre 1992 un arrêt qui admet le changement d'état civil à six conditions. Cette jurisprudence, qui paraissait solide, a été remise en cause par les principaux intéressés car la mention de changement de sexe, dans la conception de la Cour de cassation, a lieu à la fin du parcours, c'est-à-dire beaucoup trop tard pour éviter la discrimination.
Dans un rapport de 2009, la Haute autorité de santé a proposé un autre critère : l'irréversibilité, ou plutôt le suivi d'un traitement hormonal aux effets irréversibles sur la fécondité. En 2012 et 2013, la Cour de cassation a accueilli cette notion dans des termes flous, en résumant ses six conditions précédentes en deux : prouver le syndrome de transsexualisme et l'irréversibilité de la transformation de l'apparence. Depuis, les tribunaux ont du mal à appliquer la notion d'irréversibilité.
Une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale le 29 septembre 2015 prévoyait un système semi-déclaratif consistant à présenter au procureur de la République des éléments de preuve, parmi lesquels des témoignages d'une adaptation du comportement social de la personne au sexe revendiqué et des décisions judiciaires établissant des discriminations dues à la discordance entre le sexe à l'état civil et le sexe revendiqué. Le texte de la proposition de loi est réapparu dans ce projet de loi, modifié par des amendements gouvernementaux introduisant la notion de possession d'état du sexe. La notion de possession d'état est la possibilité d'aligner le droit sur le fait, dans trois domaines : le nom, la nationalité et la filiation. Est-ce une solution ? Non. On retrouve les mêmes problèmes qu'avec les solutions de la Cour de cassation. La possession d'état s'inscrit dans la durée, celle-ci n'étant pas précisée par la loi. Pour changer un nom, il faut trois générations !
Le II de l'article 18 quater du projet de loi est déconnecté des logiques de discrimination qui justifient le changement d'état civil. Pour une personne qui change de nom parce que sa consonance étrangère l'expose à des discriminations, la procédure de francisation, rapide, est préférée à celle de la possession d'état.
J'en viens à l'homme « enceint ». Inutile de bouleverser le droit de la filiation. La jurisprudence trouvera aisément des solutions pour établir une double maternité ou paternité. Les textes le permettent, à condition d'en faire une lecture raisonnable et non littérale. Cet épouvantail concernera une personne sur 10 000, et encore : ce cas très particulier peut sans difficulté être abandonné à la sagesse des tribunaux.