Intervention de Dominique Lottin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 juin 2016 : 2ème réunion
Modernisation de la justice du xxième siècle — Auditions sur le changement d'état civil des personnes transsexuelles

Dominique Lottin, premier président de la cour d'appel de Versailles :

En 1986, j'étais magistrat au tribunal de grande instance de Rouen, qui comptait parmi les premières juridictions à admettre le changement de sexe - un médecin du centre hospitalier universitaire accompagnait les transsexuels dans leur cheminement - à une époque où le tribunal de Paris le refusait. Je veux témoigner des grandes souffrances des personnes qui se présentaient devant la juridiction, après un processus long et douloureux, psychologiquement et physiquement, et de leur revendication d'un état civil en adéquation avec leur statut. Nous devons prendre conscience de cette réalité qui a poussé la CEDH et la Cour de cassation à évoluer. Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples.

J'ai entendu parler de la liberté de définir son appartenance sexuelle : certains ne sont pas totalement libres - nous le constatons dans les juridictions. Le juge doit parfois intervenir pour s'assurer de cette liberté. Nous avons relevé des cas de personnes contraintes de changer de sexe, pour des raisons de prostitution notamment.

Pour avoir travaillé avec des médecins spécialistes, des psychologues, des psychiatres, je sais que tout n'est pas simple. Nous évoluons tous dans nos vies. Le syndrome transsexuel, s'il correspond à une réalité scientifique, n'est pas forcément définitif. Certains individus ont une difficulté d'identité sexuelle qui les conduit à se sentir appartenir momentanément à un sexe. Il est important qu'un juge intervienne pour s'assurer de la liberté et de la pleine conscience de la personne qui demande le changement d'état civil.

La proposition d'effectuer une simple déclaration, qui est apparue dans le débat et existe dans certains pays, est très risquée. Elle peut conduire certains à des cheminements extrêmement douloureux, qu'il est dangereux d'effectuer sans accompagnement. Que cela ne soit pas automatique permet au juge de s'assurer de la liberté du consentement et de vérifier que cette appartenance sexuelle correspond à une réalité, et non pas uniquement à des difficultés psychologiques temporaires.

Ce texte m'inquiète un peu. Qu'est-ce qu'une « réunion suffisante de faits » ? J'ai cru comprendre que l'Assemblée avait voulu éviter une divergence de la jurisprudence. Je ne suis pas sûre que cette formulation y aide... Se présenter publiquement comme appartenant au sexe revendiqué, être connu sous un sexe, en avoir l'apparence physique : tout cela est éminemment subjectif et ouvre la porte à une diversité d'interprétations. C'est pourquoi l'avis médical me paraît indispensable. Quand un transsexuel entre dans un processus de changement, il a affaire au monde médical, qui compte des spécialistes de la question.

Les juridictions françaises procèdent de plus en plus au contrôle de proportionnalité, comme nous y invite la CEDH. Qu'est-ce que l'intérêt ? Faut-il ne tenir compte que de celui de la personne qui se présente devant nous ? Ou se préoccuper aussi de l'intérêt général ? Certaines personnes peuvent être contraintes de changer de sexe pour de mauvaises raisons...

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