Intervention de Daniel Gremillet

Commission des affaires économiques — Réunion du 21 juin 2016 à 15h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique — Examen du rapport pour avis et des articles délégués au fond

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet, rapporteur pour avis :

Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui à l'origine comportait 58 articles, en compte désormais 172 depuis son adoption à l'Assemblée nationale. Il a été renvoyé pour son examen au fond à la commission des lois.

Sa version initiale justifiait la saisine de notre commission sur moins d'une dizaine d'articles, qui concernaient la question agricole et la question des petites et moyennes entreprises, notamment l'artisanat. Mais après « l'enrichissement » du texte par l'Assemblée, notre saisine a dû s'étendre à 39 articles, dont 34 nous ont été délégués au fond : pour ceux-ci, il nous reviendra de donner un avis sur les amendements qui les modifient. Le travail n'a pas été simple car nos premières auditions portaient sur le texte initial, qui n'a plus grand-chose à voir avec celui qui nous arrive de l'Assemblée.

Le projet de loi initial ne présentait déjà guère d'unité, puisqu'il associait à un volet « transparence - lutte contre la corruption » un volet « modernisation économique ». Depuis le vote des députés, ce texte a vu le nombre de ses domaines d'intervention s'étoffer, ainsi que les nôtres.

Compte tenu de l'absence de lien entre les différentes dispositions à caractère économique dont nous sommes saisis, il n'est guère possible de donner un fil directeur à ce texte : il s'agit simplement d'un de ces textes portant diverses dispositions que nous connaissons bien et qui prennent tantôt le nom de loi de simplification tantôt celui de loi de modernisation, sans autre idée que d'agir ponctuellement sur différents leviers, sans véritable stratégie.

Le volet agricole et le volet relations commerciales ont fait l'objet de nombreuses modifications, tandis que d'autres thèmes, tels que celui de la consommation, s'y sont amalgamés. Cela est d'autant plus critiquable que nos délais sont très restreints. L'Assemblée n'ayant achevé la discussion que le 9 juin - avec un vote solennel le 14 juin - et le texte devant être examiné par notre commission avant la réunion de la commission des lois demain matin, je n'ai eu qu'un temps très limité pour procéder aux nombreuses auditions nécessaires et j'ai dû le faire sur un texte mouvant. Sur certains thèmes - en particulier celui de l'artisanat - les positions au début des auditions et à la fin ont été diamétralement opposées.

Sur le fond, les dispositions que nous examinons concernent cinq sujets.

Il s'agit, d'abord, de la question de la protection du foncier agricole. Les députés ont ajouté ce volet suite à l'affaire de l'acquisition dans le Berry de 1 700 hectares de terres par des investisseurs chinois, qui ont eu recours à un montage sociétaire pour échapper au regard et surtout au droit de préemption des Safer. Le dispositif retenu par l'Assemblée nationale prévoit d'obliger quiconque apporte du foncier agricole lors de la constitution d'une société à identifier dans les parts sociales ou actions de la société ce qui correspond à cet apport. Ainsi, l'intervention de la Safer sera préservée. Ce montage est astucieux mais suscite quelques réserves. Je reste partagé : certes, il y a urgence à agir pour lutter contre la spéculation sur le foncier agricole, qui joue contre les agriculteurs. En même temps, un tel sujet ne peut être traité à la légère, par des amendements rédigés sans réelle concertation.

Le second sujet traite des relations commerciales au sens large, mais principalement sous le prisme des produits agricoles. Les députés ont multiplié les dispositions, pour renforcer la transparence dans les négociations commerciales agricoles ; ils ont repris notamment une disposition que nous avions votée au Sénat lors de l'examen du texte en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire : un article a été inséré pour que les formules de prix des contrats agricoles, en particulier des contrats laitiers, prennent en compte des indicateurs publics de coûts de production en agriculture et des indicateurs de prix de marché. Les députés ont voulu également renforcer le poids des organisations de producteurs en donnant à l'accord-cadre un rôle pivot dans les négociations entre producteurs et acheteurs. Je vous proposerai quelques amendements pour parfaire ces deux dispositifs.

Les députés ont encore adopté un article que nous avions nous-même voté lors de la discussion de la proposition de loi Lenoir permettant l'expérimentation de l'indication d'origine pour le lait et la viande dans les produits transformés - ce qui est une bonne chose.

Les députés ont innové en tentant d'établir des ponts entre les contrats relevant de la loi de modernisation de l'économie (LME) entre industriels et grande distribution et les contrats issus de la loi de modernisation de l'agriculture (LMA) entre agriculteurs et industriels, en particulier en imposant l'indication d'un prix prévisionnel moyen proposé par le vendeur de produits alimentaires au producteur de produits agricoles. Je m'interroge sur l'applicabilité d'un tel dispositif. Ce mécanisme risque de donner de faux espoirs aux agriculteurs et d'amplifier, à terme, les baisses de prix imposées par la grande distribution. Je ne vous propose pas de supprimer cet article, mais nous devons chercher à améliorer le dispositif d'ici la séance.

Les députés ont souhaité lutter contre les pratiques abusives dans les relations commerciales, en consacrant de nouvelles pratiques restrictives de concurrence, comme le fait de prévoir des pénalités pour retard en cas de force majeure ou de réclamer une rémunération au titre de prestations assurées par des centrales de distributeurs au niveau européen ou international non proportionnées à ces services. Ils ont plafonné à 30 % du prix les avantages apportés du fait de l'utilisation des « nouveaux instruments promotionnels » sur le lait ou les produits agricoles. Ils ont aussi renforcé les sanctions applicables, notamment en rehaussant le quantum des amendes administratives et en prévoyant que le juge saisi d'une pratique restrictive ordonne systématiquement la publication ou l'affichage de sa décision.

Enfin, le texte de l'Assemblée assouplit le cadre de la négociation commerciale en permettant de recourir à des conventions pluriannuelles entre fournisseurs et distributeurs, ou entre les fournisseurs et les grossistes.

Le volet agricole du texte a été considérablement enrichi et le temps a manqué pour examiner toutes ces dispositions de manière complète. À l'origine, il ne contenait que deux articles : l'article 30 instaurant provisoirement une incessibilité des contrats laitiers, comme nous l'avions demandé dans la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture. Je vous proposerai d'adopter cette disposition sans grande modification. En outre, l'article 31 prévoit un mécanisme complexe obligeant les entreprises de l'agroalimentaire à publier leurs comptes, pour les besoins de l'Observatoire des prix et des marges. Le président de l'Observatoire, que j'ai auditionné, ne semble pas avoir vraiment besoin de cet instrument. Aussi, je vous proposerai comme le demandait Daniel Dubois dans un amendement adopté sur la proposition de loi précitée, de rendre publique la liste des entreprises ne répondant pas ou mal à l'Observatoire. La mauvaise publicité est dissuasive.

Ces deux premiers sujets - le foncier agricole et les relations commerciales - posent de graves questions alors même que l'Assemblée a souvent apporté des réponses très ponctuelles à des situations effectivement problématiques, sans pour autant avoir été précédées d'une étude d'impact ou de faisabilité suffisantes. Je vous proposerai ainsi diverses modifications destinées à éviter que des dispositifs qui partent d'une bonne intention ne se transforment en pièges.

Le troisième sujet - l'accès à l'artisanat - était très conflictuel au début de l'examen du projet de loi. Au prix d'un changement de cap du Gouvernement, un équilibre a été en définitive trouvé, qui semble pour l'essentiel satisfaisant : le principe d'une qualification professionnelle préalable à l'accès à certaines activités artisanales est maintenu, mais la possibilité d'exercer des activités connexes à une activité pour laquelle un artisan est qualifié est ouverte - verrouillée cependant par un décret pris après avis des têtes de réseaux consulaires et des organisations professionnelles représentatives - et le recours à la validation des acquis de l'expérience est renforcé. De plus, le caractère préalable du stage d'installation des artisans est réaffirmé. Je vous proposerai donc de ne pas revenir sur les orientations retenues par les députés en la matière, sauf sur des questions connexes, notamment pour le « droit de suite ».

Les derniers sujets - le droit de la consommation et le droit des PME - ne posent pas de problèmes de fond, sous réserve d'appréciations techniques qui peuvent conduire à en modifier certaines dispositions voire à en proposer la suppression.

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