Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 28 juin 2016 à 15h00
Modalités d'inscription sur les listes électorales — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi et de deux propositions de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, l’an dernier, à peu près à la même époque, nous avons examiné une proposition de loi de nos collègues de l’Assemblée nationale Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann, qui prévoyait la réouverture exceptionnelle des listes électorales au motif de la date tardive – décembre 2015 – des élections régionales. Nous avions alors préféré à cette loi de circonstance, s’ajoutant aux multiples modifications du calendrier électoral antérieures, une simple extension du bénéfice de l’article L. 30 du code électoral aux nouveaux arrivants dans la commune. Nous n’avons pas été suivis par l’Assemblée nationale qui a eu évidemment le dernier mot.

La proposition de loi, ou plutôt les propositions de loi que nous examinons aujourd’hui, là encore déposées par Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann, sont d’une tout autre nature, puisqu’il s’agit d’une réforme pérenne des modalités d’inscription sur les listes électorales, ce que nous appelions de nos vœux. D’une réforme générale, puisqu’elle concerne aussi les Français établis hors de France, les ressortissants de l’Union européenne qui votent pour les élections municipales ou européennes, et même la Nouvelle-Calédonie, même si, compte tenu du contexte, il a été jugé prudent d’y conserver le système actuel de révision des listes électorales.

Les défauts de la procédure actuelle sont connus : l’écart entre les listes communales et le fichier général des électeurs de l’INSEE dépasse souvent 10 %, et parfois atteint même 30 %, ce qui est considérable. Certes, il existe des doubles inscriptions ; on hésite d’autant plus à rayer un électeur que son maintien sur la liste n’a aucune influence sur le résultat final. Mais les erreurs d’état civil et d’adressage sont aussi nombreuses.

Surtout, les modalités d’inscription sur les listes électorales ne sont plus adaptées à une société aussi mobile que la nôtre. L’inscription étant annuelle jusqu’au 31 décembre malgré l’article L. 30 du code électoral, un écart notable peut apparaître entre les inscrits et ceux qui auraient pu le faire, n’était le calendrier.

Autre source de problème et de contestation, comme on l’a constaté lors des deux dernières élections présidentielles, la possibilité pour les Français établis hors de France de s’inscrire à la fois sur une liste communale et sur une liste consulaire.

Partageant le diagnostic des auteurs de la proposition de loi, je suis aussi d’accord avec eux sur la philosophie générale de leur texte et sur l’essentiel des remèdes proposés. Les seules divergences – j’y reviendrai – portent sur les modalités d’application du dispositif.

Je vous propose d’adopter trois dispositions essentielles.

La première est la création d’un répertoire électoral unique, tenu par l’INSEE, dont les listes électorales communales et consulaires ne seraient qu’une extraction.

La deuxième est l’inscription sur les listes électorales, par le maire au lieu de la commission que l’on connaît – M. le ministre l’a rappelé –, en continu toute l’année et jusqu’à trente jours avant le scrutin le plus proche.

La troisième est la suppression de la possibilité de double inscription pour les Français établis hors de France.

Au vu des amendements déposés, des courriers reçus et de nos déplacements sur le terrain, la disposition qui inquiète le plus, c’est le délai de trente jours avant le scrutin, laissé aux communes pour la publication de la liste électorale et l’élaboration des listes d’émargements. Après quelques hésitations, je m’y suis rallié, pour deux raisons essentielles.

D’abord, un délai plus important, deux mois comme cela m’a été proposé et à l’instar de ce qui figure dans certains amendements, ôterait à l’inscription en continu l’essentiel de son intérêt. Pour les élections se déroulant la dernière quinzaine de mars, calendrier jusqu’à ce jour le plus fréquent, la plage d’inscription serait allongée seulement d’une quinzaine de jours, ce qui ne justifierait pas une nouvelle loi !

Ensuite, et surtout, sans méconnaître les difficultés du passage d’un système à l’autre – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je vous proposerai de retarder d’un an la date de la mise en œuvre possible de la réforme –, ce temps d’adaptation passé, la nouvelle organisation devrait au contraire fluidifier le travail des services. Pour peu que les communes fassent l’effort d’inciter systématiquement les nouveaux électeurs potentiels à s’inscrire sur les listes électorales par leurs moyens de communication habituels et, mieux encore, lors des démarches en mairie que les nouveaux arrivés ne manqueront pas d’effectuer. Il devrait en être de même s’agissant de l’INSEE pour les inscrits d’office. Il y aura certes toujours des inscrits de dernière minute, mais à l’usage, l’habitude prise, le flux devrait rester gérable.

Je vous proposerai donc de retarder d’un an la date de mise en œuvre possible de la réforme, je dis bien de « mise en œuvre possible » et non de « mise en œuvre ». La date proposée du 31 décembre 2019 est une date limite qu’un décret en Conseil d’État pourra avancer s’il s’avérait que j’étais pessimiste. Mais j’en doute.

Je crains, en effet, qu’il ne suffise pas de mettre l’INSEE et les communes « sous pression », comme je l’ai entendu, pour résoudre les problèmes réels de la mise en route des réformes.

Le premier problème est la mise en concordance de la liste de l’INSEE et de celles des communes. À la différence d’aujourd’hui où des écarts entre ces listes sont certes fâcheux, mais pas rédhibitoires, quand la liste communale devient une extraction de la liste nationale, ce n’est plus le cas. Quelqu’un qui n’est pas inscrit sur la liste de l’INSEE ne pourra tout simplement pas voter. Scène au bureau de vote garantie ! Selon le témoignage de communes ayant tenté de procéder volontairement à ce toilettage, vu le nombre d’erreurs d’état civil et d’adressage, l’opération est beaucoup plus longue que prévu.

Le deuxième problème est la mise en place par l’INSEE du portail informatique permettant le transfert numérique des données et l’équipement des communes en logiciels compatibles. Quand on sait que moins de 8 % des municipalités dont la population est inférieure à 2 000 habitants envoient leurs documents à l’INSEE sous format électronique, on a tout de même un peu de souci à se faire.

Le troisième problème est la formation de 40 000 agents, ce qui ne se fera pas non plus d’un claquement de doigts.

Tout cela, c'est sans compter le problème principal, que je passe, qui est d’obtenir une qualité suffisante des liaisons internet sur l’ensemble du territoire ! Je le rappelle seulement pour mémoire car, depuis qu’on en parle, le problème finira bien un jour par être résolu !

La deuxième adaptation proposée par notre commission, c’est une profonde modification de la composition et du rôle de la commission prévue par la proposition de loi. Au risque d’être trivial, je qualifierai volontiers le dispositif initialement envisagé de véritable « usine à claques ». Je m’explique.

Non seulement le maire, qui seul inscrit et radie et donc engage sa responsabilité, y compris pénale, si son comportement est jugé frauduleux, n’est pas représenté – même à titre consultatif – dans cette commission communale de contrôle, commission composée dans certains cas uniquement d’un représentant de chaque liste élue au conseil, mais cette commission qui se réunit trente jours avant le scrutin peut contester ses décisions devant le tribunal d’instance.

Imaginez l’ambiance en pleine période électorale si l’opposition majoritaire dans la commission de contrôle – ce sera le cas dans les communes où trois listes sont représentées au conseil municipal – invoquant des irrégularités dans la composition de la liste électorale juge bon d’agrémenter sa campagne d’une saisine du tribunal ! Je ne sais pas si ceux qui s’acharnent à maintenir le système qui est proposé ont bien mesuré à quoi on va aboutir !

Les modifications proposées rétablissent l’équilibre politique au sein des commissions, maintiennent la présence d’au moins un représentant du tribunal de grande instance ou du préfet et permettront au maire de s’expliquer devant ces commissions. Seul l’électeur mécontent pourra saisir le tribunal d’instance selon les modalités initialement prévues, mais plus la commission.

En revanche, celle-ci interviendrait en amont, dans le cadre d’un recours gracieux préalable obligatoire. L’avantage serait double : d’une part, limiter le nombre de recours contentieux, la plupart des litiges renvoyant à une incompréhension du code électoral du demandeur ou à une insuffisance des preuves qu’il peut fournir ; d’autre part, éviter que le maire ne soit inquiété pour une erreur involontaire – certains amendements s’en sont fait l’écho.

Troisième disposition sur laquelle je vous propose de revenir : la réduction de cinq à deux années consécutives de la durée d’inscription au rôle des contributions directes communales exigée pour pouvoir voter en l’absence de résidence dans la commune. Le sens de cette facilité offerte à l’électeur est de lui permettre de manifester son attachement à sa « commune de cœur », pour reprendre l’expression de l’un de nos collègues de la commission des lois, alors même que les circonstances ne lui permettent plus d’y vivre. Cinq ans me semblent une bonne mesure de la constance de cet attachement.

Je vous fais grâce, mes chers collègues, des dispositions de portée plus limitée contenues dans cette proposition, car nous aurons l’occasion de les évoquer lors de la discussion des amendements.

En conclusion, je vous propose d’adopter cette proposition de loi, amendée dans un sens qui devrait en faciliter la mise en œuvre, tout particulièrement – c’est un amendement que j’ai déposé – l’engagement que la réforme ne se fera pas aux frais des communes, mais on m’a assuré que ça ne coûterait strictement rien.

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