Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’année 2011 a vu l’aboutissement d’un combat mené depuis une cinquantaine d’années : Mayotte est devenue, tout à la fois, un département et une région au sens de l’article 73 de la Constitution. Ce statut de première collectivité aux compétences unifiées fonde la spécificité de l’île dans le paysage ultramarin.
Pour devenir département, Mayotte a connu et accepté, au cours des quinze dernières années, des évolutions nécessaires, mais profondes. Elles sont parfois apparues comme un lourd sacrifice ou un abandon brutal de certaines particularités.
Ainsi, le statut civil de droit local a dû évoluer, afin d’être mis en conformité avec les droits et libertés garantis par notre Constitution. Les missions traditionnelles des cadis, piliers majeurs de la société mahoraise depuis le XIVe siècle, ont été progressivement supprimées.
Le droit commun est désormais appliqué à Mayotte, notamment en matière d’organisation judiciaire et d’état civil. S’y sont ajoutés la mise en place de la fiscalité de droit commun, depuis le 1er janvier 2014, et l’accès récent de Mayotte au statut européen de région ultrapériphérique.
À la suite de cette évolution sociale et institutionnelle profonde, la jeune collectivité a dû – et doit toujours – faire face à des défis de taille.
La forte croissance démographique a conduit à une multiplication par huit de sa population en cinquante ans.
Le système scolaire doit être réformé, pour tenir compte tout à la fois de la forte progression des effectifs, du manque d’infrastructures, de résultats scolaires défaillants et de réelles difficultés pour pourvoir l’ensemble des postes d’enseignant.
Quant aux collectivités mahoraises, elles présentent une situation budgétaire préoccupante, qui n’est pas sans incidences sur l’économie. La Cour des comptes l’a d’ailleurs souligné dans un rapport de janvier 2016 consacré à la départementalisation de Mayotte.
Enfin, la problématique de l’immigration illégale persiste et empire, comme les événements tragiques des derniers mois ont pu le démontrer, entraînant une très vive exaspération des Mahorais.
Pour être pleinement efficace, l’action des pouvoirs publics locaux doit être adaptée aux préoccupations et aux aspirations de la population, ainsi qu’aux spécificités ultramarines.
Mais, pour relever le pari de la croissance, Mayotte a surtout besoin de s’inscrire dans des politiques de développement cohérentes dans la durée.
Administrer de manière adaptée ne peut se faire sans une majorité stable. Les politiques publiques nécessitent, pour être efficaces et effectives, une certaine continuité. Mayotte souffre, en la matière, de plusieurs maux : les majorités sont bien souvent insuffisantes pour parvenir à mettre en œuvre des réformes de structure, les élus sont renouvelés à un rythme trop rapide pour avoir le temps de mener à bien leurs projets, les partis doivent davantage se structurer et adopter une ligne politique claire.
L’urgence à trouver une solution d’équilibre est à la mesure des défis socio-économiques à relever.
Le mode de scrutin pour l’élection des conseillers à l’assemblée de Mayotte doit permettre d’assurer cette stabilité. C’est un sujet sensible s’il en fut, puisqu’il a trait de manière directe à l’exercice de la démocratie.
C’est à ce prix que l’on pourra améliorer la gouvernance territoriale et l’efficacité des politiques publiques. C’est aussi la raison pour laquelle il convient d’assurer une représentation suffisante des territoires. Un délicat travail de refonte des frontières électives a été opéré par le décret du 13 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département, ramenant leur nombre de dix-neuf à treize.
Afin de parachever ce nouveau découpage, il importe que chaque canton dispose d’un même nombre de représentants, d’une même capacité à faire valoir ses idées. La richesse des territoires ne pourra qu’enrichir le débat démocratique.
Stabilité des majorités, simplicité et lisibilité du vote, représentation des territoires, pluralisme des partis : tels sont les enjeux de la réforme du mode de scrutin que la présente proposition de loi vise à introduire.
La collectivité unique de Mayotte exerçant tout à la fois les attributions d’un département et celles d’une région, il apparaît cohérent de s’inspirer du mode de scrutin applicable aux élections régionales. Celui-ci a d’ailleurs démontré sa pertinence en métropole.
Il est donc proposé d’instaurer un scrutin proportionnel de liste à deux tours. La représentation des différents courants politiques sera assurée et les risques de blocage institutionnel neutralisés par la fixation d’un seuil de maintien au second tour de 5 % des suffrages exprimés et l’attribution d’une prime majoritaire de 33 % pour tenir compte de la faiblesse des majorités issues des élections récentes.
De manière à garantir une certaine proximité des élus avec les citoyens, la circonscription unique de Mayotte sera divisée en autant de sections qu’il y a de cantons. Un même nombre de sièges sera attribué à chaque section. Les sièges acquis par chacune des listes seront ensuite répartis au prorata des voix obtenues par section.
Je ne peux que me réjouir des améliorations apportées au texte par le rapporteur de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, et par le Gouvernement, lequel relève de vingt-six à trente-neuf le nombre d’élus de la future « assemblée de Mayotte », qui se substituerait au conseil départemental à compter de mars 2021, et répond ainsi à la proposition de résolution, que j’avais déposée et qui accompagnait initialement ce texte.
Compte tenu des défis auxquels – nous venons de le voir – Mayotte est confrontée et de la concentration des compétences sur les élus d’une collectivité unique, il convient d’aligner le nombre d’élus mahorais sur celui des représentants des collectivités comparables.
Je ne vous cache pas que, localement, nous avons consisté quelque agitation à l’approche de l’examen de ce texte et qu’un groupe d’élus a écrit à Mme la ministre des outre-mer, dont je souhaiterais connaître l’avis sur cette missive.
Par ailleurs, par délibération en date du 28 juin dernier, le conseil départemental a adopté une motion par laquelle il soumet au Gouvernement un certain nombre de points.
Tout d’abord, il demande au Gouvernement de prendre acte de l’évolution institutionnelle de Mayotte en procédant aux nettoyages législatifs nécessaires pour tendre vers une collectivité territoriale unique régie par l’article 73 de la Constitution, à l’instar de la Guyane.
Cela a déjà été fait par les lois sur la départementalisation. Le document stratégique « Mayotte 2025 » l’a confirmé et le présent texte continue ce processus d’adaptation et de nettoyage.
Le conseil départemental demande ensuite de faire coïncider la date du prochain renouvellement des conseillers territoriaux avec celle du scrutin pour les élections régionales. Un amendement adopté en commission des lois, sur l’initiative du rapporteur, va dans ce sens. Cette demande est donc déjà satisfaite au travers de la proposition de loi.
Le conseil départemental demande, enfin, de porter à cinquante et un le nombre de conseillers territoriaux lors du prochain renouvellement. Je ne suis pas contre, mais une telle initiative ne peut émaner d’un parlementaire, car elle serait irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
En tout état de cause, il faut préciser que ce chiffre correspond au nombre d’élus de la Guyane, dont la superficie est plus de deux cents fois supérieure à celle de Mayotte… Si la Guyane a aujourd’hui un nombre d’élus supérieur à celui de Mayotte, c’est aussi pour tenir compte de cette réalité.
Par ailleurs, il est proposé de doubler en moins de trois ans le nombre d’élus de Mayotte. En effet, avant les élections départementales de 2015, nous comptions dix-neuf conseillers généraux. Avec la réforme des départements intervenue l’année dernière, nous sommes passés à vingt-six et, au travers du présent texte, il est proposé de passer à trente-neuf conseillers : ce n’est déjà pas mal, il me semble ! Encore une fois, si ce nombre devait être encore augmenté, je serais le premier à y être favorable, mais une telle initiative ne peut venir d’un parlementaire.
Vous en conviendrez, mes chers collègues, la présente proposition de loi ne va en aucune façon à l’encontre de cette motion du conseil départemental.
Ce texte reprend des revendications anciennes et légitimes maintes fois rappelées, par exemple dans une motion adoptée à l’unanimité des membres du conseil général de Mayotte le 12 juin 2014 ou dans le document stratégique « Mayotte 2025 », signé par le Premier ministre en 2015. Je sais, madame la ministre, que vous vous êtes fortement impliquée dans l’élaboration de ce document.
En outre, le consensus qui s’est établi sur ce mode de scrutin ne saurait épuiser le débat institutionnel engagé dans cette île.
De plus, l’adoption de cette proposition de loi n’est en aucun cas incompatible avec la poursuite des discussions à l’échelon local, d’autant que cette réforme n’entrera en vigueur qu’à compter du prochain renouvellement général, en mars 2021.
Enfin, comme M. le rapporteur l’a rappelé, la navette parlementaire offrira, le cas échéant, l’occasion d’approfondir et de suivre les évolutions de la réflexion menée localement.
Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi, pour que Mayotte puisse faire un très grand bond en avant !