Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les défis que doit relever Mayotte sont nombreux. Dès lors, on ne peut faire l’économie d’un renforcement de la démocratie représentative. Vous l’aurez compris, exprimer en huit minutes une position sur la modification du mode de scrutin pour l’élection du conseil général de Mayotte tient de la gageure, tant ce territoire est riche d’atouts, mais aussi sujet à des préoccupations aussi vastes que celles d’un pays tout entier.
Nous arrivons aujourd’hui au terme d’un travail mené depuis plus de deux ans par notre collègue Mohamed Soilihi, dont je salue également le fort engagement au sein de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Il y a largement œuvré pour régulariser le régime d’occupation foncière, notamment à Mayotte, où les occupations foncières sans titres restent préoccupantes.
Comme vous le savez, mes chers collègues, rien n’arrête le flot permanent du changement qui affecte l’ensemble de nos territoires. Les spasmes politiques qui entourent notre débat d’aujourd’hui sont aussi regrettables que symptomatiques des évolutions qui affectent Mayotte.
À cet égard, le texte qui nous est présenté aujourd’hui répond à une motion, votée en juin 2014, demandant qu’une proposition de loi soit rédigée en vue de modifier et de préciser le mode de scrutin pour l’élection au conseil général de Mayotte. Il avait fait l’unanimité lors de son élaboration, ce qui démontrait l’intérêt du Sénat pour cette question.
Toutefois, en dépit du caractère tout à fait sérieux du travail de notre collègue, nous sommes conscients que les équilibres politiques de Mayotte sont fragiles et que l’année électorale à venir sera particulièrement riche. Ce contexte de forte instabilité instille une certaine tension sur le plan local.
Ainsi, deux députés et un sénateur vous ont adressé le 22 juin, madame la ministre, un courrier pour signifier leur opposition à la discussion de ce texte. Le conseil départemental de Mayotte a, quant à lui, présenté une motion dont les ambitions vont parfois plus loin que celles qui sous-tendent la présente proposition de loi.
Sur le fond, une réforme est nécessaire, mais, sur la forme, il est essentiel que l’ensemble des élus se mettent autour d’une table pour se mettre d’accord. Le sénateur Thani Mohamed Soilihi a raison de soutenir la proposition d’augmenter le nombre d’élus. Encore faut-il s’entendre sur le nombre exact et la nature des circonscriptions. En effet, les défis sont immenses et ne pourront être relevés qu’au moyen d’institutions solides et fiables.
Mayotte, territoire français de l’océan Indien situé dans l’archipel des Comores, bénéficie d’atouts géographiques et énergétiques majeurs.
La progression de la population est préoccupante eu égard à la capacité d’accueil de cette île. Il va de soi que l’évolution de ses institutions politiques doit également prendre en compte les attentes et besoins liés à son développement. Les passages illégaux en provenance d’Anjouan entraînent un flux migratoire permanent et des difficultés considérables. La situation est complexe à gérer, les mairies ayant moins de moyens que les nôtres et devant faire face à une situation sociale extrêmement tendue. Je rappelle que, avec un taux de chômage de 37 %, Mayotte détient un triste record.
Pour autant, cette situation affecte l’ensemble des politiques publiques. Le système éducatif doit absorber une population dont la moitié a moins de 17 ans et dont le niveau scolaire est généralement faible. Au cœur de ce défi se loge celui, spécifique, d’une enfance en danger et dont la charge incombe au département, pour lequel c’est une compétence obligatoire. On le voit, la charge est lourde !
Sur le plan environnemental, le lagon de Mayotte est un sanctuaire corallien en danger, affecté par une pollution marine croissante. Au lendemain de la COP 21, nous avons le devoir d’agir.
Sur le plan financier, les enjeux sont également d’envergure. Des retards importants ont été pris, notamment pour passer à une fiscalité de droit commun. La maîtrise de la fiscalité directe demeure en effet insuffisante. En outre, la collectivité, qui est, depuis 2014, une région ultrapériphérique, peut bénéficier à ce titre de fonds européens qui pourraient l’aider à rattraper son retard en équipements de base.
Pour ce faire, Mayotte a besoin d’une gouvernance solide et démocratique qui puisse prendre des décisions pragmatiques.
Il reste en effet énormément à réaliser sur le plan local en matière de développement. Il y a deux ans, m’étant rendu à Mayotte, j’ai été stupéfait d’y voir des hommes qui pêchaient dans des pirogues de manière artisanale et très peu de bateaux aptes à la pratique d’une pêche professionnelle. Des projets existent, mais quel dommage de voir à quel point le port de pêche et l’aquaculture manquent de moyens ! La réparation navale n’est pas mieux lotie. Au même moment, l’Europe aide des territoires voisins à s’équiper, à former leur population, à développer leurs industries de pêche.
Au-delà de cet exemple, il est clair que notre responsabilité est engagée. En mai 2015, j’ai décidé d’engager une coopération technique entre ma ville et celle de Sada. En effet, la mise en œuvre de la décentralisation est encore récente, puisqu’elle remonte à 2004, et les mairies ont une existence propre de moins de cinquante ans. Elles ont vraiment besoin d’être soutenues !
II va de soi que le conseil général va avoir à arbitrer des choix politiques pour assumer les futures évolutions. Le renforcer est une bonne chose.
En 2011, des bouleversements sociaux majeurs avaient accompagné la réforme des institutions. La profonde mutation du droit coutumier, la fin des missions traditionnelles des cadis ou encore la création d’un état civil s’ajoutent à la mise en place de la fiscalité de droit commun, depuis le 1er janvier 2014.
La contestation populaire a pointé les difficultés de « la vie chère » dont nous avons pu débattre ici. La collectivité et l’État doivent ainsi engager des actions prioritaires, en matière d’aménagement, d’assainissement, de protection de l’enfance et de soutien au développement. Là encore, la tâche est lourde !
Pour être pleinement efficace, l’action des pouvoirs publics locaux doit être adaptée aux préoccupations mahoraises, aux aspirations de la population et aux spécificités ultramarines. La collectivité unique de Mayotte exerçant tout à la fois les attributions d’un département et celles d’une région, il apparaît cohérent de s’inspirer du mode de scrutin applicable aux élections régionales, qui a démontré sa pertinence en métropole.
Pour gagner le pari de la croissance, Mayotte a besoin de légiférer avec une majorité stable. L’efficacité des politiques publiques exige de la continuité. Un renouvellement trop fréquent des élus freine les réformes structurelles, qui nécessitent du temps pour porter leurs fruits. Le texte proposé par notre collègue est à la mesure des défis socio-économiques à relever.
Connaissant les réalités de Mayotte pour y avoir été confronté sur place, je pense que ce texte répond au besoin de stabilité, d’une majorité forte au sein du conseil général de Mayotte.
Pour ma part, je soutiendrai sur cette proposition de loi, de même que certains de mes collègues du groupe UDI-UC. La grande majorité des membres du groupe estime, quant à elle, que le moment n’est pas opportun. Toutefois, je ne doute pas, madame la ministre, mes chers collègues, que l’heure opportune viendra !