Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 6 juillet 2016 à 14h30
Garanties statutaires obligations déontologiques et recrutement des magistrats – conseil supérieur de la magistrature — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 22 juin dernier s’est conclue par un accord qui nous permet de nous retrouver aujourd’hui pour examiner et, j’en suis certain, approuver le texte élaboré par les représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Le projet de loi organique, qui s’inscrit dans la réforme dite « J21 » pour une justice plus proche, plus efficace et plus protectrice, permettra, à n’en point douter, non seulement de renforcer l’indépendance de la magistrature, mais également de l’ouvrir davantage sur la société.

Le Sénat a beaucoup modifié ce texte. Ses avancées ont été conservées et parfois amplifiées par l’Assemblée nationale. En définitive, députés et sénateurs sont parvenus à un accord sur ce texte important, dont l’objectif majeur est de définir ce que doit être la magistrature du XXIe siècle.

À l’intitulé initial du texte, tel qu’il avait été déposé au Sénat – « projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société » –, il a été préféré, au vu des modifications retenues, l’intitulé suivant : « projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature ».

En tout état de cause, ce projet de loi organique comporte des avancées indiscutables et répond à un certain nombre d’attentes et de demandes émanant des magistrats eux-mêmes. Il tend notamment à renforcer l’indépendance des magistrats de l’Inspection générale des services judiciaires, en prévoyant expressément que ces magistrats font partie intégrante du corps judiciaire. Il crée également de nouvelles fonctions hors hiérarchie, telles que premier président de chambre et premier avocat général dans les cours d’appel, pour favoriser les perspectives de carrière des magistrats.

En outre, le projet de loi organique vise à améliorer la formation des magistrats de l’ordre judiciaire, en chargeant l’École nationale de la magistrature de cette mission, et à faciliter leur recrutement par l’élargissement des conditions d’accès direct et la réduction de la durée de la scolarité pour les docteurs en droit justifiant de trois années au moins d’exercice professionnel en qualité de juriste assistant.

Ce texte prévoit également de modifier les conditions de nomination des magistrats en améliorant leur indépendance et leur processus de nomination. Ainsi, les procureurs généraux ne seront plus nommés en conseil des ministres, mais par décret simple du Président de la République.

Le projet de loi organique permet – pour l’élu ultramarin que je suis, c’est d’une importance capitale – aux magistrats directement intégrés, nommés dans une juridiction d’outre-mer et effectuant leur stage préalable en métropole, de prêter serment devant la cour d’appel de leur lieu de résidence, et non plus devant la cour d’appel de leur affectation.

Il repense également les exigences statutaires de mobilité en faisant passer le délai d’élévation sur place au premier grade de cinq à sept ans, favorisant ainsi un égal accès des hommes et des femmes aux postes les plus importants de la hiérarchie judiciaire.

Il fait du juge des libertés et de la détention un magistrat spécialisé – cela a été souligné, mais il est important d’y insister –, de sorte que seul un magistrat d’expérience, magistrat du premier grade ou hors hiérarchie, pourra exercer ces fonctions.

Ce texte vise aussi à renforcer non seulement les droits des magistrats en consacrant la liberté syndicale, mais également leurs obligations en instaurant un entretien déontologique pour tous les magistrats du siège et du parquet ayant une activité juridictionnelle, lors de leur installation dans de nouvelles fonctions, ainsi qu’une obligation de déclaration d’intérêts et de situation patrimoniale.

De plus, il renforce les garanties d’impartialité des membres du Conseil supérieur de la magistrature en consolidant la procédure de sanction des manquements aux obligations déontologiques et en introduisant une obligation de déclaration d’intérêts et de situation patrimoniale pour l’ensemble de ses membres. Je voudrais néanmoins insister, à la suite de Cécile Cukierman, sur le fait que cette mesure ne doit pas faire perdre de vue le projet de réforme constitutionnelle, dont le parcours législatif a été longuement retardé. Il est pourtant indispensable d’inscrire, enfin et définitivement, dans le marbre de la Constitution les principes de la nomination des membres du parquet après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature et de l’alignement du régime disciplinaire.

Pour conclure, je dirai que les dispositions contenues dans le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature permettront de renforcer l’indépendance de la justice et rappellent, quoi qu’il en soit, la confiance de l’État dans ses magistrats. Au demeurant, le rapport commandé dès 2014 par Christiane Taubira, et qui vous a été remis le 28 juin dernier, monsieur le garde des sceaux, afin de trouver les moyens d’améliorer la prise en charge des magistrats victimes de menaces et de tentatives de déstabilisation en témoigne.

J’aimerais vous faire part à titre personnel – et sans doute par déformation professionnelle – de mon malaise face à certaines dispositions contenues dans ce rapport, faisant état de la « montée en puissance de tentatives de déstabilisation émanant de la défense » et de l’adoption par les avocats d’« une défense beaucoup plus agressive avec l’institution judiciaire, dans un but évident de perturber le cours normal de la justice ». La profession s’est d’ailleurs émue de ce constat dans une délibération du Conseil national des barreaux des 1er et 2 juillet 2016.

S’il ne fait aucun doute que certaines dérives existent et doivent être poursuivies et punies en trouvant la réponse adéquate dans notre arsenal législatif, il ne faudrait pas, en définitive, que les conclusions de ce rapport placent la profession d’avocat dans le viseur de la suspicion. Ne perdons pas de vue que le rôle d’un avocat est indéniable dans la bonne marche de la justice et la défense des libertés et que sa liberté d’action et d’expression, consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme, doit être conservée. Je sais, monsieur le garde des sceaux, que vous veillez et continuerez à veiller scrupuleusement à cet équilibre pour la défense d’une justice apaisée. Albert Camus disait à juste titre : « Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. »

Cette parenthèse refermée, j’indique que les membres du groupe socialiste voteront en faveur de ce texte.

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