Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 6 juillet 2016 à 14h30
Garanties statutaires obligations déontologiques et recrutement des magistrats – conseil supérieur de la magistrature — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, tel qu’il a été élaboré par la commission mixte paritaire.

Permettez-moi d’exprimer un regret, celui que la commission mixte paritaire sur le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, d’abord examiné conjointement avec le texte qui nous est soumis aujourd’hui, n’ait pu aboutir. Ce texte contenait également des mesures d’importance pour nos concitoyens. Je pense notamment aux droits des personnes transsexuelles, qui devront encore patienter avant de voir leurs droits fondamentaux respectés. Les droits des transsexuels sont une urgence, et le consensus devrait être trouvé au plus vite afin qu’ils ne soient plus victimes de discriminations et de violences.

Cela étant, le texte que nous examinons aujourd’hui est également tout à fait important et constitue – oserais-je le dire ? Une fois n’est pas coutume… – la concrétisation d’un engagement du Président Hollande, celui de renforcer l’indépendance de la justice.

Parmi les principales mesures, on compte le fait que les procureurs généraux ne seront plus nommés en conseil des ministres. De leur côté, les magistrats exerçant les fonctions de juge des libertés et de la détention seront désormais nommés par décret du Président de la République, sur proposition du garde des sceaux et après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Le juge des libertés et de la détention est, par essence, le juge protecteur des libertés individuelles. Alors que nous vivons maintenant depuis plus de six mois sous le régime de l’état d’urgence, garantir son indépendance et renforcer sa fonction est tout à fait essentiel.

Le projet de loi organique organise également la prévention des conflits d’intérêts des magistrats en prévoyant un entretien déontologique ainsi que, pour les plus hauts magistrats, une déclaration de patrimoine. Il consacre, par ailleurs, le principe de la liberté syndicale des magistrats et modernise les modalités d’évaluation afin de renforcer la pertinence des décisions de nomination et de promotion.

Enfin, il modifie les modalités de recrutement des magistrats par voie de concours, en facilitant ainsi l’intégration directe et en permettant aux juges de proximité, dont la fonction est supprimée, de continuer à œuvrer au sein des tribunaux en qualité de magistrats exerçant à titre temporaire.

Ces mesures, le groupe écologiste les soutient depuis longtemps, comme nous avons soutenu la loi du 25 juillet 2013, qui interdit au ministre de la justice d’adresser aux magistrats du ministère public des instructions dans les affaires individuelles, ou encore le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, adopté par le Sénat dès juillet 2013. Permettez-moi d’avoir ici une pensée pour Christiane Taubira, qui a porté ces textes avec la conviction et la ténacité que nous lui connaissons.

Toutefois, on ne peut parler d’indépendance de la justice sans évoquer les moyens qui lui sont alloués. Pour reprendre les mots du regretté Guy Carcassonne : « Garantir l’indépendance, c’est aussi assurer à ses titulaires les moyens d’exercer leurs fonctions. Cela vise les moyens personnels du juge, auquel son traitement doit permettre de vivre décemment et d’être mis à l’abri de la tentation. Mais cela vise aussi les moyens de la juridiction elle-même, à laquelle le pouvoir politique ne doit pas pouvoir couper les vivres. » Or personne ne peut plus en douter : la justice de notre pays est exsangue. Elle est selon vos propres termes, monsieur le garde des sceaux, en « état d’urgence ».

Le texte que nous examinons aujourd’hui est nécessaire, et le groupe écologiste lui apportera tout son soutien. Mais nous serons vigilants, à quelques jours des derniers arbitrages relatifs au budget pour 2017, aux sommes effectivement allouées à la justice de notre pays. Elles doivent être importantes et ne pas concerner uniquement le pénal. Notre justice devrait avoir, enfin, les moyens de son indépendance !

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