Intervention de Nicole Bonnefoy

Réunion du 11 juillet 2016 à 16h00
Reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Nicole BonnefoyNicole Bonnefoy :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, avec cette nouvelle lecture, nous arrivons au terme de l’examen au Sénat du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Malgré un long travail de maturation – le parcours législatif de ce texte a débuté au printemps 2014 à l’Assemblée nationale –, nous ne sommes pas parvenus à déboucher sur un texte de consensus entre les deux assemblées, hélas.

Il est pourtant possible de trouver de nombreux motifs de satisfaction dans ce projet de loi, aujourd’hui sur le point d’être définitivement adopté, qui a été enrichi de nombreuses dispositions judicieuses au cours de la navette parlementaire.

Nous savons tous que, quarante ans après la loi de 1976, relative à la protection de la nature, il était indispensable de rafraîchir le corpus juridique du droit de l’environnement. En effet, ni l’environnement ni la biodiversité ne sont des notions à la mode : il s’agit bien de réalités, que nous devons prendre en compte de manière pérenne pour nous et notre présent, pour nos enfants et leur avenir, ainsi que pour les générations futures. Un cours d’eau qui est pollué l’est en effet souvent de manière irréversible ; une terre artificialisée ne retrouve plus son état naturel ; une espèce disparue ne réapparaîtra plus.

Cette destruction est déjà allée trop loin : la communauté scientifique évoque une sixième extinction de masse et estime que la moitié des espèces vivantes connues pourrait avoir disparu dans un siècle. En trente ans, quelque 420 millions d’oiseaux ont déjà disparu ; pratiquement chaque année, depuis le début des années 2000, un nouveau record de températures sur l’ensemble du globe est franchi.

Non seulement notre modèle de développement économique et industriel détruit chaque jour davantage notre planète, de manière irréversible, mais il nous coûte de surcroît très cher. Lorsqu’une activité est envisagée du point de vue économique, la norme est de ne considérer que les coûts directs supportés par les entrepreneurs privés, en comparaison avec les revenus qu’ils en tirent ; les externalités négatives sont quant à elles systématiquement écartées.

C’est pourtant la société qui partage les coûts induits de la pollution de l’eau, de l’air et des sols, des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que des atteintes multiples à la biodiversité causées par l’agriculture intensive, la surexploitation des ressources halieutiques ou forestières ou encore la production d’énergie carbonée. Ces coûts induits vont des travaux de dépollution aux dépenses de santé, en passant par la dégradation consécutive de l’attractivité de nos territoires.

Il faut à cet égard saluer la reconnaissance du préjudice écologique, introduite par le Sénat grâce à un travail conjoint des commissions du développement durable et des lois, en particulier de leurs rapporteurs Jérôme Bignon et Alain Anziani. Le préjudice écologique subi par l’environnement, en tant que bien commun, ne pouvait demeurer absent de notre droit : il fallait consacrer la nécessité de réparer l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement, justifiant ce faisant l’allocation des indemnités propres à réparer ce préjudice.

De même, bien qu’elle ait pu être éclipsée ces derniers mois par d’autres points du texte, l’institution de l’Agence française de la biodiversité, ou AFB, dotera la France d’un outil complet, efficient et facilement identifiable en matière de protection de la biodiversité terrestre et marine, de l’eau et des milieux aquatiques. Ce sera une agence à la hauteur des enjeux et des engagements européens et internationaux de la France.

Le renouvellement des définitions et du vocabulaire de la biodiversité, sur lesquelles s’appuiera l’AFB comme le code de l’environnement, assure l’intégration des connaissances et des évolutions sociétales sur le sujet. Ainsi, on garantira une vision plus dynamique et complète rassemblant l’ensemble des êtres vivants en tant que tels et les capacités d’évolution des écosystèmes.

L’actualisation des principes gouvernant la gestion de la biodiversité permet de préciser le principe d’action préventive par le triptyque « éviter, réduire, compenser » ou « ERC ». Les députés ont mis l’accent sur les fonctions et les services rendus pas la biodiversité et ont par conséquent précisé que cette séquence avait pour objectif l’absence de perte nette, voire l’obtention d’un gain de biodiversité. Ce point fait partie de ceux sur lesquels les divergences entre le Sénat et l’Assemblée nationale ont été vives.

Soutenant sur ce point nos collègues députés, nous jugeons cette précision importante, car elle implique une compensation intégrale de la biodiversité détruite, conformément à l’objectif même du présent projet de loi. Le mécanisme des obligations réelles de compensation écologiques constitue lui aussi un outil nouveau et novateur, qui sera utile pour la reconquête réelle de la biodiversité.

Je salue enfin le travail riche et important qui a été mené sur l’épineuse question des néonicotinoïdes. Quel parcours a été effectué depuis le début de l’examen du texte ! Je me réjouis en tout cas de l’adoption, la semaine dernière, en commission, de l’amendement que nous proposions sur le sujet.

Permettez-moi à cet égard, au vu de l’attention suscitée, d’éclaircir quelque peu la disposition adoptée. Je ne reviendrai pas sur son architecture, que nous connaissons tous maintenant et qui reprend la rédaction qui avait été adoptée ici en deuxième lecture, mais je tenais à aborder deux points spécifiques avec vous.

En premier lieu, si la rédaction retenue par les députés en nouvelle lecture peut paraître à première vue similaire à celle de notre amendement, elle ne l’est clairement pas, tout particulièrement dans sa mise en œuvre. En effet, les députés ont fait le choix d’interdire les néonicotinoïdes au 1er septembre 2018 tout en permettant la mise en place d’une période de dérogation jusqu’au 1er juillet 2020, par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de l’environnement et de la santé, sur la base d’un bilan effectué par l’ANSES. La logique de ce dispositif est donc inverse à la nôtre.

Nous savons tous qu’un tel arrêté ne sera jamais signé par ces trois ministres, qui représentent des secteurs différents et sont par là même soumis à des pressions spécifiques. Nous-mêmes, parlementaires, avons subi lors des différentes lectures de ce texte une pression sociale et sociétale sur la question des néonicotinoïdes, parfois même au détriment du bon sens.

Ce serait donc mentir que d’affirmer que, demain, des ministres de l’agriculture, de la santé ou de l’environnement, qu’ils soient de droite ou de gauche, d’ailleurs, se réuniront pour signer de tels arrêtés. La pression sera trop forte et personne ne prendra cette responsabilité, au risque de se voir intenter des procès d’intention.

De ce fait, les députés ont bien fait le choix d’une interdiction pure de ces produits au 1er septembre 2018. Cela comporte des risques : impasses techniques pour certaines filières, utilisation de produits de substitution plus dangereux et en plus grande quantité, et donc impacts négatifs sur l’environnement et les agriculteurs.

En second lieu, on a entendu l’argument selon lequel il serait impossible légalement de confier à l’ANSES, comme nous le proposons, le pouvoir d’interdire certains usages.

Je tiens à préciser très clairement les choses : cette information est fausse. L’ANSES est tout à fait compétente pour interdire certains usages, conformément au règlement européen en vigueur et à la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 14 octobre 2014. Il semble d’ailleurs tout à fait logique de donner à une agence scientifique, et non pas au pouvoir exécutif, la possibilité d’interdire ou d’autoriser des usages.

Toutefois, si cela peut apaiser certaines craintes, je précise bien que, conformément à la loi d’avenir agricole, l’autorité administrative a toujours le pouvoir d’interdire ou de restreindre l’utilisation des produits phytopharmaceutiques bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché, lorsque l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement est en jeu. Nous ne retirons donc aucun pouvoir au ministre de l’agriculture ; nous précisons seulement qu’il revient à une agence scientifique de prendre des décisions se fondant sur des études scientifiques.

J’espère que cette position, que nous croyons intelligente et pragmatique et que nous avons défendue depuis le début des débats, sera retenue dans le texte que nous adopterons. Il reviendra ensuite aux députés d’assumer les responsabilités qui leur sont conférées par la Constitution.

Considérant avoir pu clairement exprimer ses diverses positions au cours des précédents examens en séance comme en commission, et ayant eu la satisfaction de voir une part significative d’entre elles reprises dans le texte, le groupe socialiste et républicain a finalement décidé de ne pas déposer de nouveaux amendements lors de cette nouvelle lecture.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion