Le contenu du texte, hélas, n’échappe pas non plus à la critique. La grande ambition portée par Mme Taubira s’est peu à peu réduite à un filet d’eau tiède… Ce projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, comme vous vous obstinez à l’appeler, n’est en réalité qu’un texte portant diverses dispositions d’ordre judiciaire. Est-ce à la hauteur du constat si lucide que vous ne cessez de formuler, d’amplifier, d’approfondir au fil des mois et de vos rencontres avec les magistrats, les personnels pénitentiaires et ceux des services de la justice ? Une justice exsangue, sinistrée, frappée d’embolie : ce sont là vos propres termes, monsieur le garde des sceaux, et je les fais miens…
Ce texte portant diverses dispositions d’ordre judiciaire constitue-t-il véritablement une réponse appropriée au diagnostic que vous avez vous-même formulé ? Je ne le crois pas et, en vérité, vous ne le croyez pas non plus !
Vous convoquez le bon sens à l’appui de ce projet de loi. Fort bien ! Du bon sens, nous en avons nous aussi : d’ailleurs, nombre des dispositions que vous avez défendues à la tribune ont été le fruit des réflexions de la commission des lois du Sénat. Mais, à l’heure du bilan de la politique conduite depuis 2012 en matière de justice, on ne peut que constater que, en dépit de la rupture que vous voulez imprimer à cette dernière, de mauvaises directions ont été trop longtemps suivies, avec l’abandon du plan de construction de nouvelles places de prison voté par le Parlement, l’invention de la contrainte pénale, venant s’ajouter aux autres mesures alternatives aux peines de prison. Il en résulte que, aujourd’hui, vous êtes plus encore fondé à faire le constat que vous avez fait que vous ne l’auriez été voilà quatre ans et que vous êtes obligé de lancer, pour le compte d’autrui, un nouveau plan de construction de places de prison. Quant à la contrainte pénale, force est de constater que les tribunaux ne la prononcent pratiquement pas.
On a même évoqué, un temps – vous n’êtes pas allés jusque-là –, l’instauration d’un numerus clausus : il aurait fallu, avant d’incarcérer des condamnés, en libérer d’autres avant le terme de leur peine pour faire de la place… Telle est la vulgate idéologique à laquelle la justice a été sacrifiée pendant quatre ans !
Il est heureux, monsieur le garde des sceaux, que vous ayez mis un terme à ces élucubrations, et je crois qu’il est grand temps d’aller plus loin dans la voie que vous avez ouverte. Vous refusez d’être qualifié d’« anti-Taubira », mais vos actes parlent pour vous.