Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 27 septembre 2016 à 14h30
Justice du xxie siècle — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, d’abord défendu par Christiane Taubira, que je tiens à saluer ici, avait pour ambition de faire en sorte que la justice soit en phase avec les évolutions de la société, qu’elle soit davantage tournée vers le citoyen afin de répondre aux nombreuses attentes de celui-ci et de lui permettre d’être davantage en mesure d’agir pour défendre les droits des personnes et régler les litiges.

Le texte élaboré par notre commission des lois sur certaines questions paraît bien éloigné de cette ambition et, à cet égard, la présence des termes « modernisation » et « XXIe siècle » dans l’intitulé du projet de loi pourrait prêter quelque peu à sourire…

En première lecture, nos collègues députés avaient étoffé le projet de loi, y insérant des dispositions nouvelles, dont l’introduction, pour certaines d’entre elles, revêtait un caractère d’urgence. Toutefois, l’engagement de la procédure accélérée a braqué quelques-uns, empêché une certaine pédagogie sur des sujets souvent mal connus et conduit, finalement, à l’échec de la commission mixte paritaire.

Parmi tous les sujets couverts par ce projet de loi, deux me tiennent particulièrement à cœur. Ils n’en forment en fait qu’un seul, puisqu’il s’agit, à chaque fois, de lutter contre les discriminations qui sclérosent notre société et de permettre à chacun, sur notre territoire, d’être effectivement l’égal des autres.

L’action de groupe constitue, j’en suis convaincue, un outil indispensable en matière de lutte contre les inégalités et les discriminations, qui restent particulièrement sévères dans notre pays, notamment dans le domaine de l’emploi.

Certes, le mécanisme, tel qu’il était prévu dans le texte initial, laissait à désirer et la définition de la discrimination retenue était trop restrictive, mais le texte qui nous est soumis aujourd’hui est tout simplement inacceptable : le champ des discriminations pouvant motiver une action de groupe a été réduit comme peau de chagrin, et seules les associations titulaires d’un agrément national seront admises à agir. Pis, en matière d’emploi, seuls les syndicats pourront mener une action dont l’objet a été restreint à la seule cessation du manquement. Quant aux actions de groupe en matière environnementale ou de santé, elles ont tout simplement été supprimées.

Les droits des personnes transgenres, pour lesquels je milite depuis de nombreuses années, constituent un autre thème abordé par le projet de loi.

Comme je le soulignais dans la proposition de loi visant à protéger l’identité de genre que j’ai déposée au mois de décembre 2013, la situation des personnes « trans » dans notre pays, du point de vue des droits humains, est méconnue et négligée. Pourtant, ces personnes font face à des problèmes graves, souvent spécifiques. Elles sont exposées à de multiples discriminations, à l’intolérance et, souvent, à la violence. Leurs droits fondamentaux sont bafoués, y compris le droit à la vie privée, le droit à l’intégrité physique et à l’accès aux soins.

En tant que législateurs, nous avons le pouvoir, mes chers collègues, de faire un peu évoluer cette situation, que le fait qu’elle ne concerne qu’un petit nombre de personnes ne rend pas moins intolérable.

Malheureusement, les avancées obtenues à l'Assemblée nationale ont été balayées par notre commission des lois, qui a considéré opportun de re-médicaliser la procédure de modification de la mention du sexe, en rendant notamment obligatoire la production de certificats médicaux. Cette disposition constitue un insupportable retour en arrière. En 2010, la France devenait le premier pays au monde à reconnaître que la transsexualité n’est pas une maladie mentale ; or il est envisagé aujourd’hui d’imposer la production de certificats établis par des psychiatres. C’est indigne !

Je terminerai en reprenant à mon compte ces propos tenus en 1981 par Robert Badinter au sujet des lois pénalisant l’homosexualité : « Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d’un grand pays de liberté comme le nôtre. […] La discrimination, la flétrissure qu’implique à leur égard l’existence d’une infraction particulière d’homosexualité les atteint – nous atteint tous – à travers une loi qui exprime l’idéologie, la pesanteur d’une époque odieuse de notre histoire. » De telles paroles me semblent trouver un écho certain aujourd’hui !

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