Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lors d’un colloque qui s’est tenu ici même voilà quelques mois, sur l’initiative de la Cour de cassation, fut posée la question suivante : la justice est-elle un service public ? Il me revenait d’y répondre ; comme on s’en doute, il ne me fut guère difficile de le faire par l’affirmative.
La mission de la justice est fondamentalement de fournir des réponses légales à des situations de désaccord ou d’incertitude juridique. Il s’agit donc d’une prestation de service public, certes régalienne, mais qui mérite la recherche de l’efficacité, de la meilleure adaptation pour répondre à une demande sociale en croissance.
Parmi les points abordés par cette réforme et sur lesquels nous faisons un progrès, après une longue concertation, il y a ce que le jargon appelle les « modes alternatifs de règlement des litiges » – à ce stade, environ 95 % des justiciables potentiels ne savent déjà plus de quoi l’on parle –, c’est-à-dire les méthodes permettant de régler équitablement – j’insiste sur ce terme – des litiges en évitant la surcharge des tribunaux. Dans ce texte figure ainsi toute une série de dispositions permettant soit d’alléger la charge des juridictions, soit de recourir à une instance différente, tout en visant à l’équité.
Je reviens d’un mot sur la suppression de la collégialité de l’instruction. C’est la fin d’une réforme virtuelle, qui n’a jamais été appliquée. Son principe avait été voté, voilà neuf ans et demi, pour des motifs de principe tout à fait respectables, mais elle ne répondait pas aux critères élémentaires d’une réforme programmée, évaluée. Est donc arrivé ce qui devait arriver : sa mise en œuvre a été reportée d’année en année et elle n’a finalement jamais été appliquée.
Je souhaite toutefois exprimer un doute sur la position retenue par le rapporteur et la majorité de la commission, qui est de maintenir la possibilité du recours à la collégialité pour des cas spécifiques, alors que, si l’on adopte leur perspective, c’est le niveau de gravité et de complexité de l’instruction, et non sa spécialité, qui devrait justifier ces sélectifs de collégialité. Par ailleurs, monsieur le rapporteur, je veux insister tout particulièrement sur le fait qu’il serait véritablement inopportun d’inscrire dans la loi que le recours à la collégialité de l’instruction pourrait être décidé par l’une des parties : avec un tel mécanisme, l’on choisirait son juge pour des raisons d’opportunité et de tactique judiciaire ! Il vaut donc mieux, à mon sens, s’en tenir à une suppression complète de la collégialité de l’instruction, dont la mise en œuvre aurait eu, en outre, des effets négatifs en termes d’alourdissement de la charge de travail des magistrats et de concentration géographique.
Nous approuvons l’instauration d’une conciliation préalable pour de nombreux litiges, de portée modeste mais sensibles pour les personnes concernées, relevant du tribunal d’instance. Le dispositif proposé est raisonnable : si le juge se rend compte que la conciliation préalable entraîne une perte de temps, il y mettra fin.
Nous avons également bien fait de développer, avec la ratification d’une ordonnance allant dans ce sens, la médiation en matière administrative. J’engage le Gouvernement à lancer rapidement l’expérimentation de la médiation d’office qu’il a prévue avant engagement de certains recours administratifs. En particulier, compte tenu de la complexité des affaires qui en relèvent, le domaine du contractuel administratif devrait à mon avis être concerné.
S’agissant de la décision – assumée, malgré certaines critiques d’ordre « affectif » que l’on peut entendre – de forfaitiser la sanction pécuniaire pour conduite sans permis ou sans assurance, l’opposition qui s’est exprimée au Sénat lors de la précédente lecture, en présence de Mme Taubira, reposait sur des arguments à mon sens non fondés : certes, il peut paraître plus dissuasif, pour la personne ayant commis le délit, de comparaître devant le tribunal, mais, du fait que la mise à l’audience est souvent très tardive et la sanction pécuniaire très faible, cet effet dissuasif se trouve annulé. Nous voyons bien ce qu’il en est dans nos départements… La sanction contraventionnelle par le tribunal de police sera, elle, efficace.
Ces réformes, certes morcelées, forment néanmoins un ensemble qui rend la justice plus efficiente. Elles sont le résultat d’une volonté de modernisation partagée par toutes les parties et permettent de faire évoluer positivement ce service public. Monsieur le garde des sceaux, il reste à approfondir la détection, dans nos procédures, de toutes les situations qui permettent des actions volontairement dilatoires. Il se produit fréquemment que l’une des parties ait intérêt à « jouer la montre », ou plutôt, en l’occurrence, le calendrier. Il nous faut travailler sur ce point pour que la justice soit pleinement reconnue.