Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 29 septembre 2016 à 10h30
Croix-rouge française — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi des députés Bruno Le Roux et Françoise Dumas, relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux.

L’objectif de cette proposition de loi est simple : il s’agit d’aider des familles installées en France ou à l’étranger à retrouver, par l’intermédiaire du mouvement international de la Croix-Rouge, des proches dont elles ont été séparées dans des situations violentes ou traumatiques : sont ici visées les situations de guerre, de conflit armé, d’attentat, de catastrophe naturelle ou humanitaire.

En revanche, les recherches de personnes disparues dans des conditions suspectes, les recherches généalogiques ou celles qui résultent d’une procédure d’adoption, pour lesquelles les services de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge ne sauraient être compétents, sont exclues.

Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale prévoyait, tout d’abord, de déroger à l’une des dispositions du code des relations entre le public et l’administration, pour permettre à la Croix-Rouge française d’obtenir communication de certains documents administratifs ou traitements de données ; ensuite, d’autoriser la Croix-Rouge française à demander directement aux officiers d’état civil les copies intégrales et extraits d’actes d’état civil d’une personne recherchée ; enfin, d’autoriser la Croix-Rouge française à saisir le représentant de l’État afin de vérifier l’inscription ou non d’une personne sur les listes électorales.

Les conditions dans lesquelles les informations recueillies par la Croix-Rouge française dans le cadre de sa mission de rétablissement des liens familiaux peuvent être transmises ou non à des tiers étaient précisées à l’article 4 de la proposition de loi.

Notre commission des lois, sur l’initiative de sa rapporteur, Mme Mercier, a amendé le texte, afin d’actualiser les mesures de coordination et d’assurer son application dans les collectivités ultramarines.

Cette proposition de loi est sans aucun doute utile et nécessaire. Le large consensus dont elle fait l’objet en est la preuve, et le groupe écologiste lui apportera tout son soutien. Toutefois, derrière ces aspects techniques, se trouve la réalité tragique de la séparation des familles provoquée par les conflits armés, les catastrophes naturelles et les migrations.

« Vous pouvez vous mettre à l’abri pour échapper aux obus, mais comment ne pas souffrir quand vous n’avez aucune idée de ce qui est arrivé à votre fils ? » Ces mots de Mirvat, soixante-cinq ans, réfugiée au Liban, disent tout l’enjeu du rétablissement des liens familiaux. Ces mots nous rappellent que ceux que l’on ne qualifie plus que de « migrants » sont avant tout des êtres humains, des pères, des grands-mères, des enfants qui doivent fuir pour survivre.

Les témoignages que le Comité international de la Croix-Rouge et le Croissant Rouge recueillent sont édifiants. Malgré les conditions terribles dans lesquelles ils tentent de rejoindre l’Europe, la première urgence pour les réfugiés, lorsqu’ils sont à l’abri, est bien souvent d’avoir des nouvelles de leurs proches restés sur place.

Comme le souligne le Comité international de la Croix-Rouge, les familles des personnes portées disparues souffrent beaucoup de l’incertitude qui plane sur le sort de leurs proches, particulièrement lorsque ceux-ci ont disparu pendant un conflit armé ou dans un contexte de graves violences.

Ceux qui ne parviennent pas à rétablir le contact avec leurs proches disparus ou à savoir ce qu’il est advenu d’eux vivent dans un état d’incertitude émotionnelle, ignorant si leur parent, leur frère, leur sœur ou leur enfant est vivant ou mort. Même s’ils supposent qu’un membre de leur famille est décédé, le doute les empêche souvent de faire le deuil ou de reprendre leur propre vie tant qu’ils ne savent pas ce qui s’est passé.

C’est cette considération, que l’on retrouve aussi bien dans le droit international humanitaire que dans le droit international des droits de l’homme, qui préside au droit de connaître le sort de ses proches disparus.

En tant que législateur, nous avons le devoir d’adopter les dispositions utiles à la mise en œuvre de ce droit. Cette proposition de loi y contribuera sans aucun doute. En tant que femmes et hommes politiques, nous devrions toujours avoir en mémoire les malheurs engendrés par les conflits qui obligent à l’exil.

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