Intervention de Jérôme Durain

Réunion du 13 octobre 2016 à 10h30
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jérôme DurainJérôme Durain :

Je dois avouer que vous m’avez surpris en changeant votre fusil d’épaule ! Il vous était sans doute délicat de maintenir un rejet pur et simple d’une législation de progrès, alors que grandit la mobilisation civile et internationale en faveur de l’instauration d’un devoir de vigilance.

Mes chers collègues, vous le constatez comme moi, le rapporteur a considérablement élargi son spectre : il s’agit non plus d’empêcher qu’une nouvelle législation naisse, mais de faire en sorte que celle-ci ne change rien. N’allons surtout pas plus loin que la réglementation européenne qui ne traite pas ce sujet ! Ne prévoyons pas de bâton pour sanctionner les entreprises qui ne respecteraient pas cette loi ! Sauvegardons d’abord et avant tout la compétitivité ! Cette forme de laisser-faire est dissimulée derrière une intention de façade.

Je dis « de façade » parce que, en réalité, je n’ai pas vraiment compris, monsieur le rapporteur, quel était l’objectif de votre réécriture de la proposition de loi… Votre rapport est plein de détails sur la nécessité de préserver la compétitivité des entreprises et de faire en sorte de ne pas punir ces dernières. En lisant et relisant votre rapport, on s’étonne. Il y a en effet des absents : les salariés des sous-traitants dont votre rapport ne fait pas mention. Vous écrivez « Rana Plaza » une fois, sans préciser s’il s’agit d’un atelier ou d’une épine dans le pied. J’ai l’impression, à la lecture du rapport, que certains sont pressés d’en finir avec ce débat qui constituerait « une atteinte à la concurrence », « engendrerait des coûts importants », voire « pourrait créer une perturbation des relations économiques et contractuelles tout au long de chaîne de sous-traitance ».

Cette proposition de loi a vocation à sauver des vies et à préserver l’environnement, mais on l’oublierait presque dans le rapport. Des salariés rescapés du Rana Plaza sillonnent pourtant la planète pour convaincre les opinions publiques qu’il faut inciter les compagnies occidentales à améliorer la sécurité de leurs usines. Des initiatives naissent dans de nombreuses démocraties : un référendum est à venir en Suisse ; le Modern Slavery Act a été adopté en 2015 au Royaume-Uni. Notons d’ailleurs que le lexique anglo-saxon démontre que les comparaisons que nous avons faites avec la fin de l’esclavage en France n’étaient pas aussi caricaturales que certains auraient bien voulu le faire croire.

Les États-Unis ont adopté une ligne très sévère avec le Bangladesh, puisqu’ils sont allés jusqu’à exclure ce pays d’un dispositif qui supprimait toute taxe dans le domaine de la poterie en juin 2013.

Ces exemples internationaux sont là pour vous convaincre que notre initiative ne relève pas du gauchisme de salon. Partout dans le monde, citoyens et institutions prennent conscience que la mondialisation sans frein n’a aucun sens. Ou plutôt qu’elle a bien un sens ou un objectif : le règne de l’oligarchie, comme l’écrit Thomas Guénolé dans un essai récent intitulé La mondialisation malheureuse. Sans règle, c’est la jungle. Toutes les démocraties occidentales, même celles que les partisans du laisser-faire ont tendance à citer en exemple, édictent des règles. Il ne suffit pas d’attendre que le MEDEF tienne ses promesses ou que les multinationales respectent leurs engagements humains. Il faut parfois, et je vais peut-être vous choquer, monsieur le rapporteur, utiliser le bâton.

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