Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 13 octobre 2016 à 15h00
Réforme de la prescription en matière pénale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est saisi pour la deuxième fois de ce texte. Nous avons en effet adopté, le 2 juin dernier, à ma demande, une motion de renvoi en commission.

Je me fondais alors sur la nécessité d’approfondir les questions soulevées par l’Assemblée nationale au mois de mars dernier, s’agissant tout particulièrement de la prescription des crimes commis sur les mineurs et des évolutions proposées, notamment en termes de prescription, par rapport à d’autres pays européens et en essayant d’évaluer l’impact budgétaire de cette réforme.

Le temps qui nous a été imparti de juin à octobre nous a bien évidemment permis d’avancer.

Tout d’abord, la commission a accepté le doublement des délais du droit commun de la prescription, qui passeraient respectivement de dix ans à vingt ans pour les crimes et de trois ans à six ans pour les délits. Faut-il rappeler que de telles dispositions avaient été proposées en 2007 dans le rapport de Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung sur le régime des prescriptions civiles et pénales, intitulé « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent » ? Nos collègues concluaient en ces termes leur rapport : « les délais de prescription de l’action publique apparaissent aujourd’hui excessivement courts », notamment au regard de ceux qui sont retenus par nos voisins au sein de l’Union européenne.

Ensuite, la commission a refusé le dispositif proposé d’imprescriptibilité des crimes de guerre connexes aux crimes contre l’humanité, rappelant la spécificité des crimes contre l’humanité, les seuls à pouvoir être imprescriptibles dans notre droit positif. Il ne pouvait y avoir, sur un sujet aussi important, une quelconque possibilité d’interprétation ou un changement de principe.

Je le rappelle, le texte d’origine prévoyait une telle imprescriptibilité, une rédaction ayant été trouvée par l’Assemblée nationale. Toutefois, le Sénat a préféré en revenir à un principe clair : les crimes de guerre sont prescriptibles après trente ans. Bien entendu, s’ils sont connexes à des crimes contre l’humanité, ils peuvent faire l’objet de poursuites dans le cadre de cette qualification pénale, la jurisprudence s’appliquant naturellement.

Par ailleurs, la commission des lois a surtout veillé à éviter tout risque d’imprescriptibilité de fait. La prescription a des fondements extrêmement forts : la reconnaissance de la faillibilité de la justice, le droit à un procès équitable et le droit à être jugé dans un délai raisonnable.

Dans un arrêt en date du 22 octobre 1996, la Cour européenne des droits de l’homme rappelait ainsi les finalités des délais de prescription : « garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actes, mettre les défendeurs potentiels à l’abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer et empêcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des événements survenus loin dans le passé à partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé ».

Par ailleurs, si la commission a accepté de donner un fondement légal aux innovations jurisprudentielles, elle les a encadrées. La proposition de loi fixe le point de départ du délai de prescription des infractions occultes par nature ou dissimulées, non pas au jour de leur commission, mais au jour où le délit est apparu dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. C’est la consécration de la jurisprudence sur ce point depuis 1935.

La commission des lois a accepté cette règle, même si la question des infractions dissimulées ne va pas de soi. Mais elle a assorti ce report d’un délai butoir, pour éviter des poursuites tardives qui ne respectent pas le droit de chacun d’être jugé dans un délai raisonnable.

Elle s’est également efforcée de mieux définir la liste des actes interruptifs de la prescription, refusant qu’une plainte simple de la victime soit considérée comme un acte interruptif, ce qui aurait sans doute conduit à de nombreux abus.

Elle a également précisé le champ des obstacles de droit ou de fait insurmontables, qui ont un effet suspensif sur la prescription.

Enfin, j’en viens à l’importante question des crimes commis sur les mineurs, dont nous allons sans doute débattre. Un certain nombre de nos collègues estiment que ces crimes doivent revêtir un caractère imprescriptible. D’autres considèrent que la prescription, aujourd'hui de vingt ans à compter de la majorité, doit être prolongée à trente ans. À titre personnel, mon raisonnement sur le sujet a évolué.

Nous avons auditionné des associations de victimes, La Parole Libérée et Stop aux violences sexuelles, ainsi que Mme Violaine Guérin, spécialiste de l’amnésie traumatique. Nous avons également entendu des magistrats et le docteur Caroline Rey-Salmon, chef de service de l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu.

Après avoir tenté de trouver une réponse, qui n’est d’ailleurs pas simple, car il n’y a pas de vérité absolue, la commission s’est déclarée hostile à l’imprescriptibilité, pour les raisons que j’ai évoquées précédemment, liées à la nécessité d’une prescription.

En revanche, sur le fait de savoir s’il faut l’augmenter à trente années ou la maintenir, tel que le prévoit le texte, à vingt années, j’ai proposé à la commission de maintenir le délai de prescription à vingt ans, rejoignant ainsi la proposition de l’Assemblée nationale, laquelle s’inscrit d'ailleurs dans ce qui est une constante du droit depuis maintenant plusieurs années.

Nous en avons discuté entre nous et je ne pense pas qu’il soit nécessaire de prolonger ce débat en cet instant à la tribune, d’autant que nous y reviendrons, je l’imagine, lors de l’examen des articles. Je veux seulement dire ce qui a emporté ma conviction et m’a conduit à proposer d’en rester, pour les crimes, à une durée de vingt ans. Ce qui m’a convaincu, c’est que les magistrats et surtout les médecins considèrent qu’il n’y a pas, très honnêtement – et je pèse mes mots –, sur le plan judiciaire et sur le plan de la procédure, d’avantage particulier à prolonger la prescription dans la mesure où plus le temps passe, plus il est difficile, voire quasiment impossible, de rapporter la preuve des faits commis. Je le dis évidemment avec respect pour les victimes et pour les situations existantes, les mesures de relaxe, de non-lieu, voire d’acquittement sont en réalité assez nombreuses faute de preuves et faute de pouvoir établir ces dernières.

Telles sont les conditions dans lesquelles ce texte a été voté par la commission des lois ce mercredi et vient devant vous cet après-midi.

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