Intervention de Jean-Pierre Vial

Réunion du 13 octobre 2016 à 15h00
Réforme de la prescription en matière pénale — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Pierre VialJean-Pierre Vial :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si les principes de la prescription en matière pénale ont été consacrés dans le code d’instruction criminelle de 1808, ses fondements remontent à l’ancien droit et s’enracinent dans le droit écrit héritier du droit romain.

De tout temps, la prescription aura voulu assurer la sécurité juridique et, en matière pénale, répondre à la nécessité de la répression autant qu’à des exigences sociales. La jurisprudence et la volonté du législateur n’auront cessé de répondre au mieux à ce double défi.

L’évolution des techniques pousse continuellement à renforcer l’action et, par conséquent, à desserrer la contrainte des délais. Dans le même temps, la société se satisfait de moins en moins de règles susceptibles de freiner ou d’éteindre l’action pénale.

La jurisprudence aura fortement contribué à cette évolution, en posant des principes comme la règle contra non valentem agere non currit praescriptio : la prescription ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir. S’y ajoute la pression de l’opinion, par exemple en matière de violences sexuelles.

Ces règles devenues inadaptées aux attentes de la société exigent un travail législatif. Celui-ci fut entrepris dès 2007, avec la mise en place, par la commission des lois du Sénat, d’une mission confiée à nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, qui formulèrent dix-sept recommandations visant à créer « un droit de la prescription moderne et cohérent ».

Si la réforme du 17 juin 2008 a exprimé cette réactualisation des règles de prescription en matière civile, en revanche, en matière pénale, les recommandations étaient restées lettre morte jusqu’à ce jour.

C’est donc cette réponse que nous apportons aujourd’hui en légiférant sur ces prescriptions en matière pénale. Je salue les adaptations et orientations adoptées sur l’initiative de notre rapporteur, François-Noël Buffet, qui nous propose un texte regroupant des mesures rénovées et équilibrées.

Il était en effet indispensable de nous donner le temps d’auditionner, de comparer et de réfléchir. Aussi le renvoi en commission décidé le 2 juin dernier a-t-il été hautement bénéfique.

Sans vouloir polémiquer sur l’actualité des déclarations présidentielles, monsieur le garde des sceaux, moderniser nos institutions, ce n’est pas légiférer plus rapidement, c’est légiférer moins et mieux.

Les fondements de la prescription de l’action publique et de la peine sont en partie communs. M. le rapporteur nous l’a rappelé et nous y sommes attachés.

Ainsi, la commission des lois, sur la proposition de son rapporteur, et à une très forte majorité, a prévu un allongement des délais de prescription en matière pénale et un encadrement des règles relatives à leur computation, ce afin d’éviter de créer de nouvelles imprescriptibilités, de droit ou de fait.

Il est donc important de répondre à la double nécessité d’améliorer la répression des infractions tout en préservant les principes fondateurs de la prescription sous un regard toujours plus attentif et sensible de l’opinion.

S’agissant des délais de prescription de droit commun, nous souscrivons à l’allongement des délais de prescription de l’action publique en matière criminelle et délictuelle.

En réalité, l’allongement des délais de prescription répond à l’hypothèse d’un signalement tardif des faits aux autorités, plusieurs années après leur commission. Ce doublement permettra donc d’accorder plus de temps aux victimes pour porter plainte. De surcroît, ces nouveaux délais de prescription se rapprocheront des délais prévus dans les autres pays de l’Union européenne, en particulier pour les délits.

S’agissant de l’imprescriptibilité des crimes de guerre, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, cette disposition nouvelle, issue d’un amendement de compromis adopté par l’Assemblée nationale, n’est juridiquement imposée ni par le statut de la Cour pénale internationale ni par aucun engagement international de la France. L’objectif visé est d’ores et déjà satisfait par la jurisprudence. Pour les crimes de guerre connexes à des crimes contre l’humanité, ceux-ci se trouvent déjà bénéficier de l’imprescriptibilité.

Il s’est donc fortement imposé de ne pouvoir déroger au caractère exceptionnel de l’imprescriptibilité reconnu aux seuls crimes contre l’humanité. Je salue donc la suppression de ce qui a été qualifié d’« OVNI pénal », et j’y souscris pleinement.

Enfin, il est apparu nécessaire, du fait de l’évolution de la jurisprudence, et pour éviter le sentiment d’arbitraire, de clarifier le report du point de départ des délais de prescription à l’égard de délits « occultes » ou « dissimulés », sans que la détermination des infractions répondant à ces qualifications puisse être dégagée avec une réelle certitude.

Ainsi, il nous est apparu tout à fait pertinent, en premier lieu, pour certaines infractions commises sur les mineurs, de conserver le report du point de départ jusqu’à leur majorité, permettant ainsi l’engagement de l’action publique jusqu’à ce que les victimes atteignent l’âge de 28 ou 38 ans.

Nous avons choisi, en deuxième lieu, de consacrer législativement la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la définition et au report du point de départ du délai de prescription de l’action publique des infractions occultes.

Enfin, en troisième lieu, nous avons voulu fixer un délai butoir pour le report du point de départ des délais de prescription de ces infractions, délai qui ne pourrait excéder dix ans, en matière délictuelle, et vingt ans, en matière criminelle, à compter de la commission de l’infraction.

En revanche, nous ne pouvions souscrire à la position de l’Assemblée nationale quant à la définition des infractions dissimulées. La formulation retenue par les députés est en effet autant imprécise que trop vaste.

S’agissant des actes interruptifs de prescription, qui ont pour effet l’anéantissement rétroactif du délai ayant déjà couru par l’effet d’un événement de la procédure marquant le point de départ d’un nouveau délai, il nous est apparu nécessaire de donner une base légale aux solutions jurisprudentielles reconnaissant cet effet interruptif aux actes d’enquête, ainsi qu’aux actes d’instruction ou de poursuite émanant de la personne exerçant l’action civile.

Pour autant, comment accepter que les plaintes simples puissent avoir un effet interruptif ? La jurisprudence a d’ailleurs toujours refusé de consacrer ce principe, notamment parce que cela risquerait d’être source de manœuvres abusives. Pour notre part, nous recherchons une sécurité juridique optimale pour les procédures pénales.

Pour conclure, vous me permettrez de rappeler, comme l’évoquait le président Bertrand Louvel, les règles de prescription qui figuraient dans la charte d’Aigues-Mortes de 1246. Celles-ci prévoyaient, aux côtés des délais de la prescription de l’action, un délai de prescription du procès, qui devait être achevé en moins d’un an à compter du début de l’enquête, à moins qu’il n’y ait appel, auquel cas la procédure d’appel devait être achevée en moins de six mois. Bien que tombé dans l’oubli, le droit international rappelle avec insistance comme principe le droit d’être jugé dans un délai raisonnable.

Vous comprendrez, mes chers collègues, par ce rappel à l’histoire et à ceux qui voudraient en douter, que le principe de prescription est une notion plus moderne qu’il peut y paraître.

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