Nous sommes saisis, en nouvelle lecture, du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, adopté par l'Assemblée nationale le 29 septembre dernier après l'échec de la commission mixte paritaire réunie le 14 septembre dernier. Compte tenu de l'adoption conforme de plusieurs articles par les députés, dix-huit articles pour lesquels votre commission des affaires économiques avait reçu la compétence au fond restent encore en discussion. Une poignée d'entre eux soulèvent encore un désaccord de fond.
Le volet agricole et agroalimentaire du projet de loi a pris de l'ampleur au cours de la discussion parlementaire, au point d'en constituer désormais un pan très substantiel. Il s'agit là d'un volet assez consensuel, et ce n'est pas sur ces articles que les discussions ont achoppé en CMP le 14 septembre dernier. Nous étions d'ailleurs parvenus à rapprocher nos points de vue avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Dominique Potier. Le texte qui nous est transmis en nouvelle lecture entérine ce consensus.
Les députés ont préservé les points d'équilibre obtenus au Sénat et qui nous paraissaient essentiels. Pour la préservation du foncier agricole, c'est le mécanisme adopté lors de la discussion au Sénat qui a été retenu en nouvelle lecture, avec obligation de constituer des structures dédiées comme des groupements fonciers agricoles pour les acquisitions de terres par des sociétés, et la possibilité pour les Safer de disposer d'un droit de préemption sur les cessions partielles de parts de ces structures, de manière à prévenir les achats massifs de terres au détriment des agriculteurs locaux.
Plusieurs dispositions techniques ont aussi été préservées dans le texte adopté : simplification du droit en matière de barème de la valeur vénale des terres agricoles, assouplissement du régime de la concession temporaire de terres à usage agricole.
Sur la contractualisation en agriculture, les députés ont préservé l'extension de l'incessibilité à titre onéreux des contrats de fourniture, du lait de vache, pour lequel ce dispositif était initialement prévu, au lait de chèvre. Ils ont aussi conservé les dispositions donnant droit aux producteurs de révoquer à tout moment le mandat de facturation donné à leur acheteur dans le cadre de la contractualisation agricole.
Les députés ont aussi accepté la proposition du Sénat de placer les conférences de filière sous l'égide de FranceAgrimer, solution plus réaliste que de donner aux commissions des affaires économiques de l'Assemblée nationale et du Sénat le soin de mettre en oeuvre ces rencontres. Les députés ont bien précisé que ces conférences devraient être publiques, pour éviter tout risque d'entente sur les prix, condamnable au titre du droit de la concurrence. Les députés ont également conservé l'extension du régime fiscal dit « micro-BA » aux exploitations agricoles à responsabilité limitée dont l'associé unique est l'agriculteur-exploitant.
Plusieurs articles ont été modifiés en nouvelle lecture dans un sens plus proche de la version initiale de l'Assemblée nationale. Nous étions tombés d'accord lors de la préparation de la CMP pour retenir ces solutions.
L'article 30 C renforce les exigences qui pèsent sur la contractualisation en agriculture en prévoyant la prise en compte des coûts de production dans les formules de calcul des prix. Nous le réclamions dans la proposition de loi Lenoir. C'est une avancée, dont les effets dépendront cependant de la manière de mettre en oeuvre l'obligation dans les contrats. L'article renforce aussi le contrat-cadre conclu entre organisation de producteurs et industriels, même si, sur ce point, il n'a pas été possible de subordonner totalement le contrat individuel au contrat-cadre, pour des raisons de conformité au droit communautaire. Enfin, l'article renforce les exigences de transparence dans la mise en oeuvre des contrats par les industriels, notamment en matière de calcul des prix, d'utilisation des indices et indicateurs et d'utilisation des produits en aval par l'appareil industriel. Je ne proposerai sur cet article qu'un amendement de coordination.
L'article 31 bis C vise à la prise en compte des prix payés aux agriculteurs dans les négociations entre la grande distribution et ses fournisseurs. En première lecture, nous avions souhaité donner davantage de consistance à cette obligation, en faisant référence aux mêmes critères que ceux utilisés dans la contractualisation en agriculture prévue par la loi de modernisation de l'agriculture de 2010. Mais les députés ont souhaité revenir à leur rédaction, plus souple, et probablement plus facile à appliquer. On peut avoir des doutes sur l'efficacité réelle de ces dispositions. Toutefois, il convenait de créer un lien du produit agricole jusqu'au consommateur. C'est un premier pas. Cela fait partie de mes concessions au rapporteur de l'Assemblée nationale.
Les députés ont aussi souhaité rétablir la présence de deux députés et deux sénateurs au comité de pilotage de l'Observatoire des prix et des marges. Ils tenaient aussi à rétablir deux demandes de rapports au Parlement. Dans l'esprit constructif qui est le mien et qui avait guidé la préparation de la CMP, je propose de reprendre ce qui a été décidé sur le volet agricole.
Finalement, le volet agricole du projet de loi présente des avancées attendues par le monde agricole. De l'avis de tous, une transparence accrue dans les relations économiques entre les maillons des filières agricoles et alimentaires s'impose pour rétablir une confiance perdue avec les crises des dernières années.
Sur les autres dispositions restant en discussion, l'Assemblée nationale a adopté, en les modifiant à la marge, certaines dispositions votées par le Sénat. Je n'en proposerai donc pas la modification. C'est le cas de l'article 31 bis D et de l'article 31 ter. Dans un souci de conciliation entre les deux chambres, certaines mesures votées par l'Assemblée nationale pourraient être conservées. C'est le cas de la suppression de l'article 31 bis CA ; du rétablissement, à l'article 31 quinquies, du quantum de l'amende civile en cas de pratique restrictive de concurrence ; du rétablissement, à l'article 36, de la demande de rapport au Gouvernement sur l'action et les moyens de la DGCCRF, bien que je sois sceptique sur les suites qui lui seront données ; du déplafonnement des amendes administratives en cas d'infractions en concours.
En revanche, l'Assemblée nationale a rétabli en nouvelle lecture certains dispositifs qui ont suscité une opposition de principe au Sénat en première lecture. Tel est le cas, d'une part, du rétablissement d'un périmètre réduit à l'arrondissement pour l'interdiction de vente au déballage, alors que le Sénat l'avait étendu également aux arrondissements limitrophes (article 31 bis A) et, d'autre part, du nouveau délai dérogatoire en matière de délais de paiement (article 36), pour un secteur où il n'est pas établi qu'une telle réforme serait de nature à régler les difficultés de trésorerie rencontrées par certaines entreprises, et qui s'inscrirait à rebours de l'ambition poursuivie depuis 2008 de réduire les délais de paiement, source de nombreuses défaillances d'entreprises.
En outre, l'Assemblée nationale a modifié l'article 29 bis B afin d'introduire un dispositif nouveau, qu'elle avait pourtant, comme le Sénat, rejeté en première lecture : le droit de résiliation annuel des contrats d'assurance-emprunteur dans le cadre des crédits immobiliers. Une telle disposition doit être écartée de la nouvelle lecture, en application de la règle de l'entonnoir. Et sur le fond, aucun élément nouveau ne justifie que soit donné un avis différent à celui décidé en première lecture : la résiliation annuelle met en jeu trop de questions complexes pour être décidée dans l'urgence, sans disposer de l'ensemble des données pertinentes. Parmi ces données, figure une évaluation, en cours par le comité consultatif du secteur financier, qui devrait être remise au début de l'année prochaine. Il faut attendre les conclusions de cette évaluation. C'est pourquoi je vous proposerai la suppression de ces trois derniers dispositifs.
Enfin, en ce qui concerne le dispositif du « droit de suite » dans le cadre de l'immatriculation au répertoire des métiers (article 43 ter), l'Assemblée nationale a repris la position du Sénat, en estimant nécessaire une limitation de ce droit en fonction de l'effectif salarié de l'entreprise concernée. Elle a fixé ce seuil à 50 salariés. Ce seuil, retenu à l'initiative du Gouvernement, peut paraître relativement élevé et je partageais la position initiale du rapporteur Dominique Potier de fixer le seuil à 30 salariés. Néanmoins, il présente deux avantages : d'une part, il évite de créer un nouveau seuil dans notre paysage juridique qui souffre déjà d'une très forte segmentation des statuts en fonction du nombre de salariés ; d'autre part, il permet d'équilibrer, pour les deux réseaux consulaires, les effets financiers de cette mesure. Le rapporteur de l'Assemblée nationale et moi-même avons organisé une réunion avec les présidents des têtes de réseaux des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers. J'avais dans ce cadre proposé une fourchette entre 30 et 50 salariés. On peut donc conserver le plafond de 50 salariés.
Néanmoins, il importe que les entreprises qui dépassent le seuil de 10 salariés et qui peuvent donc bénéficier du droit de suite soient pleinement conscientes de la situation et des conséquences financières de leur choix, puisque l'appartenance à deux réseaux distincts n'est pas neutre financièrement. Je vous proposerai un amendement tendant à imposer à l'entreprise, lorsqu'elle déclare le dépassement du seuil de 10 salariés, de solliciter à cette occasion le maintien à l'immatriculation au répertoire des métiers. À défaut d'une telle demande, elle pourrait être radiée.