Intervention de François Bonhomme

Réunion du 26 octobre 2016 à 14h30
Éthique du sport et compétitivité des clubs — Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai bien écouté les précédents orateurs, et sans vouloir contrevenir à la bonne volonté affichée à travers ce texte, je me risquerai néanmoins à poser quelques questions.

Dans son ensemble, cette proposition de loi reprend pour l’essentiel des mesures assez hétéroclites issues de la Grande Conférence sur le sport professionnel français. Cette conférence s’est accordée sur le constat d’une situation dégradée du sport professionnel, sans pour autant exercer sa sagacité sur une dimension importante : la dimension économique, singulièrement occultée.

En effet, le sport professionnel est devenu global. Il est également confronté à une concurrence accrue d’autres compétitions et d’autres acteurs économiques, qui ont su anticiper ce mouvement et se rendre attractifs tant auprès des consommateurs de spectacle sportif que des investisseurs.

Ainsi, il est regrettable qu’une approche systémique n’ait pas été privilégiée, le risque étant que ce texte s’avère au mieux inefficace, au pire attentatoire à certains droits et libertés fondamentaux.

Sur le fond, l’article 1er est naturellement utile ; reste que le mode opératoire retenu pour veiller à l’éthique et à la déontologie et pour prévenir les conflits d’intérêts porte en lui une limite importante. Cette limite, c’est l’absence d’indépendance et d’autonomie réelles de l’organe chargé de la mise en œuvre du contrôle de la charte éthique.

En effet, proclamer, comme le fait la proposition de loi, que le comité ainsi institué est « doté d’un pouvoir d’appréciation indépendant » ne suffit pas à assurer la réelle et effective indépendance de ce comité et de ses membres.

Je ne vois pas, en l’état, comment ce comité fonctionnera. Quels seront ses moyens ? Tout cela n’est pas anecdotique, et il y a fort à parier que cela se fera avec les moyens et les ressources des fédérations et des ligues.

Par exemple, que se passera-t-il dès lors que ce comité devra se prononcer sur des actes concernant des présidents de ligue ou de fédération ? Surtout si l’on ajoute que la composition de ce comité et le mode de désignation de ses membres restent inconnus.

Le milieu du sport, comme tout milieu, est un écosystème endogame par nature et donc rétif à l’arrivée de tiers n’appartenant pas à la « grande famille ». J’aime bien la famille, mais, en l’espèce, y appartenir n’est pas un gage de compétence.

La proposition de loi demeure muette à ce sujet.

L’article 4, consacré aux agents sportifs et au contrôle de leur activité, vise en particulier la transmission et l’échange d’informations en matière de transfert de joueurs, chose qui n’existait réellement à ce jour que dans le football. Il prévoit de lutter contre les carences de la commission des agents de la Fédération française de football, qui, contrairement à son homologue du rugby, est extrêmement passive et ne procède à aucun contrôle effectif des agents, qui sont en principe soumis à son autorité.

Je rappelle que la seule réponse qui a été concrètement apportée en cas de manquements des agents aux règles qui leur sont applicables l’a été exclusivement par les tribunaux, que ce soit sur le plan civil, avec l’annulation des actes accomplis entraînant la perte du droit à rémunération, ou sur le plan pénal, dans le cadre des procédures diligentées par le parquet visant notamment à sanctionner les abus de biens sociaux commis par des dirigeants avec le rôle actif ou non d’agents sportifs, déclarés ou non. Le Parlement le sait pertinemment depuis le rapport rendu en février 2007 par le député Dominique Juillot.

Si l’idée de créer une entité nouvelle dotée de nouveaux pouvoirs peut paraître séduisante, son effectivité dépendra de la réelle volonté politique de la fédération concernée.

S’agissant de l’article 5, la question de l’indépendance des organes de contrôle se posera. Et ce n’est pas le fait de rendre publiques, au nom de la transparence, les décisions que ces organes de contrôle prendraient qui permettra de combler le défaut d’indépendance. L’atteste le récent exemple de la sanction prise par le conseil supérieur de la direction nationale d’aide et de contrôle de gestion du rugby à l’encontre du Rugby Club Toulonnais, alors même que le secrétaire général de ce conseil supérieur est sponsor maillot de l’ASM Clermont Auvergne, un des concurrents principaux du Rugby Club Toulonnais.

En outre, la possibilité d’obtenir la communication d’informations concernant les parties liées se heurtera au principe de la liberté d’entreprendre et à la préservation du secret des affaires.

À cet égard, aucune garantie n’est offerte par la proposition de loi quant aux modalités d’exercice du contrôle. Il serait ainsi étonnant que le Parlement délègue à un tiers, dépourvu de la personnalité morale et ne relevant pas des règles d’indépendance requises, des pouvoirs d’enquête et de sanction qui sont réservés aux institutions judiciaires et aux services de l’État.

Enfin, doter les organes de contrôle financier des pouvoirs d’« apprécier et contrôler les projets d’achat, de cession et de changement d’actionnaire de sociétés sportives » semble contraire à la liberté fondamentale de la circulation des capitaux telle que visée au traité de l’Union européenne.

Sur un plan pratique, si tant est qu’une telle mesure résiste au test de proportionnalité prévu en pareille matière, ce contrôle serait de nature à réduire l’attractivité du marché français au moment même où les besoins de capitaux sont devenus de plus en plus criants. Oublier cette situation et cette dimension ouverte reviendrait à adopter une posture, serait un affichage sans moyen, une intention sans viatique.

L’article 7 vise à répartir entre salaire et paiement de l’exploitation de leur droit à l’image la rémunération des sportifs professionnels. Toutefois, penser que les difficultés françaises résident uniquement dans le coût trop élevé de la main-d’œuvre en raison du montant des charges sociales, c’est manquer l’essentiel.

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