Intervention de Thierry Mandon

Réunion du 26 octobre 2016 à 21h00
Adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, le 1er janvier prochain, la France assurera la présidence du processus de Bologne. Ce processus permet la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur. Cela s’est traduit en France par la réforme licence-master-doctorat de 2002 visant à réorganiser l’offre de formation supérieure en fonction de ces trois niveaux de qualification.

D’une certaine manière, cette adaptation est une course d’obstacles pour notre monde universitaire, qui a besoin d’évolutions. Voilà quelques mois, nous nous sommes attaqués, avec les partenaires, au chantier des contrats doctoraux et de la formation doctorale. Aujourd'hui, nous nous réunissons sur la question du master. Dans un futur que j’espère proche, même s’il dépasse le terme de la présente législature, il faudra probablement travailler sur la licence. Nous devrons innover pour combiner les principes qui – j’en ai la conviction à vous entendre – nous servent de boussole commune. Il y a une volonté de démocratisation, car c’est sur le terrain de l’élévation des niveaux de qualification des jeunes que la compétition entre les nations se développe aujourd'hui. Mais il faut veiller à faire en sorte que cette démocratisation se conjugue avec l’excellence et la qualité des diplômes : nos jeunes doivent être armés pour leur vie personnelle et professionnelle, dont les aléas seront, à n’en pas douter, multiples dans les années à venir.

Depuis 2002, le cursus conduisant au diplôme national de master, constitué de quatre semestres répartis sur deux années consécutives, dites M1 et M2, a été conçu à partir des cycles et diplômes qui existaient antérieurement : maîtrise, diplôme d’études approfondies, ou DEA, et diplôme d’études supérieures spécialisées, ou DESS. L’organisation de ce cursus recouvre aujourd’hui une hétérogénéité de situations, certaines permettant de déployer une formation complète sur quatre semestres, d’autres conservant une procédure sélective à l’entrée de nombreux M2, héritée de l’accès limité qui existait à l’entrée des DEA et des DESS.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, cette situation est insatisfaisante pour tout le monde. Elle est contraire à la règle de l’indivisibilité des quatre semestres du master, dont la validation des deux premiers conditionne seule le passage en seconde année. Elle pénalise les étudiants placés devant l’impossibilité d’obtenir leur diplôme de master faute parfois d’admission en M2 et elle les contraint trop souvent à redoubler leur première année même s’ils l’ont validée. Elle est un frein à la poursuite d’études, notamment pour les étudiants issus de milieux défavorisés. Elle est juridiquement insoutenable, car elle crée des contentieux récurrents, sources d’instabilité aussi bien pour les requérants que pour les établissements mis en cause ; ayons l’actualité récente à l’esprit. Cela a d’ailleurs conduit certains établissements à organiser à l’usage l’orientation à l’entrée de la première année de master, sans base juridique ni réglementation claire, ce qui pénalisait les étudiants les moins informés. Je ne leur jette pas la pierre ; ils l’ont parfois fait parce qu’ils ne savaient pas comment gérer la situation.

La publication du décret du 25 mai 2016 relatif au diplôme national de master a, certes, permis de sécuriser les procédures d’admission à l’entrée en M2 pratiquées par certaines universités pour la rentrée universitaire de 2016. Toutefois, à l’époque, la ministre Najat Vallaud-Belkacem et moi-même avions indiqué très clairement ici même, en réponse à vos interpellations légitimes, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous souhaitions une réponse pérenne et équilibrée aux difficultés d’organisation de l’ensemble du cursus de master, à l’issue d’une large concertation rassemblant l’ensemble des acteurs de la communauté universitaire.

J’insiste sur ce point. Nous n’en avons pas fini avec les défis qui pèsent sur l’enseignement supérieur français, qu’il s’agisse de sa modernisation ou de son nouveau modèle économique. Mais, à mon sens, il faut privilégier la voie de l’accord entre les membres de la communauté universitaire. Ayons une attitude adulte, une démarche de réflexion et de projection, qui conjugue l’intérêt des étudiants, de leur famille et les capacités des établissements et des enseignants-chercheurs. La recherche systématique du consensus est, me semble-t-il, la seule voie sérieuse.

Cette concertation a permis de dégager un compromis et d’aboutir à la position commune du 4 octobre 2016 entre le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et les principales organisations représentant les étudiants – UNEF, FAGE, PDE –, les enseignants et personnels – SNESUP-FSU, SGEN-CFDT, Sup’ Recherche UNSA, SNPTES – et les établissements d’enseignement supérieur, en l’occurrence la CPU et la CDEFI.

Je souhaite remercier chaleureusement ces différents acteurs. Certains ont joué un rôle moteur dans cet accord, que plusieurs parmi eux réclamaient depuis longtemps. Tous ont fait preuve de maturité, passant outre les très nombreux obstacles, qui ont parfois pu faire s’interroger sur la finalisation du processus. Je veux aussi, parce que c’est justice, remercier mes collaborateurs et ceux de Najat Vallaud-Belkacem qui ont accompagné cette démarche. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, tout n’a pas été simple.

Le compromis a été approuvé – ce fut un autre moment fort – par une très large majorité du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche lors de sa séance du 17 octobre 2016. Telle qu’adoptée par votre commission, la présente proposition de loi est la traduction législative de cette position commune visant à permettre une nouvelle organisation du master.

Monsieur le rapporteur, cette proposition de loi, amendée par Dominique Gillot en commission, prend appui sur votre initiative. Vous l’avez formalisée avec vos cosignataires à la fin de l’été ou au début du mois de septembre. L’ensemble des acteurs de la communauté et nous-mêmes avons d’ailleurs interprété votre initiative comme un appel à aboutir, de la part de personnalités ayant des convictions fortes. Je tenais à vous en remercier.

Le texte, ainsi amendé par la sénatrice Gillot, a pour principal objectif de permettre la construction d’une offre de formation de master qui se déroule pleinement sur deux années, en supprimant la barrière sélective actuelle entre la première et la seconde année de master, conformément aux attendus de la réforme LMD et aux standards internationaux, afin de permettre la nécessaire élévation du niveau de qualification des jeunes. Pour ce faire, le texte permet aux universités de mettre en place un recrutement à l’entrée de la première année du deuxième cycle, tout en garantissant à tout titulaire d’un diplôme national de licence un droit à la poursuite d’études dans un cursus conduisant au diplôme national de master. Il sécurise donc les établissements – c’était indispensable – et élargit les possibilités d’orientation des jeunes. Il vise à orienter sans empêcher. Aucun étudiant titulaire de la licence souhaitant poursuivre ses études en master ne sera laissé sans solution, sans choix, sans droit.

Tel est l’objet de l’article 1er tel que vous l’avez modifié en commission. Il permet aux universités de fixer des capacités d’accueil, après un dialogue avec le recteur, et de subordonner l’admission en première année du deuxième cycle au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Ainsi, il facilite un choix fondé sur des critères objectifs, transparents et vérifiant le niveau pédagogique ou le projet professionnel des étudiants. Les réponses à leurs candidatures devront être motivées et communiquées aux candidats. Là aussi, c’est très important.

Cet article encadre également la procédure de poursuite d’études. En effet, tout étudiant titulaire d’un diplôme national de licence qui n’aura pas reçu de réponse positive à ses demandes d’admission en première année de master se verra assurer une inscription. Il reviendra au recteur de région académique de formuler trois propositions d’inscription, dont l’une au moins concernera en priorité l’établissement dans lequel l’étudiant a obtenu sa licence lorsque l’offre de formation le permet et, à défaut, un établissement de la même région académique pour éviter une mobilité trop lourde et imposée. Ces propositions tiendront notamment compte des capacités d’accueil des établissements, du projet professionnel de l’étudiant, mais également de la compatibilité entre les mentions du diplôme national de licence et les mentions du diplôme national de master, assurant ainsi que les étudiants disposeront des prérequis nécessaires au cursus de master dans lequel une admission leur sera proposée. Vous l’avez rappelé, un décret en Conseil d’État, pris après avis du CNESER, précisera les modalités de mise en œuvre de ce droit à la poursuite d’études.

Suite à cela, ce même article supprime la barrière sélective entre M1 et M2, en précisant que « l’accès en deuxième année d’une formation du deuxième cycle conduisant au diplôme national de master est de droit pour les étudiants qui ont validé la première année de cette formation ». Cela confirme la référence à une organisation du master sur quatre semestres.

Cet article permet enfin de maintenir la possibilité de fixer par un décret pris après avis du CNESER la liste des formations dont l’accès est libre en première année de master et pour lesquelles l’admission à poursuivre en deuxième année peut dépendre des capacités d’accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Une telle disposition permettra de maintenir de manière transitoire l’organisation actuelle du master pour tenir compte de la spécificité de certaines filières dont l’inscription dans les attendus de la réforme LMD nécessitera une réingénierie importante des formations.

En commission, vous avez souhaité prévoir une évaluation par une agence indépendante, évaluation qui vous sera présentée. Cet ajout recueille pleinement notre accord. À titre personnel, je considère même qu’il faut développer les stratégies d’évaluation indépendantes des textes que nous prenons et, si nécessaire, revenir devant le Parlement pour corriger ce qui, à l’usage, mérite de l’être.

Cette réforme ne se limite pas à une simple modification législative. Il s’agit d’un ensemble de mesures concertées avec la communauté universitaire, qui en font un tout cohérent. La loi évoque le décret qui fixera plus précisément le rôle du recteur de région académique. Au-delà de ce cadre réglementaire, nous proposerons une plateforme décrivant la carte nationale des formations conduisant au diplôme national de master, afin de faciliter les candidatures des étudiants.

Lorsque la poursuite d’études s’accompagnera pour l’étudiant d’une mobilité géographique, un dispositif d’aide à la mobilité très précis et sérieux sera mis en place par l’État. Il viendra compenser ce qui peut parfois être vécu comme une sélection sociale.

Enfin, nous lancerons prochainement une réflexion avec la CPU et les organisations représentatives sur l’effet de cette réforme sur le cursus de licence, notamment sur le renforcement du suivi personnalisé prévu par l’arrêté licence du 1er août 2011 et sur les perspectives d’insertion professionnelle. Ce sera également l’occasion d’avancer vers une meilleure articulation avec la licence professionnelle.

Vous l’aurez compris, ce texte étant le résultat d’un travail de coconstruction avec les acteurs de la communauté universitaire, je me fais en quelque sorte le garant de cet accord, comme vous l’avez d’ailleurs fait vous-même, dans cet hémicycle. Si l’amélioration du texte est possible, un amendement dont l’adoption aurait pour effet de dénaturer la portée du compromis ne pourrait évidemment pas recueillir notre accord.

Je me réjouis que, pour l’examen de cette proposition de loi amendée, le Sénat ait fait la démonstration de son agilité. Le texte a été déposé en septembre, et il est examiné en séance publique à la fin du mois d’octobre. Je salue cet exercice d’intelligence parlementaire.

Un tel processus n’est pas le fruit du hasard. C’est la preuve que les parlementaires sont capables de faire avancer la loi, parce qu’ils partagent des convictions essentielles pour l’avenir de notre pays. C’est ce qui nous réunit aujourd'hui, au-delà de nos divergences politiques. Cela rend cette réforme forte, puissante. Dans le même temps, c’est prometteur pour d’autres réformes indispensables à notre système d’enseignement supérieur.

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