La séance, suspendue à vingt heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures cinquante-cinq.
La séance est reprise.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de reconstruction du centre hospitalier universitaire de Caen, accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des affaires économiques, à celle des affaires sociales et à celle des finances.
J’informe le Sénat que la question orale n° 1493 de M. Michel Savin est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de loi portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat, présentée par M. Jean-Léonce Dupont et plusieurs de ses collègues (proposition n° 825 [2015-2016], texte de la commission n° 30, rapport n° 29).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Léonce Dupont, auteur de la proposition de loi et rapporteur.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, mes chers collègues, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. »
La proposition de loi que vous examinez ce soir ne dément pas cette sage affirmation de Nicolas Boileau. Son texte est court : le Sénat n’aime guère les « lois bavardes ». Pourtant, sans fausse modestie, je peux l’affirmer : quand cette proposition fera loi, elle sera la réponse attendue à une préoccupation devenue majeure au sein de nos établissements d’enseignement supérieur et, singulièrement, de nos universités. Avec ce texte, nous adaptons enfin réellement l’organisation du cursus post-licence français aux exigences du LMD et d’abord du deuxième cycle, ou master.
En 2002, notre pays s’inscrit pleinement dans le système européen d’enseignement supérieur et de recherche. Une réforme en profondeur s’impose, mais elle ne sera que très imparfaitement réalisée.
Pour mieux apprécier l’économie du texte que je vous présente, il me semble utile de rappeler la situation pré-LMD.
Les parcours universitaires s’organisaient autour du DEUG, premier cycle en deux ans, suivi de la licence, obtenue après une année d’études, puis de la maîtrise, en une année également.. Licence et maîtrise constituaient le deuxième cycle. L’étudiant pouvait alors envisager un troisième cycle : il s’inscrivait, selon son projet et sous réserve qu’il soit retenu par l’équipe pédagogique en charge du diplôme, soit en DEA, formation plutôt théorique, soit en DESS, formation à vocation professionnelle. Au terme de cette année d’études, la porte, de préférence celle du DEA, s’ouvrait vers le doctorat.
En 2002, le LMD a produit ses effets sur cette organisation, mais, en réalité, d’une manière que j’oserais dire cosmétique. DEUG et licence sont « fusionnés » pour constituer ensemble les six semestres de la « nouvelle licence », soit le premier cycle. Le deuxième cycle de quatre semestres a priori insécables résulte du rapprochement de la maîtrise et du DEA/DESS, avec une distinction entre « master recherche » et « master professionnel », vite dénommé « master pro », qui n’était pas sans renvoyer à celle entre DEA et DESS. Le troisième cycle est composé du seul doctorat.
S’agissant du deuxième cycle, on comprend bien que l’étiquette « master » avait été apposée sur deux diplômes distincts, qui se retrouvaient faire diplôme unique sans réelle remise en question. Dans ce paysage, les établissements avaient continué de pratiquer une sélection à l’entrée de la seconde année de master, comme cela se pratiquait à l’entrée du DEA ou du DESS.
Cette sélection, en plein milieu du diplôme, devenait vaguement ubuesque. Les inconvénients étaient légion, pour les étudiants placés dans l’incertitude de leur devenir au terme du M1 comme pour les équipes pédagogiques, qui ne pouvaient pas réellement proposer une progression cohérente de la spécialisation sur les quatre semestres menant au diplôme. Il convient en effet d’ajouter qu’avec le temps les maquettes des masters avaient traversé plusieurs campagnes d’habilitation et qu’elles avaient forcément évolué : nouveaux projets, nouvelles évaluations ; les équipes porteuses des diplômes de masters se heurtaient à l’incohérence de la construction. Ainsi allait la vie universitaire.
C’est un avis contentieux du Conseil d’État, en février dernier, certes bien tardif, qui porte le coup de grâce à cette architecture en trompe-l’œil. Le Conseil d’État avait été saisi d’une demande d’avis par un tribunal administratif confronté à un recours d’étudiant sur un refus d’inscription en master. Il a alors estimé que la sélection pratiquée était illégale, faute d’un décret listant les masters concernés, conformément à ce que la loi prévoyait.
Le Gouvernement a préparé en urgence le fameux décret. Le texte, pris en mai 2016, s’est retrouvé plaqué sur l’offre de formation pour tenter de sécuriser l’actuelle rentrée universitaire. Je dis « plaqué » sans que cela soit une critique du travail effectué : celui-ci était très compliqué à mener et le temps imparti très court. La nomenclature des masters n’est en effet pas unifiée. Ce travail est en cours. Nous constatons, au sein d’une même discipline, la coexistence de mentions de masters, dont certaines sont très générales et d’autres très spécialisées. C’est peu dire que la lisibilité n’est pas au rendez-vous.
Le décret de mai 2016 n’a pas apporté un apaisement juridique suffisant : la rentrée qui vient d’avoir lieu a été le théâtre de contentieux qui le démontrent. Il fallait donc très vite agir, pour sécuriser la rentrée de 2017. Le texte que j’avais déposé s’y attachait, avec un dispositif simple, non contraignant et transparent : d’une part, les universités choisissent, pour chacun des masters qu’elles offrent, le dispositif d’entrée, sélectif ou non ; d’autre part, les masters pour lesquels le dispositif de sélection demeurerait à l’entrée du M2, ce qui peut se justifier pour certaines filières, en particulier le droit et la psychologie, sont listés par décret – ces filières préparent à des concours ou à une certification professionnelle à bac+4, soit au niveau M1.
Dans le même temps, au terme d’une concertation engagée par le Gouvernement et qui ne fut pas – je crois pouvoir le dire – un long fleuve tranquille, un accord était trouvé au sein de la communauté universitaire pour accompagner cette sélection, admise, voire attendue par le plus grand nombre, grâce à l’introduction d’un dispositif destiné aux étudiants titulaires d’une licence non retenus dans un master sélectif et qui souhaiteraient néanmoins poursuivre leur formation. Ce sont les principes de ce dispositif qui ont été inscrits dans ma proposition de loi par voie d’amendement lors de l’examen du texte en commission, le mercredi 12 octobre.
J’ai accepté cet ajout, que je trouvais initialement contradictoire, sur lequel je conserve de vraies réserves, mais que je soutiens en définitive complètement, pour des raisons que je veux prendre ici le temps d’expliquer et dont je souhaite qu’elles retiennent favorablement l’attention de ceux de nos collègues qui ont des interrogations, déjà exprimées en commission.
La première raison est clairement pratique. Je l’ai dit, la rentrée de 2016 des masters a montré les fragilités juridiques du décret pris en urgence en mai ; il est finalement apparu indispensable de modifier préalablement la loi. Or une rentrée en master se prépare dès le printemps et s’accompagne très vite, en cas de mobilité géographique de l’étudiant, de questions matérielles, de logement notamment.
Mais, nous le savons bien, la session parlementaire sera suspendue le 27 février prochain. Il convient donc d’aller vite. Les étudiants et leur famille, pas plus que les responsables universitaires des masters, ne doivent être les otages du calendrier électoral.
La seconde raison me conduit à interroger la situation de nos universités, qui sont les principaux établissements porteurs de l’offre de masters, autant que celle de notre économie et des besoins de notre pays.
Après la grave crise économique dont nous peinons à voir l’issue, l’avenir et le redressement de la France passent par la jeunesse ; la question posée est celle du niveau de qualification qu’elle atteint lorsque, à l’issue de sa formation initiale, elle prépare son insertion professionnelle. C’est un défi qui doit être relevé ; cela suppose une élévation du niveau de qualification et de diplômation bien au-delà du seul baccalauréat. Tel est d’ailleurs l’un des objectifs de la StraNES, ou stratégie nationale de l’enseignement supérieur, dont nous avons débattu ici même au premier semestre. J’ai même dit à cette tribune que, si j’en partageais le postulat de départ et les finalités, j’avais quelques sérieux doutes sur la capacité à les atteindre au vu des moyens mis en œuvre. La voie que nous nous préparons à emprunter, via le texte qui vous est soumis, peut y aider, partiellement certes, mais réellement.
J’ajoute toutefois – cela est important pour notre débat – qu’il ne faut pas confondre élévation du niveau de qualification et surdiplômation. Des diplômés qui auraient étudié cinq ans après le baccalauréat et peineraient à accéder à un emploi utilisant leurs compétences vivraient un véritable déclassement professionnel. Ils en seraient légitimement frustrés, et ce serait pour nous, politiques, un échec cuisant, pour ne pas dire une faute.
C’est dans ce contexte économique et social que fonctionne notre modèle français de formation post-baccalauréat. Il repose sur une double logique.
La première est une logique sélective, plutôt omniprésente : accès par concours aux grandes écoles ; accès sur dossier en STS et, au sein même des universités, en IUT ; poursuite d’études après concours en formations de santé ; accès sur moyens financiers dans des établissements privés dont il se dit qu’ils sont de plus en plus recherchés.
La seconde logique est celle du libre accès, en licence générale après traitement des demandes via le portail d’admission post-bac, avec, pour quelques filières de quelques universités, des capacités d’accueil limitées.
Cette logique de libre accès conduit en licence un certain nombre de néobacheliers non retenus dans des voies sélectives, souvent non armés pour réussir. Les « plans licence » déployés par les établissements ne sont pas une remédiation suffisante. Les universités et leurs enseignants ne peuvent, en dépit d’efforts réels de leur part, « rattraper » des étudiants que leurs études au lycée n’ont pas tous armés pour des études en licence, avec un niveau d’abstraction et de conceptualisation auquel certains ne s’adaptent pas. J’ajouterai que la remédiation à ce niveau n’est pas le métier des enseignants-chercheurs.
Nous savons les taux d’échec, les réorientations sauvages, les étudiants qui ne viennent aux examens que pour émarger et conserver leurs bourses d’études ; nous en mesurons le coût humain d’abord, économique ensuite, pour les familles autant que pour l’État. Où que nous siégions dans cet hémicycle, nous avons échoué à proposer un dispositif d’orientation positive.
Bon an mal an, bon gré mal gré, des étudiants cheminent, parfois lentement, et obtiennent leur licence. Je vous rassure : il y a aussi d’excellents étudiants qui mènent à bien leurs trois années d’études, réussissant dès la première session tous leurs examens. Mais ils sont rares. La compensation entre semestres et entre unités d’enseignement, la capitalisation des matières, les deux sessions ou le poids du contrôle continu y contribuent, et les universitaires constatent que des étudiants obtiennent leur licence sans être toujours au point sur les fondamentaux de leur discipline.
Se pose alors la question de la suite : recherche d’emploi, complément dans une filière voisine et, naturellement, master.
On ne saurait donc affirmer, au terme de ces parcours, que tout étudiant désireux de s’inscrire en master en possède les prérequis suffisants. Or les masters placent leurs titulaires au niveau de sortie – bac+5 – des diplômés de grandes écoles et, dans certains champs disciplinaires, ceux-ci seront en concurrence pour des emplois d’encadrement de niveau supérieur et des postes à responsabilités. Il y va indirectement de l’image même de nos universités.
En outre, n’oublions pas que le master ouvre la porte du doctorat, troisième marche du système LMD, et qu’il convient de préparer les futurs thésards à la recherche. Là aussi, nos équipes de recherche, notre recherche dans son ensemble, ont besoin d’excellence. Sa jouvence est essentielle pour préparer nos futurs Nobel et médailles Fields – notre pays, cette année encore, peut s’enorgueillir de figurer au palmarès.
L’accès sélectif au master ou, au moins, à un certain nombre de masters est donc une condition nécessaire à la construction de l’avenir et à la qualité de notre recherche scientifique.
Mais que faire pour tous ceux qui ne seraient pas retenus au terme d’un processus sélectif ? Ils sont pour la plupart, sans doute, les « maillons faibles » du cursus universitaire, passés vaille que vaille d’une année à l’autre du parcours licence.
Dès lors que nous n’avons su ni construire avec eux, depuis le début même de leurs études au lycée, un parcours solide ni leur permettre de mieux s’orienter, nous avons à leur égard un devoir d’accompagnement. C’est cette conviction d’une responsabilité qui a finalement, malgré toutes mes réserves, guidé mon choix de soutenir l’amendement de notre collègue Dominique Gillot. Présenté en commission, il reprend la partie législative de l’accord trouvé au début de ce mois, au sein de la communauté universitaire, par ses représentants.
Il ne s’agit pas de créer un droit au master pour tous, comme le soutiendraient les tenants d’un raccourci forcément caricatural ; il s’agit de ne pas laisser sans soutien des diplômés, certes parvenus au niveau bac+3, mais dont les compétences sont fragiles. Faut-il les orienter vers un autre master que celui ou ceux qu’ils convoitaient ? Oui, mais sans bouleverser l’économie de masters « rares » qu’il convient de préserver ! Oui, mais sans laisser non plus se constituer dans nos universités des masters « refuges », car je refuse, mes chers collègues, d’utiliser le terme de « poubelles », particulièrement dégradant pour les étudiants, leur famille, leurs enseignants et l’université dans son ensemble ! Oui, mais sans oublier que le bénéfice de ce droit au master peut être différé dans le temps : la formation continue tout au long de la vie existe !
Il faut laisser aux établissements le soin de veiller à la mise en œuvre de ce droit ; c’est leur autonomie pédagogique qui est en jeu, et je sais aussi leur éthique de responsabilité à l’égard des étudiants. Les recteurs seront associés dans leur rôle traditionnel de chanceliers des universités.
Le texte que la commission a examiné et amendé s’efforce donc de concilier la légalisation du droit à la sélection avec l’obligation d’une réponse à ceux qui seraient sans solution.
S’agissant du premier point, la possibilité d’une sélection dès l’entrée en première année de master, sélection liée aux capacités d’accueil fixées par les établissements, est affirmée et l’entrée en master, le cas échéant, subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Vous noterez qu’il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’une possibilité laissée à l’appréciation de chaque établissement pour chacun des masters qu’il propose.
Les modalités de la sélection sont elles aussi ouvertes. Mais le droit existe de manière incontestable. Les étudiants ayant réussi les épreuves sanctionnant les deux premiers semestres de leur master accèdent de droit à la seconde année.
La loi réserve la possibilité d’une sélection à l’entrée de la seconde année pour certaines disciplines. Je n’y reviens pas : ces disciplines sont connues.
S’agissant du second point, introduit par amendement en commission, la loi permettra que, sur demande d’un étudiant non admis en première année de master, il lui soit proposé une inscription dans une autre formation de deuxième cycle, sur la base de son projet professionnel et en fonction de l’établissement dans lequel il étudiait en licence. Les modalités d’exercice de ce nouveau droit seront fixées par voie réglementaire, en l’espèce un décret en Conseil d’État, pris après consultation du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elles ne sauraient en effet relever du domaine de la loi.
J’appelle toutefois l’attention du Gouvernement sur la distinction nécessaire, dans la démarche en cours, entre ce qui relève de l’information sur l’offre de master, extrêmement légitime et même attendue, et ce qui relèverait d’une volonté de gérer les vœux des étudiants en lieu et place des établissements et des équipes pédagogiques de chaque master. Ce serait là un coin enfoncé de manière inacceptable dans l’autonomie universitaire. Nous aurons l’occasion d’examiner tout à l’heure un amendement de notre collègue Jean-Claude Carle sur l’inscription dans la loi d’un dispositif spécial d’information et d’orientation des étudiants. C’est l’une des missions de l’université, et j’y attache beaucoup d’importance.
J’ajoute que j’ai souhaité, au regard de la nouveauté de ce dispositif et des réserves qu’il fait naître non seulement chez votre rapporteur, mais également chez plusieurs de nos collègues, que figure dans la loi un engagement d’évaluation de son fonctionnement après la troisième rentrée sous ce régime, soit à la fin de 2019. Cette évaluation, confiée au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, autorité administrative indépendante, comme vous le savez, sera transmise au Parlement au plus tard le 1er mars 2020 ; elle portera sur l’impact mesurable de ce dispositif sur la qualité de l’offre de formation de deuxième cycle et sur la réalité de la sécurité juridique qu’il doit apporter.
Mes chers collègues, le dispositif que je vous propose d’adopter ce soir ne saurait être ni une fin ni le simple moyen de surmonter les difficultés que j’évoquais au début de mon propos. Il nous oblige. Et il nous oblige sur toutes les travées, eu égard à la responsabilité partagée que nous portons sur la situation actuelle ! Il nous oblige à réfléchir à ce qui se passe en amont du master et, plus encore qu’à réfléchir, à agir.
Notre collègue Guy-Dominique Kennel a remis en juin au Sénat son rapport d’information intitulé Une orientation réussie pour tous les élèves, témoignant de l’urgence d’en finir avec l’orientation par l’échec. Sachons ici nous en souvenir. Si nous voulons, à l’avenir, que des étudiants en licence cessent d’échouer aux portes du master ou qu’ils puissent plus facilement, avec leur licence, s’insérer dans la vie active et si nous voulons que le dispositif que je vous propose d’adopter ne soit qu’une transition nécessaire et devienne un jour inutile, car alors chacun aura su trouver la voie positive de son parcours personnel, nous devons modifier le modèle actuel des parcours, du lycée à la licence.
La sélection, selon le Larousse, est notamment l’action de choisir les personnes qui conviennent le mieux. C’est donc une démarche positive et constructive. Mais elle impose aussi, lorsqu’il s’agit de notre jeunesse, de nos enfants, qu’aucun d’eux ne soit laissé seul et sans espérance. C’est tout le sens de l’équilibre recherché par ce texte.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mmes Maryvonne Blondin et Corinne Bouchoux applaudissent également.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà une semaine à peine, nous étions réunis pour débattre des conclusions de l’excellent rapport intitulé Une orientation réussie pour tous les élèves de notre mission d’information présidée par Jacques-Bernard Magner et rapportée par Guy-Dominique Kennel. Sur toutes les travées de l’hémicycle comme au banc du Gouvernement, nous avions déploré une orientation qui se fait essentiellement « par l’échec » et dont le coût, avant tout humain, est terrible pour nos enfants et leur famille.
Ce soir, nous abordons en quelque sorte les « travaux pratiques ». Nous avons collectivement l’occasion de refuser cette orientation par l’échec dans l’enseignement supérieur, en adoptant la proposition de loi de notre collègue Jean-Léonce Dupont, qui instaure enfin le principe de sélection à l’entrée du master.
Permettez-moi de rendre un hommage très appuyé au travail que Jean-Léonce Dupont a accompli sur ce délicat dossier et à la clairvoyance qui a été la sienne quand, au début du mois de septembre, il nous a collectivement incités à prendre le sujet de la sélection en master à bras-le-corps. J’ai immédiatement adhéré à sa démarche, à son audace, en cosignant sa proposition de loi.
Dans cette dynamique impulsée par Jean-Léonce Dupont, un protocole d’accord a ensuite été signé entre le Gouvernement et la communauté universitaire, le 4 octobre dernier. Nous voici aujourd’hui, à peine trois semaines plus tard, réunis pour donner puissance législative à cet accord, qui constitue une indéniable avancée. Le Parlement, en particulier le Sénat, a montré sa réactivité.
Dans quelques semaines, deux ou trois mois tout au plus, ce texte devrait être définitivement adopté et permettre de sécuriser enfin la prochaine rentrée universitaire, et ce, en dépit d’un calendrier parlementaire terriblement contraint par les prochaines échéances électorales. Je voudrais remercier ici l’ensemble des collègues des différents groupes de notre commission, qui ont tous mesuré l’enjeu de cette réforme et eu une attitude très constructive dans nos débats et l’élaboration de notre réflexion commune.
Je soutiens sans réserve le cœur de la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont : l’instauration du principe de sélection à l’entrée en master. Il était temps que nous en parlions. En effet, depuis 2002, notre organisation, avec cette césure en plein milieu du diplôme de master, était bancale ; ni la loi LRU ni la loi ESR n’avaient pu y remédier. Il était donc plus que temps de remettre notre organisation la « tête à l’endroit » !
Comme l’a rappelé notre rapporteur voilà quelques minutes, nous sommes nombreux ici à émettre des réserves sur l’instauration du mécanisme dit de « poursuite d’études » et à refuser tout « droit au master », tout « droit inconditionnel » à la poursuite des études ; cela ne signifie évidemment pas qu’il ne faut pas se préoccuper de l’avenir et de l’accompagnement de nos jeunes. Je soutiens en tout point ce que notre rapporteur nous a dit à l’instant. Une poursuite d’études ? Oui, mais pour les étudiants qui ont un véritable projet professionnel en ce sens, avec une perspective de débouchés professionnels à l’arrivée ! Oui, mais sans dévaloriser le diplôme de master et en gardant toujours à l’esprit cette exigence de qualité, voire d’excellence, qui fait notre fierté française !
Voilà pourquoi notre commission est très attachée au dispositif d’évaluation qu’elle a inséré dans cette proposition de loi. Les trois prochaines rentrées universitaires en master devront être analysées, évaluées, décortiquées par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, le HCERES. Cette évaluation devra être remise au Parlement avant le mois de mars 2020. Soyez assuré, monsieur le secrétaire d’État, que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sera particulièrement vigilante aux enseignements qui pourront en être tirés. Bien entendu, si besoin est, le législateur prendra ses responsabilités et remettra l’ouvrage sur le métier !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mmes Maryvonne Blondin et Corinne Bouchoux applaudissent également.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, le 1er janvier prochain, la France assurera la présidence du processus de Bologne. Ce processus permet la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur. Cela s’est traduit en France par la réforme licence-master-doctorat de 2002 visant à réorganiser l’offre de formation supérieure en fonction de ces trois niveaux de qualification.
D’une certaine manière, cette adaptation est une course d’obstacles pour notre monde universitaire, qui a besoin d’évolutions. Voilà quelques mois, nous nous sommes attaqués, avec les partenaires, au chantier des contrats doctoraux et de la formation doctorale. Aujourd'hui, nous nous réunissons sur la question du master. Dans un futur que j’espère proche, même s’il dépasse le terme de la présente législature, il faudra probablement travailler sur la licence. Nous devrons innover pour combiner les principes qui – j’en ai la conviction à vous entendre – nous servent de boussole commune. Il y a une volonté de démocratisation, car c’est sur le terrain de l’élévation des niveaux de qualification des jeunes que la compétition entre les nations se développe aujourd'hui. Mais il faut veiller à faire en sorte que cette démocratisation se conjugue avec l’excellence et la qualité des diplômes : nos jeunes doivent être armés pour leur vie personnelle et professionnelle, dont les aléas seront, à n’en pas douter, multiples dans les années à venir.
Depuis 2002, le cursus conduisant au diplôme national de master, constitué de quatre semestres répartis sur deux années consécutives, dites M1 et M2, a été conçu à partir des cycles et diplômes qui existaient antérieurement : maîtrise, diplôme d’études approfondies, ou DEA, et diplôme d’études supérieures spécialisées, ou DESS. L’organisation de ce cursus recouvre aujourd’hui une hétérogénéité de situations, certaines permettant de déployer une formation complète sur quatre semestres, d’autres conservant une procédure sélective à l’entrée de nombreux M2, héritée de l’accès limité qui existait à l’entrée des DEA et des DESS.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, cette situation est insatisfaisante pour tout le monde. Elle est contraire à la règle de l’indivisibilité des quatre semestres du master, dont la validation des deux premiers conditionne seule le passage en seconde année. Elle pénalise les étudiants placés devant l’impossibilité d’obtenir leur diplôme de master faute parfois d’admission en M2 et elle les contraint trop souvent à redoubler leur première année même s’ils l’ont validée. Elle est un frein à la poursuite d’études, notamment pour les étudiants issus de milieux défavorisés. Elle est juridiquement insoutenable, car elle crée des contentieux récurrents, sources d’instabilité aussi bien pour les requérants que pour les établissements mis en cause ; ayons l’actualité récente à l’esprit. Cela a d’ailleurs conduit certains établissements à organiser à l’usage l’orientation à l’entrée de la première année de master, sans base juridique ni réglementation claire, ce qui pénalisait les étudiants les moins informés. Je ne leur jette pas la pierre ; ils l’ont parfois fait parce qu’ils ne savaient pas comment gérer la situation.
La publication du décret du 25 mai 2016 relatif au diplôme national de master a, certes, permis de sécuriser les procédures d’admission à l’entrée en M2 pratiquées par certaines universités pour la rentrée universitaire de 2016. Toutefois, à l’époque, la ministre Najat Vallaud-Belkacem et moi-même avions indiqué très clairement ici même, en réponse à vos interpellations légitimes, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous souhaitions une réponse pérenne et équilibrée aux difficultés d’organisation de l’ensemble du cursus de master, à l’issue d’une large concertation rassemblant l’ensemble des acteurs de la communauté universitaire.
J’insiste sur ce point. Nous n’en avons pas fini avec les défis qui pèsent sur l’enseignement supérieur français, qu’il s’agisse de sa modernisation ou de son nouveau modèle économique. Mais, à mon sens, il faut privilégier la voie de l’accord entre les membres de la communauté universitaire. Ayons une attitude adulte, une démarche de réflexion et de projection, qui conjugue l’intérêt des étudiants, de leur famille et les capacités des établissements et des enseignants-chercheurs. La recherche systématique du consensus est, me semble-t-il, la seule voie sérieuse.
Cette concertation a permis de dégager un compromis et d’aboutir à la position commune du 4 octobre 2016 entre le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et les principales organisations représentant les étudiants – UNEF, FAGE, PDE –, les enseignants et personnels – SNESUP-FSU, SGEN-CFDT, Sup’ Recherche UNSA, SNPTES – et les établissements d’enseignement supérieur, en l’occurrence la CPU et la CDEFI.
Je souhaite remercier chaleureusement ces différents acteurs. Certains ont joué un rôle moteur dans cet accord, que plusieurs parmi eux réclamaient depuis longtemps. Tous ont fait preuve de maturité, passant outre les très nombreux obstacles, qui ont parfois pu faire s’interroger sur la finalisation du processus. Je veux aussi, parce que c’est justice, remercier mes collaborateurs et ceux de Najat Vallaud-Belkacem qui ont accompagné cette démarche. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, tout n’a pas été simple.
Le compromis a été approuvé – ce fut un autre moment fort – par une très large majorité du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche lors de sa séance du 17 octobre 2016. Telle qu’adoptée par votre commission, la présente proposition de loi est la traduction législative de cette position commune visant à permettre une nouvelle organisation du master.
Monsieur le rapporteur, cette proposition de loi, amendée par Dominique Gillot en commission, prend appui sur votre initiative. Vous l’avez formalisée avec vos cosignataires à la fin de l’été ou au début du mois de septembre. L’ensemble des acteurs de la communauté et nous-mêmes avons d’ailleurs interprété votre initiative comme un appel à aboutir, de la part de personnalités ayant des convictions fortes. Je tenais à vous en remercier.
Le texte, ainsi amendé par la sénatrice Gillot, a pour principal objectif de permettre la construction d’une offre de formation de master qui se déroule pleinement sur deux années, en supprimant la barrière sélective actuelle entre la première et la seconde année de master, conformément aux attendus de la réforme LMD et aux standards internationaux, afin de permettre la nécessaire élévation du niveau de qualification des jeunes. Pour ce faire, le texte permet aux universités de mettre en place un recrutement à l’entrée de la première année du deuxième cycle, tout en garantissant à tout titulaire d’un diplôme national de licence un droit à la poursuite d’études dans un cursus conduisant au diplôme national de master. Il sécurise donc les établissements – c’était indispensable – et élargit les possibilités d’orientation des jeunes. Il vise à orienter sans empêcher. Aucun étudiant titulaire de la licence souhaitant poursuivre ses études en master ne sera laissé sans solution, sans choix, sans droit.
Tel est l’objet de l’article 1er tel que vous l’avez modifié en commission. Il permet aux universités de fixer des capacités d’accueil, après un dialogue avec le recteur, et de subordonner l’admission en première année du deuxième cycle au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Ainsi, il facilite un choix fondé sur des critères objectifs, transparents et vérifiant le niveau pédagogique ou le projet professionnel des étudiants. Les réponses à leurs candidatures devront être motivées et communiquées aux candidats. Là aussi, c’est très important.
Cet article encadre également la procédure de poursuite d’études. En effet, tout étudiant titulaire d’un diplôme national de licence qui n’aura pas reçu de réponse positive à ses demandes d’admission en première année de master se verra assurer une inscription. Il reviendra au recteur de région académique de formuler trois propositions d’inscription, dont l’une au moins concernera en priorité l’établissement dans lequel l’étudiant a obtenu sa licence lorsque l’offre de formation le permet et, à défaut, un établissement de la même région académique pour éviter une mobilité trop lourde et imposée. Ces propositions tiendront notamment compte des capacités d’accueil des établissements, du projet professionnel de l’étudiant, mais également de la compatibilité entre les mentions du diplôme national de licence et les mentions du diplôme national de master, assurant ainsi que les étudiants disposeront des prérequis nécessaires au cursus de master dans lequel une admission leur sera proposée. Vous l’avez rappelé, un décret en Conseil d’État, pris après avis du CNESER, précisera les modalités de mise en œuvre de ce droit à la poursuite d’études.
Suite à cela, ce même article supprime la barrière sélective entre M1 et M2, en précisant que « l’accès en deuxième année d’une formation du deuxième cycle conduisant au diplôme national de master est de droit pour les étudiants qui ont validé la première année de cette formation ». Cela confirme la référence à une organisation du master sur quatre semestres.
Cet article permet enfin de maintenir la possibilité de fixer par un décret pris après avis du CNESER la liste des formations dont l’accès est libre en première année de master et pour lesquelles l’admission à poursuivre en deuxième année peut dépendre des capacités d’accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. Une telle disposition permettra de maintenir de manière transitoire l’organisation actuelle du master pour tenir compte de la spécificité de certaines filières dont l’inscription dans les attendus de la réforme LMD nécessitera une réingénierie importante des formations.
En commission, vous avez souhaité prévoir une évaluation par une agence indépendante, évaluation qui vous sera présentée. Cet ajout recueille pleinement notre accord. À titre personnel, je considère même qu’il faut développer les stratégies d’évaluation indépendantes des textes que nous prenons et, si nécessaire, revenir devant le Parlement pour corriger ce qui, à l’usage, mérite de l’être.
Cette réforme ne se limite pas à une simple modification législative. Il s’agit d’un ensemble de mesures concertées avec la communauté universitaire, qui en font un tout cohérent. La loi évoque le décret qui fixera plus précisément le rôle du recteur de région académique. Au-delà de ce cadre réglementaire, nous proposerons une plateforme décrivant la carte nationale des formations conduisant au diplôme national de master, afin de faciliter les candidatures des étudiants.
Lorsque la poursuite d’études s’accompagnera pour l’étudiant d’une mobilité géographique, un dispositif d’aide à la mobilité très précis et sérieux sera mis en place par l’État. Il viendra compenser ce qui peut parfois être vécu comme une sélection sociale.
Enfin, nous lancerons prochainement une réflexion avec la CPU et les organisations représentatives sur l’effet de cette réforme sur le cursus de licence, notamment sur le renforcement du suivi personnalisé prévu par l’arrêté licence du 1er août 2011 et sur les perspectives d’insertion professionnelle. Ce sera également l’occasion d’avancer vers une meilleure articulation avec la licence professionnelle.
Vous l’aurez compris, ce texte étant le résultat d’un travail de coconstruction avec les acteurs de la communauté universitaire, je me fais en quelque sorte le garant de cet accord, comme vous l’avez d’ailleurs fait vous-même, dans cet hémicycle. Si l’amélioration du texte est possible, un amendement dont l’adoption aurait pour effet de dénaturer la portée du compromis ne pourrait évidemment pas recueillir notre accord.
Je me réjouis que, pour l’examen de cette proposition de loi amendée, le Sénat ait fait la démonstration de son agilité. Le texte a été déposé en septembre, et il est examiné en séance publique à la fin du mois d’octobre. Je salue cet exercice d’intelligence parlementaire.
Un tel processus n’est pas le fruit du hasard. C’est la preuve que les parlementaires sont capables de faire avancer la loi, parce qu’ils partagent des convictions essentielles pour l’avenir de notre pays. C’est ce qui nous réunit aujourd'hui, au-delà de nos divergences politiques. Cela rend cette réforme forte, puissante. Dans le même temps, c’est prometteur pour d’autres réformes indispensables à notre système d’enseignement supérieur.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des sujets auxquels on ne touche pas sans trembler.
Au mois de décembre 1986 décédait, à quelques rues d’ici, le jeune Malik Oussekine, tombé sous les coups de « policiers voltigeurs ». Le ministre Devaquet, chargé des universités, démissionna… Une partie de la jeunesse étudiante était dans la rue pour s’opposer à la « sélection à l’université ». Depuis lors, c’est la sélection « par l’échec » et « l’abandon anormal » aboutissant à des parcours universitaires singuliers que nous constatons, faute d’avoir pu mettre en place collectivement une remédiation et une orientation.
Je tiens à saluer les efforts de tous, en particulier du rapporteur Jean-Léonce Dupont, en amont et lors de l’examen de ce texte. Ces efforts, nous pouvons les expliquer par un constat sur lequel nous nous rejoignons tous : le deuxième cycle de l’enseignement supérieur français rencontre des dysfonctionnements et des difficultés juridiques majeurs. Il est insuffisamment soucieux du processus de Bologne et de la logique de LMD, en raison de la distinction, très franco-française, entre le master 1 et le master 2, source d’insécurité juridique non seulement pour les universités, mais aussi pour les étudiants, notamment depuis l’arrêt du 10 février 2016 du Conseil d’État. Il était urgent d’agir. Pour autant, peut-on résoudre en six mois ce que l’on n’a pas résolu en trente ans ?
Le texte initial a été réécrit et revu par notre commission, afin de tenir compte de l’accord du 4 octobre 2016. Ce dernier instaure une possible, mais non obligatoire, sélection à l’entrée du master, et non plus en cours de cycle. Parallèlement, il prévoit un « droit à la poursuite d’études » pour les titulaires d’un diplôme de licence validé qui le souhaitent.
La portée du droit à la poursuite d’études a soulevé d’importants et intéressants débats au sein de notre commission. Pour certains, ce droit aurait gagné à être opposable, car il se limiterait sinon à une illusion ; pour d’autres – plutôt du côté droit de l’hémicycle –, il annihilerait le principe de sélection posé par l’accord. Néanmoins, force est de constater que l’accord initial entre différentes parties a suscité l’adhésion de la plupart des acteurs de l’enseignement supérieur. Je pense aux organisations étudiantes et aux présidents d’université, dont certains sont présents dans nos tribunes, ainsi qu’au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à d’autres acteurs dont le rôle a visiblement été apaisant ; ils ont fait en sorte qu’il n’y ait pas de malentendu de communication sur ce texte. En plus, cet accord a été approuvé à une large majorité par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce qui n’est plus si fréquent.
Cet accord est donc le fruit d’une réelle concertation et propose une solution aux difficultés rencontrées par notre deuxième cycle. Je suis convaincue de la nécessité que cette proposition de loi, ainsi parvenue à une forme d’équilibre, aboutisse. Dans un souci de mettre le plus vite possible fin au flou juridique signalé, je rejoins l’idée selon laquelle le texte devrait s’appliquer dès la prochaine rentrée universitaire. Néanmoins, ne soyons pas naïfs, sa mise en œuvre dans un laps de temps très court nécessitera un très gros travail de pédagogie auprès de tous les acteurs du monde universitaire, mais surtout auprès des lycéens, qui sont toujours prompts à se mobiliser autour de leurs établissements au nom de causes plus ou moins importantes. Autrement dit, nous devrons maintenir le dialogue pour expliquer le sens de cet accord, qui n’est pas un renoncement. Au contraire, il est le résultat d’un consensus ; la démarche est beaucoup plus positive.
Nous sommes convaincus que la sélection à l’entrée du master doit s’accompagner d’un droit à la poursuite d’études ; ce dernier doit être effectif. Tel qu’il est prévu dans l’accord, ce droit semble relativement facile à mettre en œuvre dans les métropoles, mais peut-être moins dans les villes de taille moyenne. Chacun le sait, l’offre universitaire est plus importante dans les premières ; les étudiants issus des métropoles auront donc plus de chances de trouver sur place des possibilités de deuxième ou troisième choix.
La question, cruciale, de la mobilité se pose donc pour un certain nombre de villes en région. Selon nous, elle doit attirer toute notre attention dans la mise en œuvre du texte ; il y va de l’effectivité du droit à la poursuite d’études et de la réussite du processus. Il faudra mener une réflexion sur le coût des transports, des déménagements et du logement ; tous les étudiants ne pourront peut-être pas y faire face. L’effectivité de la réforme pour toutes les étudiantes et tous les étudiants, quelles que soient leurs origines sociales, dépendra donc du déploiement de moyens et de l’accompagnement, notamment pour les boursiers.
À nos yeux, la solution apportée pour l’entrée en M1 masque en réalité une autre question beaucoup plus profonde : celle de l’orientation tout au long de la vie. Mme la présidente de la commission de la culture y a fait référence. Nous pensons qu’il faut en France une orientation beaucoup plus individualisée – cela nécessite des moyens –, beaucoup plus souple, avec un droit à l’erreur.
Vous l’avez compris, nous souhaitons donner une chance à la traduction législative de l’accord du 4 octobre 2016. Nous remercions donc les auteurs de cette proposition de loi, qui est désormais un texte à deux voix : celle de Jean-Léonce Dupont et celle de Dominique Gillot.
Nous espérons que, pour l’avenir, nous formerons à la pédagogie les enseignants-chercheurs. À l’heure de la formation tout au long de la vie, être capable de remédier aux lacunes des étudiants et à leurs difficultés d’adaptation est un défi que nous devrons tous relever. Nous faisons confiance à l’intelligence collective.
Certains voudraient supprimer le Sénat ; je me permets de leur dire que ce n’est peut-être pas une très bonne idée.
Marques d’approbation sur plusieurs travées.
La soirée d’aujourd'hui montre que le Sénat est aussi le lieu de l’intelligence collective, où nous avons, pour l’essentiel, notre carrière derrière nous, et pas devant nous.
Monsieur le secrétaire d’État, nous espérons que la pédagogie sera mise en œuvre au retour des vacances. Aujourd'hui, les lycéens et les étudiants sont en vacances. Mais, dans dix jours, nous devrons leur expliquer que ce texte, loin d’être un signe de défiance, est au contraire une chance pour notre jeunesse !
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dès 1999, la France s’est engagée dans le processus de Bologne, qui vise à harmoniser l’architecture du système européen d’enseignement supérieur. Cette architecture est basée sur trois cycles – licence, master et doctorat –, définis en 2002. Elle s’est précisée au fil des années et des sommets, d’ailleurs difficilement ; l’intervention détaillée de notre rapporteur en décrivait bien les aléas.
En 2013, la loi Enseignement supérieur et recherche a introduit l’insertion professionnelle dans les missions de l’enseignement supérieur, insistant sur la réussite en premier cycle, avec le plan consacré à la licence, l’accompagnement des parcours, la qualité de vie étudiante et la synergie entre enseignement supérieur et recherche.
Depuis ces années, un grand nombre de difficultés perdurent : une disparité inacceptable dans le deuxième cycle, y compris sur un même site ; un étranglement entre le M1 et le M2 ; une angoisse récurrente chez les étudiants qui ne sont pas assurés de pouvoir poursuivre sereinement en deuxième année de leur master engagé.
L’entrée en deuxième cycle universitaire, période décisive, peut être bien complexe pour un étudiant. Il doit définir son périmètre de mobilité, rechercher sur les sites des établissements visés les formations correspondant à son projet professionnel, prendre connaissance des évaluations du HCERES, rédiger autant de lettres de motivation et de dossiers de candidature que nécessaire, puis attendre de savoir s’il sera retenu, et où ! Il doit aussi anticiper que toutes ces étapes pourront se reproduire l’année suivante pour entrer en deuxième année de ce master et poursuivre son cycle.
Pour les établissements, notamment pour ceux qui ont choisi de limiter le nombre de places de leur master pour assurer un certain niveau de suivi pédagogique, un certain niveau d’accompagnement des stages, d’encadrement de la rédaction des mémoires, chaque rentrée se fait avec le risque d’être poursuivis devant le tribunal administratif.
La situation n’est satisfaisante pour personne. Le décret ministériel que vous avez signé au mois de mai dernier, monsieur le secrétaire d’État, pour sécuriser la rentrée de 2016 ne pouvait pas tenir bien longtemps. La polémique, dogmatique, risquait d’enfler et de compromettre toute recherche d’équilibre.
Il aura fallu le courage du Gouvernement pour ouvrir les discussions avec des partenaires jugés inconciliables et faire preuve d’une volonté pugnace pour aboutir à un accord avec tous les acteurs de la communauté universitaire autour d’un recrutement en master respectant les enjeux dégagés et partagés : assurer l’élévation du niveau de qualification de nos étudiants ; relever le pari que l’essor de notre pays passe par la diversification des origines sociale et géographique de ses cadres ; respecter, enfin, les engagements du processus de Bologne ; ne laisser personne sans diplôme et impérativement assurer une continuité avec la licence, en sécurisant bien les parcours ; prendre en compte les contraintes liées aux flux entrants ; rechercher une plus grande équité entre les parcours d’enseignement supérieur et rendre les filières universitaires plus attractives grâce à un meilleur recrutement, à un meilleur accompagnement et en imposant des exigences de réussite.
La proposition de loi de Jean-Léonce Dupont visant à instaurer une sélection dès l’entrée en master, déposée en septembre 2016, a devancé l’accord conclu le 4 octobre dernier. C’est le respect de cet accord qui a conduit la commission, après avis favorable du rapporteur, à adopter un amendement que j’avais déposé tendant à transcrire l’accord dans le texte de la proposition de loi dont nous débattons ce soir. Ce texte, lorsqu’il sera adopté, garantira le processus master sur ses quatre semestres, sans barrière en fin de premier cycle. Il s’appuiera sur une vraie carte des masters, plateforme qui rendra visible l’ensemble des filières sur tout le territoire, et permettra des choix éclairés et une orientation transparente.
Enfin, ce texte, qui reprend les termes d’un compromis issu de la concertation loyale et sincère de l’ensemble de la communauté universitaire, instaurera le droit à la poursuite des études.
Les établissements procéderont par concours ou sur dossier au recrutement en première année de master quand leur conseil d’administration aura voté une capacité d’accueil, négociée avec l’État et validée par le recteur, chancelier des universités. Chaque décision des jurys de recrutement sera motivée et notifiée à l’étudiant. Un étudiant qui n’aura pas été admis se verra proposer une inscription dans trois formations tenant compte de son projet professionnel, en privilégiant autant que faire se peut son établissement d’origine.
La mise en œuvre de ce droit à la poursuite des études, sous la responsabilité du recteur de la région académique, suppose trois conditions.
Elle suppose tout d’abord une meilleure visibilité de l’offre de formation pour chaque domaine. La cartographie nationale de l’offre de formation, déjà en expérimentation dans certaines régions, répondra à cette nécessité, réduisant les biais dans les choix des candidatures, et garantira que les propositions des recteurs seront au plus proche des attentes des étudiants.
Elle suppose ensuite un travail en bonne intelligence entre les recteurs et les établissements pour offrir la meilleure solution possible aux étudiants. Depuis le début de l’été, afin de trouver des pistes pour les étudiants malheureux du tirage au sort à l’entrée en licence, les équipes ont fait preuve d’engagement et de solidarité. Elles ont su augmenter leur capacité d’accueil et même contacter d’autres établissements quand il leur restait des places à pourvoir. Nous sommes donc quelque peu rassurés sur ce point, qui suscite encore des craintes.
Elle suppose enfin que la mobilité encouragée des étudiants sur le territoire ne soit pas tributaire de leur capacité financière pour être épanouissante. L’État devra veiller à la possibilité de poursuivre en deuxième cycle. Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons vos engagements sur ce point.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il me semble que ces trois conditions sont aujourd'hui réunies, et je ne suis pas la seule à le penser. L’ensemble des organisations étudiantes représentatives, sans aucune exception, défendent ce texte qu’elles ont signé. Les enseignants, les enseignants-chercheurs, les présidents et les directeurs d’établissement, via leurs syndicats et leurs conférences, le soutiennent aussi.
Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, réuni en session plénière le 17 octobre dernier, a voté très majoritairement, à 71, 4 %, pour la mise en œuvre réglementaire du texte issu des travaux de la commission. Un tel niveau d’adhésion est suffisamment rare au CNESER pour le signaler, s’appuyer dessus et s’en réjouir !
Le calendrier parlementaire est connu de tous. Défenseurs de l’enseignement supérieur de qualité dans notre pays, de l’égalité d’accès aux études supérieures réussies, nous devons mobiliser nos efforts pour sécuriser la rentrée universitaire prochaine, dont les inscriptions, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, commencent à la fin du printemps. Pour cela, il importe de permettre l’instauration de cette réforme souhaitée et attendue en adoptant ici, au Sénat, ce texte, qui devra ensuite être voté conforme à l’Assemblée nationale.
Le groupe socialiste et républicain, auquel j’appartiens, votera cette proposition de loi dans un esprit de responsabilité et avec le sentiment, monsieur le secrétaire d'État, de contribuer au mouvement engagé de progrès et de modernisation de l’enseignement supérieur.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir débattu, la semaine dernière, des conclusions du rapport de notre collègue Guy-Dominique Kennel consacré à l’orientation scolaire, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Jean-Léonce Dupont portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système LMD.
Ces questions pourraient sembler étrangères l’une à l’autre ; il n’en est rien, elles sont intimement liées. Je signalais, la semaine dernière, la situation difficile des universités françaises, qui résulte de la massification de l’enseignement supérieur et du doublement des effectifs étudiants depuis les années quatre-vingt. Je tiens néanmoins à rendre hommage à Thierry Mandon pour la sanctuarisation des crédits cette année. Je serai néanmoins vigilant, gardant à l’esprit le coup de rabot qui avait été donné l’année dernière par les députés. Nous espérons tous que cela ne se reproduira pas cette année.
On peut, bien sûr, se féliciter de constater que la proportion d’enfants d’une classe d’âge diplômés de l’enseignement supérieur a atteint des sommets autrefois inaccessibles. Cependant, toute médaille a son revers : en la matière, le revers est effrayant, et à double titre. Pour affronter l’échec et le décrochage, la solution passerait peut-être non pas seulement par la massification, mais également par la diversité des parcours.
D’abord, le diplôme ainsi obtenu ne constitue plus, tant s’en faut, une garantie de trouver un emploi. Ainsi que l’expose très justement notre collègue Dupont dans son rapport, la situation des diplômés de l’enseignement supérieur ne trouvant pas leur juste place sur le marché du travail est doublement difficile, car ils doivent souvent choisir entre le chômage et le déclassement.
Ensuite, les universités n’ont pas vu leurs dotations croître dans des proportions comparables à l’augmentation des effectifs. Qu’il s’agisse de moyens humains ou financiers, on demande donc aux universités de faire beaucoup plus, à moyens constants. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez reçu une lettre de la CPU dans laquelle il était question d’insécurité, d’insincérité et surtout peut-être de budgets déficitaires.
Une telle situation est littéralement intenable à long terme, soyons-en conscients. Elle porte en elle le germe d’une détérioration de la qualité du service offert et fait craindre l’avènement d’un système d’enseignement supérieur à deux vitesses : d’un côté, l’université gratuite non sélective dispensant un enseignement de masse de faible qualité ; de l’autre, les établissements payants sélectifs disposant de moyens considérables pour offrir une formation de qualité à des étudiants choisis parmi les meilleurs. Est-ce vraiment cela que nous souhaitons construire ?
Je félicitais, la semaine dernière, notre collègue Kennel de proposer la mise en place d’une sélection raisonnable à l’entrée de l’université dans les filières sous tension. Jean-Léonce Dupont a évoqué trois filières : le droit, la psychologie et les STAPS. Est-il normal qu’il y ait un droit de tirage ?
Je renouvelle mes félicitations, mais je souhaiterais insister sur le lien entre, d’une part, le refus dogmatique et socialement injuste de la sélection à l’entrée de l’université et, d’autre part, la nécessité d’une sélection en master : l’absence de la première rend la seconde absolument nécessaire.
Faut-il que cette sélection ait lieu en première ou en seconde année de master ? J’avoue qu’il me semblerait raisonnable, sur une telle question, de reconnaître la plus grande liberté aux universités. Toutefois, dans la mesure où les dispositions de ce texte, telles qu’elles résultent des travaux en commission, confèrent une certaine souplesse en prévoyant le principe de la sélection à l’entrée en M1 et la possibilité transitoire d’une sélection retardée à l’entrée en M2, celles-ci me semblent très acceptables.
L’instauration d’un droit à la poursuite d’études en master m’interpelle, notamment en raison du risque de dévalorisation du master. J’ai bien compris, monsieur le secrétaire d'État, que le véhicule législatif emprunté par notre collègue Jean-Léonce Dupont était peut-être une aubaine. Quoi qu’il en soit, nous nous interrogeons sur cet accord historique, car nous avons peur de cette université à deux vitesses. Nous avons auditionné ce matin des étudiants qui craignaient l’émergence de masters « poubelles » opposés à des masters de qualité. Nous voudrions attirer votre attention sur cette inquiétude. Le risque est grand, surtout, de conduire à la création de masters spécifiquement tournés vers l’accueil des refusés.
Nous sommes inquiets de cette université à deux vitesses, mais inquiets aussi de la mise en place opérationnelle par le recteur, chancelier des universités, qui aura une lourde tâche. La formulation retenue par la commission pour l’article L. 612-6, alinéa 3, du code de l’éducation me semble toutefois de nature à éviter ces risques.
J’aimerais, enfin, vous faire part d’une réserve d’interprétation quant à une phrase relevée dans le rapport. Celui-ci mentionne que « la sélection est aussi l’assurance de recruter des étudiants de haut niveau dans les formations de haut niveau que sont les masters puis, a fortiori, les doctorats ». Cette affirmation est tout à fait pertinente, et je la fais mienne sans hésiter. Cependant, la phrase qui suit immédiatement me semble susceptible d’une interprétation que j’aimerais écarter. Il y est affirmé que c’est « à partir de ce niveau de formation universitaire » – c'est-à-dire le master – « que les étudiants bénéficient pleinement de l’activité de recherche de leurs enseignants ».
Une lecture a contrario de cette phrase pourrait conduire à relativiser l’importance de la recherche pour les universitaires enseignant en premier cycle, ce qui me semblerait infondé. Je crois en effet très important d’affirmer l’immense intérêt et la chance inouïe des étudiants de pouvoir bénéficier, dès la première année, de cours dispensés par des enseignants de très haut niveau, parce qu’ils sont pleinement investis dans leurs missions de recherche. Je suis convaincu que, parce qu’ils constituent le socle sur lequel reposent toutes les matières enseignées par la suite, les enseignements de licence doivent se nourrir, en permanence, des recherches menées par l’enseignant.
Le premier cycle universitaire ne peut pas et ne doit pas être réduit à un prolongement du lycée. Il me semble dès lors capital de maintenir l’intérêt, pour les professeurs les plus brillants et les mieux investis dans leurs activités scientifiques, qu’il peut y avoir à prendre en charge de jeunes étudiants. C’est aussi cela qui permettra à l’université française de remplir ses importantes missions.
Monsieur le secrétaire d'État, en commission, nous avons beaucoup débattu, notamment avec Bruno Retailleau, que je salue, du droit à poursuivre des études, sujet qui nous inquiétait et sur lequel nous éprouvions des réserves. Nous ne sommes ni dupes ni complices, mais tout simplement pragmatiques. Depuis 2002, l’ensemble de la communauté éducative et surtout les étudiants attendent une sécurité plus importante dans le suivi des études. Après les prochaines échéances électorales de 2017, viendra peut-être le temps d’une refondation pas simplement de l’école, mais aussi de l’université.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, personne ne conteste plus aujourd’hui l’exigence d’élévation du niveau des connaissances. Nous revendiquons pour notre part cette élévation pour tous et toutes, considérant qu’il s’agit d’une condition pour que notre société puisse faire face à son propre développement. La France a d’ailleurs pris dans ce domaine des orientations importantes via la stratégie nationale de l’enseignement supérieur. Celle-ci fixe un cap clair : porter à 60 % d’une classe d’âge, contre 42 % aujourd’hui, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur. Cela impose, selon nous, de réinterroger la question des capacités d’accueil et des moyens budgétaires.
La StraNES propose de consacrer 2 % du PIB à l’enseignement supérieur et, surtout, d’exclure ces dépenses des calculs des déficits publics. Les derniers projets de loi de finances nous placent bien loin de cette ambition ! De plus, les difficultés budgétaires des universités consécutives à la loi LRU et au passage aux RCE ne sont pas derrière nous. De nouvelles inquiétudes s’expriment en cette rentrée 2016 face à l’inadaptation des moyens par rapport à l’afflux de nouveaux étudiants, d’autant qu’après cette rentrée se profilent 30 000 à 40 000 nouvelles arrivées pour 2017. Voilà dans quel contexte nous débattons aujourd’hui !
L’accord du 4 octobre signé par la quasi-totalité des organisations représentatives prévoit la mise en place d’une plateforme sur laquelle les étudiants saisiront leurs vœux de master et sur laquelle les universités se sont engagées à rendre publics et transparents les capacités d’accueil, les prérequis… Cette plateforme est une bonne chose. Cette transparence devrait d’ailleurs être généralisée à l’ensemble des cycles.
Que prévoit le texte que nous examinons ce soir ?
Conformément à l’accord du 4 octobre, il vise à apporter une réponse à la mise en œuvre inachevée du système LMD, issu du processus de Bologne, processus auquel, je le rappelle, mon groupe était opposé. Il s’agit donc de légaliser la barrière « sélective », actuellement pratiquée par les universités entre le M1 et le M2, pour la déplacer à l’entrée du master, et de modifier en conséquence le code de l’éducation. Or nous continuons de défendre le principe d’une non-sélection dans la poursuite des études supérieures, ce qui n’exclut pas – bien au contraire ! – d’améliorer les processus d’orientation.
Certes, l’accord prévoit en contrepartie un « droit à la poursuite d’études en master », fruit du compromis obtenu le 4 octobre. Cela fait d’ailleurs réagir les partisans de la sélection sèche, qui la revendiquent dès l’entrée à l’université, couplée à une hausse des frais d’inscription.
Comment pourrait se déployer ce « droit » à la poursuite d’études en master qui, dans la proposition de loi, n’est pas nommé comme tel, étant entendu que ce sont les conseils d’administration des universités qui fixent leurs capacités d’accueil ? Ce dernier point, en revanche, est bien précisé dans le texte.
L’étudiant dont les premiers vœux de master n’auront pas abouti devra demander au recteur le déclenchement du dispositif qui comprendra trois propositions. L’une, au moins, devra tenir compte de son projet professionnel et de l’établissement où il a obtenu sa licence. Il appartiendra au recteur, en « dialogue » avec les universités, de lui trouver une place en master.
L’accord prévoit que cette demande formulée par l’étudiant pourra se faire immédiatement après l’obtention de la licence ou de manière différée. La proposition de loi omet cette précision importante ; nous avons déposé un amendement pour y remédier.
Deux propositions pourront donc concerner une place en master hors de son établissement d’origine, dans des régions académiques, pour certaines, très élargies du fait de la loi NOTRe. Dès lors, notre inquiétude fondamentale réside dans la capacité d’accompagnement pédagogique et d’aide à la mobilité géographique des étudiants, notamment au travers du volet financier.
Le Gouvernement a indiqué qu’il n’ouvrirait pas dans le projet de loi de finances pour 2017 une ligne budgétaire dédiée, donc pérenne, et que le financement s’opérera par redéploiement budgétaire, grâce à une sous-consommation « estimée » du dispositif ARPE, voté cet été. Autant dire que les capacités de mobilité risquent d’être faibles. C’est pourquoi je propose une solution pour abonder ce fonds d’aide à la mobilité via un redéploiement, très partiel je vous rassure, du dispositif du crédit d’impôt recherche dédié – faut-il le rappeler ? – aussi à l’embauche de jeunes docteurs, donc à leur formation.
Je rappelle qu’un étudiant sur deux travaille pour financer ses études. Une prime d’installation, dont le montant évoqué tournerait autour de 1 000 à 1 500 euros, ne prend pas, à mon sens, la mesure des besoins imposés par une mobilité géographique. S’agissant des boursiers, l’aide prendra la forme d’une surpondération du critère « géographique ».
Ce dispositif s’apparente, selon moi, à une tentative de régulation et de gestion des flux, loin de l’ambition de la StraNES et de ses objectifs pour une « réelle démocratisation de l’accès aux études supérieures ». Il s’agirait, au contraire, de défendre une réforme qui réponde aux besoins avec un cadre national des diplômes et qui lutte contre les déterminismes sociaux. En licence, 28 % des étudiants sont des enfants de cadres et 26 % des enfants d’ouvriers ; mais, en master, 34 % des étudiants sont des enfants de cadres et 17 % des enfants d’ouvriers.
Mes chers collègues, telles sont les réserves et les inquiétudes qui nous empêcheront de voter en l’état le texte qui nous est proposé ce soir.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je crains toujours l’unanimisme fondé sur des ambiguïtés revendiquées.
La proposition de loi de notre collègue Jean-Léonce Dupont est l’aboutissement synthétique d’une excellente analyse de la situation. Je ne peux, comme d’habitude, que rendre hommage à son travail.
Je ne vous cacherai pas plus longtemps que je ne suis pas convaincu qu’il ait été opportun que ce bon véhicule législatif soit envahi par le contenu de l’accord obtenu le 4 octobre dernier par le Gouvernement avec certaines organisations syndicales et le président de la conférence des présidents d’université. La caractéristique du bernard-l’ermite ou du coucou législatif, c’est de se glisser dans une enveloppe en changeant le texte initial.
Rires sur les travées de l'UDI-UC.
Je suis convaincu que nous partageons presque tous le même constat sur la situation de l’université française. Elle a une capacité incontestable à former des étudiants de grande qualité, dont un certain nombre d’ailleurs vont ensuite exercer leurs talents à l’étranger, dans des pays heureux d’accueillir ces jeunes brillants qui sont le produit, certes, de leur travail, mais aussi des efforts de la nation française.
Pour autant, les classements internationaux, en vérité discutables, doivent nous alerter sur l’impérieuse nécessité de donner les moyens nécessaires à l’enseignement supérieur et à la recherche.
Dans le bilan, on ne saurait occulter, comme le souligne le rapport, que 55 % de l’offre de formation supérieure est sélective, en regroupant 65 % des étudiants, et que la place de l’enseignement supérieur privé augmente fortement, représentant 19 % des effectifs, avec une croissance de 45 % en douze ans. Voilà quel est le résultat de la politique menée par les gouvernements successifs !
La réalité, la triste réalité, relevée par le rapport, c’est que ce sont les étudiants issus des classes moyennes et modestes qui remplissent les formations non sélectives. L’ascenseur social, fierté des Républiques précédentes, est en panne. Songez qu’ils ne sont que 34 % à obtenir leur licence en trois ans et 43 % à ne jamais l’obtenir.
Oui, la non-sélection est devenue la sélection par l’échec, c’est-à-dire la pire : celle du temps perdu, de la dévalorisation de soi-même, de la désespérance et aussi du rejet du système social et institutionnel ! L’une des causes fondamentales de cette situation relève de notre responsabilité collective, d’une absence de courage des gouvernements successifs et de nous-mêmes depuis un demi-siècle. En fait, elle relève de notre incapacité à assumer et à expliquer le mot « sélection ». Pour avoir été membre pendant cinq ans du premier CNESER, monsieur le secrétaire d'État, et pour avoir passé onze années de ma vie comme étudiant et enseignant à Paris-I et à Paris-II, j’ai certainement participé à cette incapacité. J’assume donc ma part de responsabilité.
Ce qui est inadmissible, ce n’est pas de sélectionner par le mérite, mais c’est de ne pas donner à chacun sa chance, quelle que soit son origine sociale ou géographique. À force d’assimiler le mot « sélection » à un instrument de lutte des classes, d’aucuns, dont certains syndicats, ont de fait contribué à créer une situation où fractures sociale et territoriale se sont aggravées. Dans ce contexte, remettre sur la table l’idée de la sélection est un élément positif de l’accord du 4 octobre 2016.
Passer au système LMD dans une optique européenne calée sur la tradition anglo-saxonne n’était pas forcément la meilleure solution. Par exemple, nos IUT, pourtant très performants, en font les frais, comme ils subissent les conséquences de l’autonomie des universités.
Je persiste à considérer que la solution logique, de bon sens, est de mettre en place la sélection à l’entrée du master 1. Maintenir un système boiteux au milieu du parcours master est aberrant !
Quant au système découlant de l’accord du 4 octobre 2016, il est malheureusement dans la logique de ce que nous vivons au niveau de l’exécutif ces dernières années : je dis oui et je fais non ; j’avance un pied et je recule l’autre !
On dit à la fois oui à la sélection et au droit de poursuivre des études. Reconnaissez que c’est tout de même original !
En réalité, ce que nous propose le Gouvernement, suite à l’accord syndicat et président de la CPU, c’est l’affirmation d’un principe de sélection, suivi dans la pratique de l’inverse.
Si ce compromis fait consensus, c’est qu’il permet à chaque partie de revendiquer la sauvegarde de sa doctrine. Comme se plaisait à le dire Édouard Herriot : « Appuyons-nous sur les principes, ils finiront par céder » ! §Mais c’était un optimiste, car, ici, l’exécutif s’appuie sur deux principes contradictoires pour construire une voie dont je crains qu’elle ne soit une impasse !
Comme le relevaient à juste titre les professeurs Beau et Galderisi dans Le Monde du 7 octobre dernier : « Admirons ce paradoxe ubuesque : les équipes pédagogiques auront le droit de ne pas accueillir les étudiants de leur propre université dont elles estiment qu’ils ne possèdent pas les prérequis, mais elles devront accepter d’inscrire dans leurs filières des étudiants refusés ailleurs ! Il n’y a plus de sélection pour tous, mais au contraire l’admission pour chacun, voulue et décidée par l’État contre les universités, au terme d’une combinazione absurde et coûteuse. » Ils ajoutaient : « Ce projet de loi aurait pour effet, s’il était adopté, de retirer aux universités le peu d’autonomie didactique dont elles bénéficiaient encore. Que le recteur décide au nom de l’État d’affecter des étudiants dans des masters contre la volonté des équipes pédagogiques signifie que l’autonomie des universités n’existe plus. »
La réalité, c’est que cet accord, une fois de plus, sera préjudiciable aux étudiants issus de classes défavorisées. Certes, ils auront un diplôme de papier, mais il sera difficilement négociable dans le monde du travail. Là encore, comme pour la réforme territoriale, la fracture entre Paris, les grandes métropoles et les universités puissantes, et les autres s’approfondira.
Un bon accord est celui qui permet à toutes les parties de s’élever, d’où les préoccupations et les interrogations qui sont les nôtres.
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présente proposition de loi est un texte important. Elle a deux objets qu’il convient de bien distinguer.
Le premier est de déplacer le curseur de la sélection actuellement effectuée entre le master 1 et le master 2 à l’entrée en master 1.
Une fois encore, le mot terrible est lâché : « sélection » ! Un mot qui ne nous fait pas plus peur qu’au rapporteur, car il y a une véritable hypocrisie dans ce débat. Pour certains, l’université ne devrait pas sélectionner. Or que se passe-t-il quand on ne sélectionne pas ? La sélection a tout de même lieu, mais pas comme on le voudrait. D’une part, les meilleurs tentent d’échapper à l’université en se réfugiant dans les grandes écoles. D’autre part, la sélection se fait à l’université par l’échec.
En n’assumant pas le fait que l’université a aussi vocation à sélectionner, on renforce le système français d’un enseignement supérieur à deux vitesses. Alors que chacun sait qu’il faut tendre vers une convergence entre l’université et les grandes écoles, on laisse nombre de jeunes perdre leur temps dans des cursus qui ne leur conviennent pas.
In fine, le paradoxe est frappant : en ne fixant pas nous-mêmes les critères de la sélection, celui du mérite, du travail et de l’excellence, on laisse le champ libre au darwinisme social. En effet, le plus souvent, ce ne sont pas les jeunes les plus défavorisés qui se retrouvent dans les grandes écoles. En revanche, ce sont eux qui, lorsqu’ils sont brillants, peinent à être distingués par un système universitaire réputé non sélectif. Pour eux, la sélection au mérite n’est pas une pénalité, mais est une chance, voire un droit. Oui, il y a un droit à être sélectionné, c’est-à-dire à être valorisé pour sa compétence ! Oui, il y a un droit à sortir du lot !
Cela dit, ne nous trompons pas de combat. Le présent texte n’a pas vocation à instaurer une sélection qui ne lui préexistait pas. Pas du tout ! Il s’agit juste de déplacer le curseur d’une sélection existante.
La problématique est bien connue. Alors que le système LMD a été mis en place en France à partir de 2002, la sélection qui s’opérait traditionnellement à l’entrée des DEA et DESS a perduré. Le résultat est kafkaïen : la sélection s'opère entre le M1 et le M2, ce qui aboutit à une situation intenable à la fois sur le plan pédagogique et sur le plan juridique.
Sur le plan pédagogique, la sélection en M2 revient à couper en deux un cursus conçu comme un tout indissociable de quatre semestres.
Sur le plan juridique, elle a conduit des étudiants ayant validé leur M1 à être refusés dans le M2 de leur choix. Certains de ces étudiants ont attaqué cette décision devant les tribunaux et ont obtenu gain de cause, c'est-à-dire leur inscription forcée.
La situation est évidemment intenable. Pour y remédier temporairement, le décret du 25 mai dernier dispose que la sélection ne peut être opérée en M2 que pour les étudiants s'inscrivant dans un M2 différent de leur M1 ou qui changent d'établissement entre le M1 et le M2. C'est évidemment une rustine destinée à faire passer le cap de la rentrée de 2016 sans trop de heurts. L'intervention du législateur était inévitable et urgente.
Déplacer le curseur de la sélection à l'entrée du master est une mesure de bon sens, qui aurait dû être prise depuis au moins dix ans. Cela n’a pas été le cas, car elle a été couplée à une autre question, qui constitue le second objet du texte : la création d'un droit à la poursuite d'études après la licence.
De fait, le dépôt de la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont a donné un coup de pied dans la fourmilière. Alors que les négociations sur le droit à la poursuite d'études s'enlisaient, l'inscription de ce texte dans la niche du groupe UDI-UC les a débloquées. Un accord qualifié d'« historique » par la ministre de l'éducation nationale a été conclu le 4 octobre dernier entre le Gouvernement et les organisations représentant les étudiants, les personnels et les universités sur le droit à la poursuite d'études. Par l'adoption d'un amendement de Dominique Gillot, l'accord a été intégré à la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont, qui en était le véhicule législatif naturel.
Concrètement, en vertu de cet accord, lorsqu'un étudiant se verra refuser l’accès aux masters de son choix, il pourra demander au rectorat de lui présenter des propositions alternatives. Le rectorat devra alors lui faire trois propositions, dont au moins une dans la région académique où l'étudiant a obtenu sa licence, sauf en l'absence de places disponibles. Des fonds d'aide à la mobilité seront créés pour les étudiants obligés de se déplacer et qui en auront économiquement le plus besoin.
Ce dispositif soulève deux questions de principe et deux questions pratiques.
Sur le plan des principes, on peut se demander s'il n'est pas contradictoire d'entériner le fait que certains masters sont sélectifs pour, en contrepartie, consacrer un droit à la poursuite d'études. Ça l'est potentiellement, mais pas nécessairement.
En l'occurrence, la manière dont ce droit est conçu nous semble de nature à vider la critique de sa substance. En effet, il ne s'agit pas d'un droit opposable, comme en témoignent les garde-fous qui l'accompagnent. Notre rapporteur l'a déjà indiqué : les propositions du rectorat devront correspondre au projet professionnel de l'étudiant ; l'étudiant devra remplir des prérequis ; des places devront être disponibles et le chef d'établissement concerné devra donner son accord explicite au recteur.
Sur le plan des principes toujours, mais cette fois sur un terrain un peu plus philosophique, on peut se demander si la société doit accorder un droit au master. Ce qui revient à s'interroger sur le rôle de l'université : doit-elle seulement préparer à la vie professionnelle ou aussi donner une ouverture culturelle et intellectuelle, même non professionnalisante ? « Les deux, mon capitaine ! », répondrons-nous en bons centristes.
Mais le système proposé pose aussi deux problèmes pratiques : un problème administratif et un problème pédagogique.
D'un point de vue administratif, il faut garantir l'effectivité de ce nouveau droit. Le rectorat aura-t-il les moyens de répondre aux demandes des étudiants qui se verront refuser leurs premiers choix de master ? Les propositions faites par le rectorat satisferont-elles les étudiants ou bien seront-elles de nouveau génératrices de contentieux ? Les fonds d'aide à la mobilité seront-ils suffisants pour ne pas vider le droit de sa substance ?
D'un point de vue pédagogique, il est à craindre que la dynamique du « droit au master » conduise à la constitution d'une filière master à deux niveaux : un niveau sélectif et un niveau non sélectif. C'est la problématique des masters « poubelles ».
Évidemment, on ne peut pas éluder ces questions, mais seule l'expérience permettra d'y répondre. C'est pourquoi notre commission, sous la houlette de notre rapporteur, a incorporé un dispositif d'évaluation.
À la fin de 2019, le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur réalisera une évaluation du droit à la poursuite d'études. L'évaluation portera sur l'impact du droit sur la qualité de l'offre de formation en deuxième cycle ainsi que sur la sécurisation juridique des parcours. C'est fondamental ! C'est une véritable clause de revoyure.
Merci et félicitations à Jean-Léonce Dupont d'avoir eu le courage et la ténacité de vraiment faire bouger les choses sur un sujet aussi important et aussi sensible !
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains. – Mmes Corinne Bouchoux et Claudine Lepage applaudissent également.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis 2002, les universités françaises se conforment officiellement au système européen licence-master-doctorat. Dans la réalité, elles ont conservé la césure entre la quatrième année – la maîtrise d’autrefois, le master 1 d’aujourd'hui – et la cinquième année – le DEA ou le DESS de naguère, c'est-à-dire le master 2 actuel. À l’issue de la première année de master, les étudiants doivent passer devant un jury ou présenter un dossier pour entrer dans les masters 2 les plus réputés.
Ainsi, depuis quinze ans, dans les masters où la compétition est la plus vive et le nombre de places limitées, les universités ont mis en place une véritable sélection, qu’aucun texte législatif n’autorise. Il convient de souligner qu’il ne s’agit pas là d’un problème de places disponibles, puisque le nombre est pratiquement le même : 130 000 en master 1 et 120 000 en master 2. Non, il s’agit plutôt de l’orientation des étudiants, qui, aujourd'hui, est souvent synonyme de sélection par l’échec !
L’organisation du cycle de master devait donc être sérieusement réformée. Quinze ans après l’instauration en France du LMD, notre système d’enseignement supérieur devait se mettre en cohérence avec le modèle européen. Les deux années de master constituant un seul et même bloc, c’est à l’entrée, en M1 et non en M2, que doit s’opérer l’orientation sélective des étudiants.
Pour sécuriser juridiquement le master, un accord, qu’il convient de saluer, car il n’est pas habituel, a été conclu sous votre impulsion, monsieur le secrétaire d'État, entre les présidents d’université, les syndicats d’enseignants et les organisations étudiantes. C’est cet accord que reprend la présente proposition de loi de Jean-Léonce Dupont, amendée par Dominique Gillot. Cet accord va permettre de concilier deux principes : subordonner l’admission en master à l’obtention d’un concours ou à l’examen d’un dossier, ce qui préservera la qualité des diplômes ; instaurer un droit à la poursuite d’études en master.
La mise en œuvre de cette réforme nécessitera le respect de trois règles : les critères fixant les capacités d’accueil en master devront être précis et transparents ; le fonds d’aide à la mobilité des étudiants devra être financé par des crédits significatifs et pérennes ; la plateforme d’orientation en master devra non pas gérer les propositions faites aux étudiants sur le modèle d’admission post-bac, mais permettre de connaître précisément les formations qui, à la fois, disposent de places disponibles et correspondent peu ou prou au projet professionnel de l’étudiant.
Pour conclure, je voudrais faire une observation, monsieur le secrétaire d'État. Parallèlement à cette réforme des masters, il faudrait refondre le cycle des licences et des formations courtes, du type BTS et DUT, afin de pouvoir développer massivement les licences professionnelles, car les formations bac+3 professionnalisantes constituent une très bonne alternative pour les étudiants qui s’engagent en master par défaut et connaissent un risque élevé d’échec.
Avec cette réforme ambitieuse des masters, la France fait la démonstration qu’elle est capable de surmonter un tabou – la sélection – et de se réformer, dès lors qu’elle est animée par une volonté politique forte, appuyée par les partenaires sociaux.
Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je félicite Jean-Léonce Dupont pour sa proposition de loi portant adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat, proposition de loi juste et pragmatique.
Le système licence-master-doctorat est issu du processus de Bologne et permet la construction d'un espace européen de l'enseignement supérieur. Le parcours de master est constitué de quatre semestres sur deux années consécutives, qui sont normalement indivisibles et où la réussite des deux premiers semestres conditionne seule le passage en seconde année. Or cette procédure est remise en question, ce qui a d'ailleurs été souligné par le Conseil d'État en février dernier.
Le texte proposé par Jean-Léonce Dupont permet de définir clairement et durablement les critères d'admission en deuxième cycle. Les universités qui le souhaitent pourront désormais conditionner l'admission en première année de master à l'examen d'un dossier de candidature et à une épreuve spécifique ou un entretien.
Cette proposition de loi va nous permettre d'alerter le Gouvernement sur un sujet extrêmement lié à la sélection en master. Le taux de réussite en licence, en France, a toujours été le talon d'Achille des études à l'université. Seulement 27 % des inscrits en première année obtiennent leur licence trois ans plus tard. L’université ne fait donc pas de sélection à l'entrée : la sélection a lieu pendant la licence. Malheureusement, c’est une sélection par l’échec. Là est le véritable problème de la sélection à l'université. C'est d'ailleurs, permettez-moi de le dire ici, une cruelle désillusion pour les étudiants et pour le principe de l'éducation républicaine ouverte à tous.
Le véritable échec de l'université est le lycée et notamment l'orientation, qui est quasiment inexistante. Le constat n'est pas nouveau. Il est même frappant de voir que les rapports sur ce sujet, dont le dernier a été rendu par Guy-Dominique Kennel, se répètent au mot près : on y lit des termes tels qu’« orientation par l'échec » ou encore « orientation subie ».
Le système est défaillant et il est devenu incompréhensible, notamment pour les lycéens qui ont des difficultés ou les excellents élèves issus de milieux socialement défavorisés. À titre d'exemple, il est difficile d'y voir clair parmi les trop nombreux opérateurs de l'orientation et leurs acronymes : CIO, ONISEP, PIJ, CRIJ…
La sélection pourrait intervenir comme un moyen d'orientation, et cela dès l'entrée à l'université. Si un étudiant, avec de bons ou de mauvais résultats, se présente à un entretien de manière obligée et non pas parce qu'il s'est lui-même orienté, alors les professeurs d'université verront qu’il s'est trompé d’orientation.
Au fond, la sélection en master n'est pas scandaleuse. C'est l'absence de sélection et d'orientation pour l'entrée à l'université qui l'est. Au collège un peu, mais surtout au lycée, l'orientation doit être prise en compte autant que les cours d'histoire, de français ou de mathématiques. Elle doit être une matière en tant que telle, avec des cours et des explications. Cela obligerait les élèves à s'impliquer, à s'interroger sur leur avenir, à se poser les bonnes questions.
Aujourd'hui, nous sommes les champions du monde des forums de l'orientation, des présentations par des professionnels de l’orientation dans les lycées. Le résultat de tout cela est affligeant.
Sans être hors sujet, il me semble nécessaire, avant d’envisager la problématique du master, de s’interroger sur le fonctionnement du collège et du lycée. Le conseiller d'orientation-psychologue est peu présent, parce qu'il est surchargé de missions. Il ne passe qu'une journée et demie par semaine dans un collège ou un lycée. Comment voulez-vous que cela fonctionne ? Comment voulez-vous qu'un conseiller d'orientation travaille dans de bonnes conditions et puisse connaître le lycéen qu'il a en face de lui, quand on sait que le ratio est d’un conseiller pour 1 300 lycéens ?
Les enseignants ne sont ni formés au conseil en orientation, ni initiés à la diversité des métiers, ni même parfois, et c'en est la conséquence, prêts à exercer cette mission. Bref, l'orientation est un métier, une mission particulière, qui doit prendre une place prépondérante au lycée.
Dès lors, clarifier l'admission en master est une excellente initiative. Il est néanmoins urgent de clarifier l’admission dans le cursus universitaire de façon générale. Je l'ai dit, je le redis, la sélection à l'université doit être vue non pas comme une contrainte mais comme un moyen qui permet de mieux orienter nos lycéens après le bac et d’éviter ainsi ce taux d'échec en licence qui est l'un des plus scandaleux de toute l'Union européenne.
La question de l’orientation scolaire, comme celle de la réussite à l’université, était une promesse faite par le Président de la République, une de plus qu’il n’a pas tenue.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
I. – La section 2 du chapitre II du titre Ier du livre VI de la troisième partie du code de l’éducation est ainsi modifiée :
1° L’article L. 612-6 est ainsi rédigé :
« Art. L. 612-6. – Les formations du deuxième cycle sont ouvertes aux titulaires des diplômes sanctionnant les études du premier cycle ainsi qu’à ceux qui peuvent bénéficier de l’article L. 613-5 ou des dérogations prévues par les textes réglementaires.
« Les établissements peuvent fixer des capacités d’accueil pour l’accès à la première année du deuxième cycle. L’admission est alors subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat.
« Cependant, s’ils en font la demande, les titulaires du diplôme national de licence sanctionnant des études du premier cycle qui ne sont pas admis en première année d’une formation du deuxième cycle de leur choix conduisant au diplôme national de master se voient proposer l’inscription dans une formation du deuxième cycle en tenant compte de leur projet professionnel et de l’établissement dans lequel ils ont obtenu leur licence, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État pris après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche.
« Les capacités d’accueil fixées par les établissements font l’objet d’un dialogue avec l’État. » ;
2°
« Art. L. 612-6-1. – L’accès en deuxième année d’une formation du deuxième cycle conduisant au diplôme national de master est de droit pour les étudiants qui ont validé la première année de cette formation.
« Un décret pris après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche peut fixer la liste des formations du deuxième cycle conduisant au diplôme national de master pour lesquelles l’accès à la première année est ouvert à tout titulaire d’un diplôme du premier cycle et pour lesquelles l’admission à poursuivre cette formation en deuxième année peut dépendre des capacités d’accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat. »
II
Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat et Fortassin et Mme Malherbe, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat et Fortassin et Mme Malherbe, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5
Remplacer les mots :
du diplôme national de licence
par les mots :
des diplômes
et les mots :
l’inscription dans une formation du deuxième cycle en tenant compte de leur projet professionnel et de l’établissement dans lequel ils ont obtenu leur licence
par les mots :
par l’établissement dans lequel ils ont obtenu leur licence l’inscription dans une formation du deuxième cycle
II. – Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
La proposition d'inscription tient compte des prérequis disciplinaires, du projet professionnel de l'étudiant et de la capacité d'accueil et d'encadrement de la formation du deuxième cycle.
La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter ces deux amendements.
Autant le dire, je les retirerai tous les deux – je n’ai pas un goût immodéré du sacrifice, et je sais par avance que mes arguments ont peu de chances d’être entendus par le Gouvernement –, mais je tiens à expliquer une nouvelle fois les raisons pour lesquelles nous sommes inquiets.
On nous dit que le système sera évalué dans trois ans. Or on sait pertinemment ce qui se passera alors. Envoyer des jeunes dans des voies sans issue, ce n’est pas bien !
Qu’est-ce qui ne va pas dans ce système ? On met en place une sélection – c’est une nouveauté, il faut le reconnaître –, mais, dans le même temps, on prévoit un droit à la poursuite des études : si l’étudiant ne peut pas être inscrit dans le master où il désire poursuivre ses études, on doit lui faire trois propositions alternatives. Mais tout cela se fera dans des conditions qui poseront de nombreux problèmes et donneront donc lieu à de multiples contentieux.
Voilà pourquoi nous avons déposé ces deux amendements. L’amendement n° 5 rectifié tend à supprimer l’alinéa 5 de l’article 1er et l’amendement n° 6 rectifié, qui est un amendement de repli, vise à ce que les étudiants n’ayant pas obtenu l'inscription dans le master 1 de leur choix se voient proposer par l'établissement dans lequel ils ont obtenu leur licence une proposition d'inscription dans une autre formation en fonction des prérequis disciplinaires, de leur projet professionnel et de la capacité d'accueil et d'encadrement de la formation concernée.
Je comprends que l’on se réjouisse d’un accord qui réunit les organisations syndicales étudiantes et la conférence des présidents d’université. Je ne dis pas que tout cela est négatif. Je crois seulement que combiner dans un même texte principe de sélection et droit à la poursuite des études posera des problèmes techniques et aboutira à agrandir le fossé déjà considérable séparant les grandes écoles et certaines universités performantes, qui ne savent plus que faire des demandes d’admission, avec les autres universités, dans lesquelles le niveau de formation est très différent.
Je tenais donc à présenter ces amendements pour exposer nos inquiétudes. Nous en garderons ainsi la trace, que nous pourrons retrouver quand il s’agira de faire le bilan.
Pour l’heure, je les retire, madame la présidente.
Les amendements n° 5 rectifié et 6 rectifié sont retirés.
L'amendement n° 2, présenté par Mme Gonthier-Maurin, MM. Abate et P. Laurent, Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Cette demande est faite par l’étudiant immédiatement après l’obtention de la licence sanctionnant des études du premier cycle ou de manière différée.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Le compromis trouvé le 4 octobre et validé par le CNESER le 17 octobre prévoit que le droit à la poursuite d’études en master peut être déclenché par l’étudiant dans la foulée de l’obtention de sa licence ou de manière différée. Or ni le texte que nous examinons ni le projet de décret dont j’ai eu connaissance ne font référence à cette possibilité de différer le déclenchement de ce droit.
Cela étant, il m’a été indiqué par le Gouvernement que ce déclenchement différé serait autorisé pour tous les étudiants qui en feront la demande, et ce, pour une durée indéterminée. Un étudiant ayant obtenu sa licence et n’ayant pas fait valoir son droit à la poursuite de ses études en master immédiatement après – parce qu’il aura décidé de travailler ou de voyager, par exemple – pourra le faire sans aucune limite dans le temps. S’il le fait quand il est salarié, cela pourra prendre la forme d’une validation des acquis de l’expérience.
Le présent amendement tend donc à inscrire dans la loi cette disposition, prévue dans l’accord du 4 octobre, pour lui donner toutes les garanties d’application nécessaires.
Je vais peut-être vous surprendre, mes chers collègues, mais je ne suis pas mécontent des propos tenus par Jacques Mézard. Les questions qu’il pose traversent notre assemblée. Je le remercie donc de les exprimer.
Pour répondre à ses interrogations légitimes, je tiens à dire, même si je sais que j’aurai peut-être un peu de mal à le convaincre, que des précautions ont été prévues dans les décrets et que le dispositif spécifique d’évaluation vise à corriger ce qui doit l’être.
Quelles sont ces précautions ? D’une part, si sa candidature a été refusée, l’étudiant doit personnellement faire une demande auprès du recteur de la région académique dans laquelle il a obtenu sa licence et produire un projet professionnel. D’autre part, les propositions qui lui sont faites doivent tenir compte de l’offre de formation existante, des capacités d’accueil des masters existants, de son projet professionnel et des prérequis des formations.
On peut toujours s’interroger sur l’évaluation. Je pense que celle que nous avons prévu de mener après trois rentrées universitaires a vraiment pour objet de s’intéresser à la façon dont le système fonctionne. Nous posons une première pierre, mon cher collègue, dont on ne dit pas qu’elle est définitive. Nous prendrons en compte les atouts et les insuffisances du système.
L’amendement n° 2 tend à ce que le mécanisme de poursuite d’études puisse être déclenché dans la foulée de l’obtention de la licence ou de manière différée.
Le dispositif envisagé est intéressant, car il pose le principe d’une poursuite d’études éventuellement différée après quelques années d’expérience professionnelle, qui auront pu apporter de la maturité supplémentaire et contribuer à définir plus finement le projet professionnel. C’est tout à fait conforme à notre souhait de développer la reprise d’études en cours de carrière professionnelle, dans le cadre de la formation tout au long de la vie.
L’avis est donc favorable.
Je me réjouis de vos propos, monsieur Mézard, non seulement par goût de l’esprit critique, mais aussi par attachement à Édouard Herriot, qui a dit, je crois, que si, dans un État, on n’entend le bruit d’aucun conflit cela veut dire que la liberté n’existe pas. Votre position critique montre que ces débats sont libres.
Le dispositif de l’amendement n° 2 précise utilement le texte. Le droit à la poursuite d’études doit s’exprimer dans la continuité du diplôme national de licence, mais aussi de manière différée, en cas de césure par exemple.
L’avis est donc favorable.
L'amendement est adopté.
Je constate que l’amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Carle et Grosperrin, Mme Mélot, MM. Retailleau et Leleux, Mme Duchêne, MM. Bouchet, Danesi, Soilihi, Commeinhes, Panunzi, Kennel et Allizard, Mmes Lopez et Duranton et M. Dufaut, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les titulaires du diplôme national de licence sanctionnant des études du premier cycle qui ne poursuivent pas une formation du deuxième cycle sont informés des différentes perspectives qui s’offrent à eux en matière d’insertion professionnelle ou de poursuite de leur formation. Un décret en Conseil d’État fixe les modalités de cette information. » ;
La parole est à M. Jacques Grosperrin.
Comme Jacques Mézard, nous sommes très attentifs à ce que recouvre le principe du droit de poursuite des études en master. Ce dispositif risque en effet d’entraîner une offre à deux vitesses : les étudiants les plus brillants iront dans un master sélectif et les autres dans un master moins demandé, voire nouvellement créé.
Cet amendement vise à apporter une information complète aux titulaires d’une licence par la présentation des différentes perspectives qui s’offrent à eux en matière d’insertion professionnelle ou de poursuite de leur formation. Cela permettra aux étudiants de faire leur choix en toute connaissance de cause et, ainsi, d’éviter les désillusions.
Cet amendement vise à apporter aux titulaires d’une licence une information utile sur les perspectives d’évolution, en particulier en matière d’insertion sur le marché du travail. La commission ne peut qu’y être favorable.
Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Cette explication de vote vaudra aussi pour l’ensemble de la proposition de loi.
Le groupe que j’ai l’honneur de présider est évidemment favorable à la partie de l’accord qui, dans la logique du processus de Bologne, admet la sélection après la licence plutôt qu’entre le M1 et le M2. La situation n’était en effet pas tenable. Les efforts faits par le Gouvernement et toutes les parties doivent donc être salués. Je tiens également à saluer le travail de M. le rapporteur, qui a prévu une clause de revoyure.
Cela étant, vous avez discerné nos réticences sur le principe du droit à la poursuite des études en master. Jacques Mézard, avec ses mots et son tempérament, a exprimé les craintes que nous avons et qui sont motivées par trois éléments : un réflexe de parlementaire, une exigence légistique et une inquiétude plus philosophique.
Quand un parlementaire entend qu’un accord est à prendre ou à laisser, il ne veut qu’une chose : prendre un peu de distance, aller au-delà des apparences. Il était dès lors parfaitement normal que nous ne nous rendions pas tout à fait au texte de l’accord et que nous essayions de percevoir la logique qui le sous-tendait.
Concernant l’exigence légistique, il faut savoir que le Conseil d'État nous reproche de faire trop de lois et de mal les préparer. En l’occurrence, il nous est proposé d’instaurer un droit nouveau, important, sans fournir aucune étude d’impact, sans qu’on sache s’il s’agira d’un vœu pieux ou s’il trouvera à s’appliquer.
J’ai entendu les arguments quantitatifs. Reste que, dans la région que je préside, même si j’ai un nombre suffisant de places pour accueillir tous les lycéens, cela ne m’empêche pas de devoir construire d’autres lycées. En effet, il n’y a pas nécessairement adéquation entre l’emplacement des lycées actuels et le choix, notamment d’installation, des familles. La seule arithmétique ne résout pas tout !
Notre crainte, enfin, était de voir émerger un droit au master pour tous, qui aurait conduit, au bout du compte, à une université à deux vitesses, certains diplômes valant de l’or et d’autres n’étant que monnaie de papier.
Dans ces conditions, je pense que nous avons adopté une position sage, que Jacques Grosperrin a bien expliquée : tous les étudiants ne poursuivront sans doute pas en master, ce qui rend impérative une orientation améliorée. Cette exigence que nous devons avoir ne brise pas, je crois, l’esprit de l’accord et tient compte des craintes que nous pouvions nourrir, ainsi que de la vitesse à laquelle nous avons été obligés de légiférer.
J’ai cosigné la proposition de loi de notre collègue Jean-Léonce Dupont. Quand on est cosignataire, on essaie d’aller un peu au-delà des apparences !
J’invite nos collègues à voter cet amendement, et je vous indique dès à présent que, bien entendu, les membres du groupe Les Républicains voteront l’ensemble de la proposition de loi.
L'amendement est adopté.
L'article 1 er est adopté.
L’amendement n° 4, présenté par Mme Gonthier-Maurin, MM. Abate et P. Laurent, Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L’article 244 quater B du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du I, les mots : « 30 % », « 100 millions » et « 5 % » sont remplacés respectivement par les mots : « 25 % », « 80 millions » et « 4 % » ;
2° Aux premier et deuxième alinéas du d ter du II, le montant : « 10 millions » est remplacé par le montant : « 15 millions ».
II - Les dispositions du I ne s'appliquent qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû.
III - La perte de recettes résultant pour l'État des I et II est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Cet amendement allait de pair avec un amendement n° 3 visant à inscrire dans la loi la création d’un fonds spécifique d’aide à la mobilité géographique, mais qui, sans surprise, a été jugé irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
Nous n’en entendons pas moins soulever la question du financement de l’aide à la mobilité géographique. La création d’un fonds spécifique étant mentionnée dans l’accord du 4 octobre dernier, je me suis d’abord demandé si le Gouvernement l’inscrirait par voie d’amendement dans le projet de loi de finances pour 2017. Le Gouvernement a fait un autre choix : les crédits mobilisés pour cette aide seront pris sur le programme 231, « Vie étudiante », au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur », par redéploiement des crédits – surévalués, m’a-t-on dit… – alloués à l’aide à la recherche du premier emploi, l’ARPE, créée l’été dernier par la loi Travail.
Le ministère estime disposer de marges de manœuvre suffisantes, mais que deviendront-elles une fois l’ARPE popularisée et comment l’aide à la mobilité sera-t-elle alors financée ? À moins, évidemment, qu’on ne table sur un non-recours à ces aides…
J’ai bien entendu que, selon les estimations du Gouvernement, la proportion d’étudiants sans affectation devrait avoisiner 2 % seulement. Reste qu’une prime à l’installation de 1 000 à 1 500 euros est tout de même maigre, vous en conviendrez, pour financer une véritable mobilité géographique. Peut-être aurait-elle un effet incitatif sur des étudiants qui ne rencontrent pas de difficultés pour financer leurs études, mais nous savons que nombre d’étudiants sont obligés de travailler. On manquerait donc à nouveau l’objectif d’une réelle démocratisation de l’accès aux études supérieures, singulièrement au master.
Voilà pourquoi les auteurs de cet amendement proposent de minorer le crédit d’impôt recherche, afin qu’une partie des crédits alloués à ce dispositif – une partie infime – soit réorientée au bénéfice de la formation et de la réussite des étudiants. L’un des objectifs assignés au crédit d’impôt recherche est de favoriser l’embauche de jeunes docteurs. Or, avant le doctorat, il y a le master. Je rappelle que la StraNES fixe l’objectif de 20 000 docteurs par an d’ici à 2025, dont 12 000 Français. L’adoption de notre amendement irait dans le sens de cet objectif.
M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur. Je sais combien Mme Gonthier-Maurin est attachée à une réforme du crédit d’impôt recherche… Je ne doute pas qu’elle reviendra sur la question à de nombreuses reprises dans les semaines qui viennent.
Sourires
Il n’est nul besoin d’une disposition législative pour assurer le financement de l’aide.
Madame Gonthier-Maurin, nous travaillons actuellement de manière approfondie sur l’architecture globale du dispositif, ainsi que sur l’estimation des besoins. L’aide que nous envisageons peut prendre plusieurs formes. Pour les boursiers, elle peut consister en une revalorisation du critère de mobilité géographique déjà pris en compte dans le calcul des bourses accordées sur critères sociaux, une revalorisation susceptible d’entraîner un changement d’échelon. Pour les non-boursiers, il est possible de créer une aide spécifique, ponctuelle, qui sera versée en début d’année ; le CROUS peut être l’opérateur de cette aide, comme il est celui de l’ARPE.
En tout cas, madame la sénatrice, l’engagement pris par le Gouvernement est très ferme : l’accompagnement des éventuelles mobilités géographiques – qui, au demeurant, seront très probablement assez limitées – est un corollaire de l’accord, et nous en assurerons le financement.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
L'amendement n'est pas adopté.
Au premier alinéa de l'article L. 681-1 et aux articles L. 683-1 et L. 684-1 du code de l’éducation, les mots : « dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique » sont remplacés par les mots : « dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat ». –
Adopté.
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Guy-Dominique Kennel, pour explication de vote.
Je comptais prendre la parole pour explication de vote sur l’amendement n° 1 rectifié bis, mais M. Retailleau, notre primus inter pares, a été plus rapide que moi…
À cette heure presque matinale, …
… je vous ferai simplement part de deux regrets.
D’abord, je constate que les questions ayant trait à l’éducation sont systématiquement ou presque débattues la nuit. J’en conçois une réelle frustration, parce que ce sont des questions importantes, qui devraient concerner tout le monde.
Ensuite, je regrette que le Gouvernement ait utilisé l’excellente proposition de notre collègue Jean-Léonce Dupont comme véhicule pour introduire dans la loi le droit à la poursuite d’études. Je pense, comme Bruno Retailleau, que cette question aurait mérité une analyse beaucoup plus approfondie et des réponses beaucoup plus larges que celles que nous pouvons apporter ce soir.
Je félicite M. le rapporteur pour son travail, en particulier pour l’initiative qu’il a prise – lui et non le Gouvernement – de prévoir une évaluation au bout de trois ans. Cette évaluation, du reste, on peut déjà entrevoir les constats sur lesquels elle débouchera… Il est dommage que M. Mézard ait retiré son amendement, parce que, à titre personnel, je l’aurais voté. De fait, les effets du droit à la poursuite d’études sont prévisibles : des masters « parkings », sous-évalués par rapport aux autres, et des abandons par défaut de mobilité, ce que j’aurai du mal à accepter.
J’entends bien les engagements de M. le secrétaire d’État en ce qui concerne la mobilité, mais celle-ci n’est pas assurée, ni accompagnée à la hauteur de ce qui serait nécessaire. C’est pour cette raison aussi que le droit à la formation aurait mérité une approche beaucoup plus large, comme Mme Gonthier-Maurin l’a souligné à juste titre.
Je terminerai, monsieur le secrétaire d’État, en exprimant un souhait, étant entendu que votre temps est compté. Il faudrait revoir l’approche en amont, parce que l’échec que nous enregistrons au niveau des licences est un scandale dans notre République – les taux de réussite annoncés par M. Mézard sont même surévalués. Je forme le vœu que l’on tienne un peu compte des propositions que nous avons faites à Mme la ministre de l’éducation nationale à l’issue des travaux de notre mission d’information sur l’orientation scolaire. Je remercie nos collègues qui ont fait référence à ce travail, ainsi que tous ceux qui y ont contribué.
Ce débat est extrêmement révélateur de nos différences de perception : certains voient le verre à moitié vide, d’autres, le verre à moitié plein. D’aucuns parmi nous ne dissimulent pas leur intention de taper encore plus fort, peut-être, dans quelques mois.
De manière générale, l’élévation du niveau des connaissances et des qualifications n’est pas pour notre pays une question de détail. C’est à juste titre que la StraNES fait de cette élévation une exigence, que je fais mienne, en tant qu’elle conditionne la capacité de notre société à relever les défis qui se présentent à elle aujourd’hui.
Je reste extrêmement sceptique sur les possibilités de mise en œuvre de ce dispositif. Remarquez que je ne parle pas de « droit », car ce mot, promu par beaucoup, ne figure pas dans le texte de la proposition de loi ; il s’agit d’un dispositif conçu pour organiser une poursuite d’études pour chacun et chacune. Je forme le vœu que ce dispositif s’avère très fructueux ; nous verrons ce qui résultera de l’évaluation, qu’on a eu raison de prévoir.
Reste qu’on ne pourra évidemment pas progresser dans ce domaine sans se poser la question des moyens pour l’accompagnement pédagogique et géographique. Avec les membres de mon groupe, je demeure donc inquiète. C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur la proposition de loi.
Mes chers collègues, je vous signale que le temps prévu pour ce débat sera écoulé dans quelques minutes, à minuit. Je veux bien donner la parole à ceux qui me la demandent pour une minute, mais je vous rappelle que, si je ne peux pas mettre aux voix la proposition de loi avant minuit, je devrai renvoyer la suite de la discussion à une prochaine séance.
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Une minute me suffira, madame la présidente, pour indiquer que mon groupe votera la présente proposition de loi avec un enthousiasme réel et sans regret.
Cela étant, je ne peux pas laisser dire qu’il n’y a pas eu de concertation ni d’étude d’impact. L’accord est le fruit d’un dialogue social qui, débuté dès avant l’été dernier, s’est poursuivi pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’un équilibre soit trouvé entre les différentes parties, autour d’un engagement du ministère dont la mise en œuvre est déjà en cours. En effet, le comité de suivi du cursus master mis en place à la suite de la loi de 2013 publie un rapport chaque année pour montrer à quel point les choses évoluent. Cette proposition de loi est une pierre de plus dans la construction de la mise en œuvre de la loi de 2013 !
Il me faudra moins d’une minute, madame la présidente, pour indiquer que le groupe Les Républicains, même si le droit à la poursuite d’études lui pose problème, n’entend pas bloquer l’accord et, par esprit de responsabilité, votera la proposition de loi.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat.
La parole est à M. le rapporteur.
Je tiens à remercier l’ensemble de nos collègues, car un point d’équilibre n’est pas facile à atteindre. Parvenir à celui-ci a demandé des efforts aux uns et aux autres.
Mes chers collègues, nous avons exercé un vrai devoir de vigilance ; nous devrons, demain et dans trois ans, l’exercer avec la même acuité que ce soir.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 27 octobre 2016 :
À dix heures trente :
Explications de vote, puis vote sur l’ensemble du projet de loi (n° 864, 2015-2016), adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l’Agence nationale de santé publique et modifiant l’article 166 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, ainsi que sur l’ensemble du projet de loi (n° 12, 2016-2017) ratifiant l’ordonnance n° 2016-966 du 15 juillet 2016 portant simplification de procédures mises en œuvre par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et comportant diverses dispositions sur les produits de santé (procédure accélérée) ;
Rapport de M. Gilbert Barbier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 55, 2016-2017) ;
Textes de la commission (nos 56 et 57, 2016-2017).
Ces deux textes ont été examinés par la commission des affaires sociales, conformément à la procédure d’examen en commission, en application de l’article 47 ter du règlement, selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures quinze à vingt heures quinze :
Ordre du jour réservé au groupe communiste républicain et citoyen
Proposition de loi visant à garantir la mixité sociale aux abords des gares du Grand Paris Express (n° 467, 2015-2016) ;
Rapport de Mme Sophie Primas, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 48, 2016-2017) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 49, 2016-2017).
Débat relatif à l’organisation d’une conférence internationale sur l’évasion fiscale.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à minuit.