Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dès 1999, la France s’est engagée dans le processus de Bologne, qui vise à harmoniser l’architecture du système européen d’enseignement supérieur. Cette architecture est basée sur trois cycles – licence, master et doctorat –, définis en 2002. Elle s’est précisée au fil des années et des sommets, d’ailleurs difficilement ; l’intervention détaillée de notre rapporteur en décrivait bien les aléas.
En 2013, la loi Enseignement supérieur et recherche a introduit l’insertion professionnelle dans les missions de l’enseignement supérieur, insistant sur la réussite en premier cycle, avec le plan consacré à la licence, l’accompagnement des parcours, la qualité de vie étudiante et la synergie entre enseignement supérieur et recherche.
Depuis ces années, un grand nombre de difficultés perdurent : une disparité inacceptable dans le deuxième cycle, y compris sur un même site ; un étranglement entre le M1 et le M2 ; une angoisse récurrente chez les étudiants qui ne sont pas assurés de pouvoir poursuivre sereinement en deuxième année de leur master engagé.
L’entrée en deuxième cycle universitaire, période décisive, peut être bien complexe pour un étudiant. Il doit définir son périmètre de mobilité, rechercher sur les sites des établissements visés les formations correspondant à son projet professionnel, prendre connaissance des évaluations du HCERES, rédiger autant de lettres de motivation et de dossiers de candidature que nécessaire, puis attendre de savoir s’il sera retenu, et où ! Il doit aussi anticiper que toutes ces étapes pourront se reproduire l’année suivante pour entrer en deuxième année de ce master et poursuivre son cycle.
Pour les établissements, notamment pour ceux qui ont choisi de limiter le nombre de places de leur master pour assurer un certain niveau de suivi pédagogique, un certain niveau d’accompagnement des stages, d’encadrement de la rédaction des mémoires, chaque rentrée se fait avec le risque d’être poursuivis devant le tribunal administratif.
La situation n’est satisfaisante pour personne. Le décret ministériel que vous avez signé au mois de mai dernier, monsieur le secrétaire d’État, pour sécuriser la rentrée de 2016 ne pouvait pas tenir bien longtemps. La polémique, dogmatique, risquait d’enfler et de compromettre toute recherche d’équilibre.
Il aura fallu le courage du Gouvernement pour ouvrir les discussions avec des partenaires jugés inconciliables et faire preuve d’une volonté pugnace pour aboutir à un accord avec tous les acteurs de la communauté universitaire autour d’un recrutement en master respectant les enjeux dégagés et partagés : assurer l’élévation du niveau de qualification de nos étudiants ; relever le pari que l’essor de notre pays passe par la diversification des origines sociale et géographique de ses cadres ; respecter, enfin, les engagements du processus de Bologne ; ne laisser personne sans diplôme et impérativement assurer une continuité avec la licence, en sécurisant bien les parcours ; prendre en compte les contraintes liées aux flux entrants ; rechercher une plus grande équité entre les parcours d’enseignement supérieur et rendre les filières universitaires plus attractives grâce à un meilleur recrutement, à un meilleur accompagnement et en imposant des exigences de réussite.
La proposition de loi de Jean-Léonce Dupont visant à instaurer une sélection dès l’entrée en master, déposée en septembre 2016, a devancé l’accord conclu le 4 octobre dernier. C’est le respect de cet accord qui a conduit la commission, après avis favorable du rapporteur, à adopter un amendement que j’avais déposé tendant à transcrire l’accord dans le texte de la proposition de loi dont nous débattons ce soir. Ce texte, lorsqu’il sera adopté, garantira le processus master sur ses quatre semestres, sans barrière en fin de premier cycle. Il s’appuiera sur une vraie carte des masters, plateforme qui rendra visible l’ensemble des filières sur tout le territoire, et permettra des choix éclairés et une orientation transparente.
Enfin, ce texte, qui reprend les termes d’un compromis issu de la concertation loyale et sincère de l’ensemble de la communauté universitaire, instaurera le droit à la poursuite des études.
Les établissements procéderont par concours ou sur dossier au recrutement en première année de master quand leur conseil d’administration aura voté une capacité d’accueil, négociée avec l’État et validée par le recteur, chancelier des universités. Chaque décision des jurys de recrutement sera motivée et notifiée à l’étudiant. Un étudiant qui n’aura pas été admis se verra proposer une inscription dans trois formations tenant compte de son projet professionnel, en privilégiant autant que faire se peut son établissement d’origine.
La mise en œuvre de ce droit à la poursuite des études, sous la responsabilité du recteur de la région académique, suppose trois conditions.
Elle suppose tout d’abord une meilleure visibilité de l’offre de formation pour chaque domaine. La cartographie nationale de l’offre de formation, déjà en expérimentation dans certaines régions, répondra à cette nécessité, réduisant les biais dans les choix des candidatures, et garantira que les propositions des recteurs seront au plus proche des attentes des étudiants.
Elle suppose ensuite un travail en bonne intelligence entre les recteurs et les établissements pour offrir la meilleure solution possible aux étudiants. Depuis le début de l’été, afin de trouver des pistes pour les étudiants malheureux du tirage au sort à l’entrée en licence, les équipes ont fait preuve d’engagement et de solidarité. Elles ont su augmenter leur capacité d’accueil et même contacter d’autres établissements quand il leur restait des places à pourvoir. Nous sommes donc quelque peu rassurés sur ce point, qui suscite encore des craintes.
Elle suppose enfin que la mobilité encouragée des étudiants sur le territoire ne soit pas tributaire de leur capacité financière pour être épanouissante. L’État devra veiller à la possibilité de poursuivre en deuxième cycle. Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons vos engagements sur ce point.
Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il me semble que ces trois conditions sont aujourd'hui réunies, et je ne suis pas la seule à le penser. L’ensemble des organisations étudiantes représentatives, sans aucune exception, défendent ce texte qu’elles ont signé. Les enseignants, les enseignants-chercheurs, les présidents et les directeurs d’établissement, via leurs syndicats et leurs conférences, le soutiennent aussi.
Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, réuni en session plénière le 17 octobre dernier, a voté très majoritairement, à 71, 4 %, pour la mise en œuvre réglementaire du texte issu des travaux de la commission. Un tel niveau d’adhésion est suffisamment rare au CNESER pour le signaler, s’appuyer dessus et s’en réjouir !
Le calendrier parlementaire est connu de tous. Défenseurs de l’enseignement supérieur de qualité dans notre pays, de l’égalité d’accès aux études supérieures réussies, nous devons mobiliser nos efforts pour sécuriser la rentrée universitaire prochaine, dont les inscriptions, vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, commencent à la fin du printemps. Pour cela, il importe de permettre l’instauration de cette réforme souhaitée et attendue en adoptant ici, au Sénat, ce texte, qui devra ensuite être voté conforme à l’Assemblée nationale.
Le groupe socialiste et républicain, auquel j’appartiens, votera cette proposition de loi dans un esprit de responsabilité et avec le sentiment, monsieur le secrétaire d'État, de contribuer au mouvement engagé de progrès et de modernisation de l’enseignement supérieur.