Intervention de Jacques Grosperrin

Réunion du 26 octobre 2016 à 21h00
Adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir débattu, la semaine dernière, des conclusions du rapport de notre collègue Guy-Dominique Kennel consacré à l’orientation scolaire, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Jean-Léonce Dupont portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système LMD.

Ces questions pourraient sembler étrangères l’une à l’autre ; il n’en est rien, elles sont intimement liées. Je signalais, la semaine dernière, la situation difficile des universités françaises, qui résulte de la massification de l’enseignement supérieur et du doublement des effectifs étudiants depuis les années quatre-vingt. Je tiens néanmoins à rendre hommage à Thierry Mandon pour la sanctuarisation des crédits cette année. Je serai néanmoins vigilant, gardant à l’esprit le coup de rabot qui avait été donné l’année dernière par les députés. Nous espérons tous que cela ne se reproduira pas cette année.

On peut, bien sûr, se féliciter de constater que la proportion d’enfants d’une classe d’âge diplômés de l’enseignement supérieur a atteint des sommets autrefois inaccessibles. Cependant, toute médaille a son revers : en la matière, le revers est effrayant, et à double titre. Pour affronter l’échec et le décrochage, la solution passerait peut-être non pas seulement par la massification, mais également par la diversité des parcours.

D’abord, le diplôme ainsi obtenu ne constitue plus, tant s’en faut, une garantie de trouver un emploi. Ainsi que l’expose très justement notre collègue Dupont dans son rapport, la situation des diplômés de l’enseignement supérieur ne trouvant pas leur juste place sur le marché du travail est doublement difficile, car ils doivent souvent choisir entre le chômage et le déclassement.

Ensuite, les universités n’ont pas vu leurs dotations croître dans des proportions comparables à l’augmentation des effectifs. Qu’il s’agisse de moyens humains ou financiers, on demande donc aux universités de faire beaucoup plus, à moyens constants. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez reçu une lettre de la CPU dans laquelle il était question d’insécurité, d’insincérité et surtout peut-être de budgets déficitaires.

Une telle situation est littéralement intenable à long terme, soyons-en conscients. Elle porte en elle le germe d’une détérioration de la qualité du service offert et fait craindre l’avènement d’un système d’enseignement supérieur à deux vitesses : d’un côté, l’université gratuite non sélective dispensant un enseignement de masse de faible qualité ; de l’autre, les établissements payants sélectifs disposant de moyens considérables pour offrir une formation de qualité à des étudiants choisis parmi les meilleurs. Est-ce vraiment cela que nous souhaitons construire ?

Je félicitais, la semaine dernière, notre collègue Kennel de proposer la mise en place d’une sélection raisonnable à l’entrée de l’université dans les filières sous tension. Jean-Léonce Dupont a évoqué trois filières : le droit, la psychologie et les STAPS. Est-il normal qu’il y ait un droit de tirage ?

Je renouvelle mes félicitations, mais je souhaiterais insister sur le lien entre, d’une part, le refus dogmatique et socialement injuste de la sélection à l’entrée de l’université et, d’autre part, la nécessité d’une sélection en master : l’absence de la première rend la seconde absolument nécessaire.

Faut-il que cette sélection ait lieu en première ou en seconde année de master ? J’avoue qu’il me semblerait raisonnable, sur une telle question, de reconnaître la plus grande liberté aux universités. Toutefois, dans la mesure où les dispositions de ce texte, telles qu’elles résultent des travaux en commission, confèrent une certaine souplesse en prévoyant le principe de la sélection à l’entrée en M1 et la possibilité transitoire d’une sélection retardée à l’entrée en M2, celles-ci me semblent très acceptables.

L’instauration d’un droit à la poursuite d’études en master m’interpelle, notamment en raison du risque de dévalorisation du master. J’ai bien compris, monsieur le secrétaire d'État, que le véhicule législatif emprunté par notre collègue Jean-Léonce Dupont était peut-être une aubaine. Quoi qu’il en soit, nous nous interrogeons sur cet accord historique, car nous avons peur de cette université à deux vitesses. Nous avons auditionné ce matin des étudiants qui craignaient l’émergence de masters « poubelles » opposés à des masters de qualité. Nous voudrions attirer votre attention sur cette inquiétude. Le risque est grand, surtout, de conduire à la création de masters spécifiquement tournés vers l’accueil des refusés.

Nous sommes inquiets de cette université à deux vitesses, mais inquiets aussi de la mise en place opérationnelle par le recteur, chancelier des universités, qui aura une lourde tâche. La formulation retenue par la commission pour l’article L. 612-6, alinéa 3, du code de l’éducation me semble toutefois de nature à éviter ces risques.

J’aimerais, enfin, vous faire part d’une réserve d’interprétation quant à une phrase relevée dans le rapport. Celui-ci mentionne que « la sélection est aussi l’assurance de recruter des étudiants de haut niveau dans les formations de haut niveau que sont les masters puis, a fortiori, les doctorats ». Cette affirmation est tout à fait pertinente, et je la fais mienne sans hésiter. Cependant, la phrase qui suit immédiatement me semble susceptible d’une interprétation que j’aimerais écarter. Il y est affirmé que c’est « à partir de ce niveau de formation universitaire » – c'est-à-dire le master – « que les étudiants bénéficient pleinement de l’activité de recherche de leurs enseignants ».

Une lecture a contrario de cette phrase pourrait conduire à relativiser l’importance de la recherche pour les universitaires enseignant en premier cycle, ce qui me semblerait infondé. Je crois en effet très important d’affirmer l’immense intérêt et la chance inouïe des étudiants de pouvoir bénéficier, dès la première année, de cours dispensés par des enseignants de très haut niveau, parce qu’ils sont pleinement investis dans leurs missions de recherche. Je suis convaincu que, parce qu’ils constituent le socle sur lequel reposent toutes les matières enseignées par la suite, les enseignements de licence doivent se nourrir, en permanence, des recherches menées par l’enseignant.

Le premier cycle universitaire ne peut pas et ne doit pas être réduit à un prolongement du lycée. Il me semble dès lors capital de maintenir l’intérêt, pour les professeurs les plus brillants et les mieux investis dans leurs activités scientifiques, qu’il peut y avoir à prendre en charge de jeunes étudiants. C’est aussi cela qui permettra à l’université française de remplir ses importantes missions.

Monsieur le secrétaire d'État, en commission, nous avons beaucoup débattu, notamment avec Bruno Retailleau, que je salue, du droit à poursuivre des études, sujet qui nous inquiétait et sur lequel nous éprouvions des réserves. Nous ne sommes ni dupes ni complices, mais tout simplement pragmatiques. Depuis 2002, l’ensemble de la communauté éducative et surtout les étudiants attendent une sécurité plus importante dans le suivi des études. Après les prochaines échéances électorales de 2017, viendra peut-être le temps d’une refondation pas simplement de l’école, mais aussi de l’université.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion