Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présente proposition de loi est un texte important. Elle a deux objets qu’il convient de bien distinguer.
Le premier est de déplacer le curseur de la sélection actuellement effectuée entre le master 1 et le master 2 à l’entrée en master 1.
Une fois encore, le mot terrible est lâché : « sélection » ! Un mot qui ne nous fait pas plus peur qu’au rapporteur, car il y a une véritable hypocrisie dans ce débat. Pour certains, l’université ne devrait pas sélectionner. Or que se passe-t-il quand on ne sélectionne pas ? La sélection a tout de même lieu, mais pas comme on le voudrait. D’une part, les meilleurs tentent d’échapper à l’université en se réfugiant dans les grandes écoles. D’autre part, la sélection se fait à l’université par l’échec.
En n’assumant pas le fait que l’université a aussi vocation à sélectionner, on renforce le système français d’un enseignement supérieur à deux vitesses. Alors que chacun sait qu’il faut tendre vers une convergence entre l’université et les grandes écoles, on laisse nombre de jeunes perdre leur temps dans des cursus qui ne leur conviennent pas.
In fine, le paradoxe est frappant : en ne fixant pas nous-mêmes les critères de la sélection, celui du mérite, du travail et de l’excellence, on laisse le champ libre au darwinisme social. En effet, le plus souvent, ce ne sont pas les jeunes les plus défavorisés qui se retrouvent dans les grandes écoles. En revanche, ce sont eux qui, lorsqu’ils sont brillants, peinent à être distingués par un système universitaire réputé non sélectif. Pour eux, la sélection au mérite n’est pas une pénalité, mais est une chance, voire un droit. Oui, il y a un droit à être sélectionné, c’est-à-dire à être valorisé pour sa compétence ! Oui, il y a un droit à sortir du lot !
Cela dit, ne nous trompons pas de combat. Le présent texte n’a pas vocation à instaurer une sélection qui ne lui préexistait pas. Pas du tout ! Il s’agit juste de déplacer le curseur d’une sélection existante.
La problématique est bien connue. Alors que le système LMD a été mis en place en France à partir de 2002, la sélection qui s’opérait traditionnellement à l’entrée des DEA et DESS a perduré. Le résultat est kafkaïen : la sélection s'opère entre le M1 et le M2, ce qui aboutit à une situation intenable à la fois sur le plan pédagogique et sur le plan juridique.
Sur le plan pédagogique, la sélection en M2 revient à couper en deux un cursus conçu comme un tout indissociable de quatre semestres.
Sur le plan juridique, elle a conduit des étudiants ayant validé leur M1 à être refusés dans le M2 de leur choix. Certains de ces étudiants ont attaqué cette décision devant les tribunaux et ont obtenu gain de cause, c'est-à-dire leur inscription forcée.
La situation est évidemment intenable. Pour y remédier temporairement, le décret du 25 mai dernier dispose que la sélection ne peut être opérée en M2 que pour les étudiants s'inscrivant dans un M2 différent de leur M1 ou qui changent d'établissement entre le M1 et le M2. C'est évidemment une rustine destinée à faire passer le cap de la rentrée de 2016 sans trop de heurts. L'intervention du législateur était inévitable et urgente.
Déplacer le curseur de la sélection à l'entrée du master est une mesure de bon sens, qui aurait dû être prise depuis au moins dix ans. Cela n’a pas été le cas, car elle a été couplée à une autre question, qui constitue le second objet du texte : la création d'un droit à la poursuite d'études après la licence.
De fait, le dépôt de la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont a donné un coup de pied dans la fourmilière. Alors que les négociations sur le droit à la poursuite d'études s'enlisaient, l'inscription de ce texte dans la niche du groupe UDI-UC les a débloquées. Un accord qualifié d'« historique » par la ministre de l'éducation nationale a été conclu le 4 octobre dernier entre le Gouvernement et les organisations représentant les étudiants, les personnels et les universités sur le droit à la poursuite d'études. Par l'adoption d'un amendement de Dominique Gillot, l'accord a été intégré à la proposition de loi de Jean-Léonce Dupont, qui en était le véhicule législatif naturel.
Concrètement, en vertu de cet accord, lorsqu'un étudiant se verra refuser l’accès aux masters de son choix, il pourra demander au rectorat de lui présenter des propositions alternatives. Le rectorat devra alors lui faire trois propositions, dont au moins une dans la région académique où l'étudiant a obtenu sa licence, sauf en l'absence de places disponibles. Des fonds d'aide à la mobilité seront créés pour les étudiants obligés de se déplacer et qui en auront économiquement le plus besoin.
Ce dispositif soulève deux questions de principe et deux questions pratiques.
Sur le plan des principes, on peut se demander s'il n'est pas contradictoire d'entériner le fait que certains masters sont sélectifs pour, en contrepartie, consacrer un droit à la poursuite d'études. Ça l'est potentiellement, mais pas nécessairement.
En l'occurrence, la manière dont ce droit est conçu nous semble de nature à vider la critique de sa substance. En effet, il ne s'agit pas d'un droit opposable, comme en témoignent les garde-fous qui l'accompagnent. Notre rapporteur l'a déjà indiqué : les propositions du rectorat devront correspondre au projet professionnel de l'étudiant ; l'étudiant devra remplir des prérequis ; des places devront être disponibles et le chef d'établissement concerné devra donner son accord explicite au recteur.
Sur le plan des principes toujours, mais cette fois sur un terrain un peu plus philosophique, on peut se demander si la société doit accorder un droit au master. Ce qui revient à s'interroger sur le rôle de l'université : doit-elle seulement préparer à la vie professionnelle ou aussi donner une ouverture culturelle et intellectuelle, même non professionnalisante ? « Les deux, mon capitaine ! », répondrons-nous en bons centristes.
Mais le système proposé pose aussi deux problèmes pratiques : un problème administratif et un problème pédagogique.
D'un point de vue administratif, il faut garantir l'effectivité de ce nouveau droit. Le rectorat aura-t-il les moyens de répondre aux demandes des étudiants qui se verront refuser leurs premiers choix de master ? Les propositions faites par le rectorat satisferont-elles les étudiants ou bien seront-elles de nouveau génératrices de contentieux ? Les fonds d'aide à la mobilité seront-ils suffisants pour ne pas vider le droit de sa substance ?
D'un point de vue pédagogique, il est à craindre que la dynamique du « droit au master » conduise à la constitution d'une filière master à deux niveaux : un niveau sélectif et un niveau non sélectif. C'est la problématique des masters « poubelles ».
Évidemment, on ne peut pas éluder ces questions, mais seule l'expérience permettra d'y répondre. C'est pourquoi notre commission, sous la houlette de notre rapporteur, a incorporé un dispositif d'évaluation.
À la fin de 2019, le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur réalisera une évaluation du droit à la poursuite d'études. L'évaluation portera sur l'impact du droit sur la qualité de l'offre de formation en deuxième cycle ainsi que sur la sécurisation juridique des parcours. C'est fondamental ! C'est une véritable clause de revoyure.
Merci et félicitations à Jean-Léonce Dupont d'avoir eu le courage et la ténacité de vraiment faire bouger les choses sur un sujet aussi important et aussi sensible !