Intervention de Nathalie Goulet

Réunion du 27 octobre 2016 à 15h00
Conférence internationale sur l'évasion fiscale — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen

Photo de Nathalie GouletNathalie Goulet :

Madame la secrétaire d’État, nous avons dans cette assemblée une tradition : dès qu’il s’agit des questions d’évasion fiscale, c’est, non pas un BEPS, mais pratiquement un PACS qui nous lie à Éric Bocquet. Nous collaborons en effet sur ces questions depuis de nombreuses années, avec, je dois le dire, peu de divergences de vues. Indépendamment de nos couleurs politiques, nous travaillons en harmonie depuis la première commission d’enquête demandée par notre collègue, tant le sujet nous paraît d’importance et semble devoir être traité dans un esprit tout à fait républicain.

Nous avons rappelé les efforts réalisés par l’actuel gouvernement en matière de lutte dans le domaine fiscal. Certes, il reste le « verrou de Bercy », mais j’espère bien que celui-ci sautera au septième vote, comme les murs de Jéricho finirent par tomber.

Il est toutefois une nouveauté à noter. Comme Éric Bocquet l’a rappelé, les démarches législatives ont très vite été supplantées par les enquêtes journalistiques : SwissLeaks, LuxLeaks, Panama papers, etc. Le sujet de l’évasion fiscale est aujourd'hui un sujet citoyen. C’est d’ailleurs la guerre de l’obus et du blindage. À ce titre, le législateur doit être extrêmement réactif.

La démarche visant à organiser une conférence internationale est compréhensible. En même temps que j’en perçois les intérêts, je ne peux pas entièrement adhérer à cette idée, car nous sommes avant tout engagés dans une recherche d’efficacité.

J’ai d’ailleurs bien étudié tous les progrès réalisés, au cours des trois dernières années, sous l’égide de l’OCDE. Ceux-ci peuvent être qualifiés de « fulgurants », ce qui, en cette matière, est assez nouveau. Comme le rappelait le président de Transparency International France, qu’Éric Bocquet et moi-même rencontrons régulièrement, ces avancées ont permis d’aboutir à un ensemble extrêmement cohérent.

Je prendrai, à titre d’exemple, trois points abordés dans le plan d’action BEPS de l’OCDE.

L’action 13, tout d’abord, traite des prix de transfert, qui ont énormément progressé. Ceux-ci constituent une fraude manifeste et, malheureusement, légale, qui fait de l’île de Jersey l’un des principaux producteurs de bananes et de la Suisse l’un des principaux producteurs de cuivre. Il s’agit réellement d’une pratique de « défiscalisation en toute impunité ».

L’harmonisation des prix de transfert doit se faire à la fois auprès de nos services et dans un cadre international. Le plan d’action BEPS s’est saisi à bras le corps du sujet, en permettant une réactualisation du reporting pays par pays. Cette action 13 est donc extrêmement importante.

L’action 14, ensuite, porte sur le règlement des différends. On mesure, dans ce domaine également, à quel point l’état d’esprit a changé. Il faut laisser une place plus grande à l’arbitrage ; le plan propose de généraliser le recours aux procédures d’arbitrage pour régler les conflits bilatéraux, qui sont très nombreux. Ce volet du travail de l’OCDE est aussi essentiel et mérite d’être soutenu.

S’agissant des assiettes fiscales, l’harmonisation complète me semble relever de l’utopie. En revanche, un travail d’harmonisation partielle, accompagné d’un travail de plus longue haleine, peut être réalisé dans le cadre de l’OCDE, qui a le mérite de la souplesse. Mettre de la rigidité là où il faut de la souplesse nous mènera à l’échec et, j’y insiste, j’ai le sentiment que les progrès ont été fulgurants au cours des trois dernières années, grâce au travail de l’OCDE.

L’action 15, enfin, concerne un sujet qui nous importe beaucoup, madame la secrétaire d’État. Il s’agit de l’élaboration d’un instrument multilatéral, sur la base duquel une révision globale des conventions fiscales pourrait être envisagée.

Pour nous, parlementaires, les conventions internationales semblent toujours former un seul bloc. D’ailleurs, nous les votons la plupart du temps de manière automatique, sans pouvoir ni les amender, ni les discuter, ni les réviser : nous avons seulement le choix entre voter contre, voter pour ou nous abstenir.

C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés – j’en ai parlé à de très nombreuses reprises, en 2012, 2013, 2014, notamment lors d’un débat également demandé par le groupe communiste républicain et citoyen sur l’efficacité des conventions fiscales internationales – avec cette fameuse convention avec le Qatar, qui fait de la France un paradis fiscal ! À un moment donné, parce que les circonstances ont changé, parce que l’heure n’est plus à cela et pour toute une série d’autres raisons, il faut peut-être que nous puissions remettre sur le métier cette convention purement et simplement scandaleuse. Nous avons été nombreux à le souligner.

Le cadre multilatéral que l’OCDE est en train d’élaborer est manifestement un outil innovant, qui impliquera tout de même un certain travail. Le fait de pouvoir réviser les conventions fiscales nous sera, me semble-t-il, utile dans un avenir proche, comme plus lointain, du fait de l’évolution des circonstances générales déterminant nos situations.

J’aimerais aussi insister sur deux points.

Le premier point concerne le réseau des parlementaires.

Comme on le dit chez moi, dans ma Normandie, nous arrivons à la fumée des cierges ! J’entends par là que nous intervenons quand les conventions sont discutées, pour les approuver, ou quand il faut discuter des projets de loi de finances, examen nous laissant, surtout au Sénat, une marge de manœuvre relativement réduite.

C’est pourquoi Éric Bocquet et moi-même avions proposé au président Jean-Pierre Bel, puis au président Gérard Larcher de créer au sein de cette maison une structure permanente, une délégation à la fraude et à l’évasion fiscales, qui, évidemment, ne ferait pas concurrence à notre éminente commission des finances, mais pourrait suivre tous ces sujets. En effet, les questions pullulent, à l’échelon national, européen et international, au point que nous finissons par ne plus suivre, en tout cas pas dans un cadre strict. Très harmonieusement, les deux présidents nous ont refusé la possibilité de créer cette structure.

Toutefois, l’OCDE met actuellement en place un réseau de parlementaires. Il est de notre responsabilité, d’après moi, de demander à être plus associés au travail que l’organisation mène sur ces questions. Il faut institutionnaliser les séminaires parlementaires et faire en sorte que chaque groupe politique désigne des représentants pour suivre ces travaux. Le sujet mérite un tel effort !

Le second point a trait au réseau des inspecteurs des impôts sans frontière, thème non dénué d’intérêt que l’OCDE vient de traiter. Cette innovation est même franchement intéressante. Que manque-t-il en règle générale ? De la volonté, d’abord, de la technique, ensuite ! Sans talent, toute volonté n’est qu’une sale manie !

En formant des inspecteurs des impôts, notamment dans les pays en voie de développement, tout en harmonisant les prix de transfert et en arrangeant ou révisant les conventions internationales, nous pourrions rééquilibrer une fiscalité qui s’opère généralement toujours au détriment des mêmes : ceux qui sont en phase de développement, qui affrontent des problèmes économiques, qui ont des migrants ou qui connaissent des crises ingérables du fait même des ponctions opérées par d’autres sur leur fiscalité.

Oui, mes chers collègues, il faut continuer à travailler, mais peut-être pas dans le cadre d’une convention internationale. Pour autant, en parler une fois de plus n’est jamais en parler une fois de trop ! Par conséquent, je remercie le groupe communiste républicain et citoyen de son intervention et de sa demande. Il peut compter sur mon soutien s’agissant de ces questions.

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